Ceux qui disaient tout, ceux qui restaient flous : les très intéressantes leçons de l’examen détaillé des déclarations de revenus des parlementaires avocats<!-- --> | Atlantico.fr
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Ils sont 56 parlementaires (37 députés, 19 sénateurs) – sur 900 – à être avocats
Ils sont 56 parlementaires (37 députés, 19 sénateurs) – sur 900 – à être avocats
©Reuters

Double statut

Atlantico a scruté les déclarations d’intérêts et d’activités des parlementaires avocats. On y trouve des farouches apôtres de l’éthique, des cumulards qui ne sont pas à plaindre et même, qui l’eut cru ? des gagne-petits !

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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- Dès leur élection, une poignée de députés quittent provisoirement le Barreau pour être à l’abri de tout conflit d’intérêts

- Visiblement, certains élus n’apprécient guère ce climat de suspicion qui peut être reproché à la Haute Autorité de la Transparence de la Vie publique

- Le député PS du Nord Bernard Roman s’omet du Barreau, mais sans préciser à quelle date

- Gilbert Collard, député (Rassemblement Bleu Marine) du Gard, champion toutes catégories du cumul

- Claude Goasguen, député UMP de Paris qui continue à être avocat ne gagne pratiquement rien. Pis encore : son activité est parfois déficitaire !

Ils sont 56 parlementaires (37 députés, 19 sénateurs) – sur 900 – à être avocats. Comme l’ensemble de leurs collègues, ils ont rempli, au début de l’année 2014, une déclaration d’intérêts et d’activités qu’ils ont envoyée à la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP). Créée dans la foulée de l’affaire Cahuzac qui avait provoqué un tsunami politico-médiatique, cette instance a comme président l’ancien procureur général près la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal. La semaine dernière, elle a rendu publique les copies de 900 parlementaires. Atlantico a examiné celles des avocats. Avec pour mission de répondre à ces questions : combien y a-t- il d’avocats qui continuent d’exercer ? Combien se sont omis du barreau ? Quels sont leurs revenus ? Les hommes de loi sont- ils sourcilleux dans leurs déclarations ? Sur ce dernier point, disons que certains prennent quelques libertés…C’est par exemple Edouard Philippe, le député-maire UMP du Havre (Seine-Maritime) qui ne dit pas qu’il est avocat, mais juriste. C’est lui encore qui, lorsqu’on l’interroge sur ses revenus, répond : "Je ne comprends pas votre question. Vous voulez connaître mon taux horaire au jour de l’élection ? Ma rémunération mensuelle moyenne annuelle ?" Notre élu du peuple ferait- il montre d’ironie face à une nouvelle pratique qui ne lui plait guère ?

Dans l’ensemble, nos parlementaires avocats répondent précisément aux questions sur leurs revenus… Encore que certains élus ont une écriture tellement illisible que le déchiffrage relève de l’exploit. Ce n’est pas Bernard Perrut, député UMP du Rhône depuis 1997 et maire de Villefranche-sur-Saône depuis mars 2008 qui dira le contraire, au moins pour certaines réponses. D’autres encore, ne répondent pas vraiment aux interrogations de la Haute Autorité. Ainsi, à la rubrique "rémunérations, indemnités, ou gratifications perçues à la date de leur élection", des élus se contentent d’écrire "indemnités de conseiller général" sans en donner le montant. Telle est la démarche suivie par le sénateur Nicolas Alfonsi (Rassemblement démocratique et social européen-RDSE) qui prend soin de préciser qu’en tant que maire ou maire adjoint de Piana, il n’a perçu aucune indemnité… Comment ne pas sourire en lisant la déclaration de son collègue PS de Mayotte, l’ancien bâtonnier Thani Mohamed Soilihi qui nous apprend que depuis cinq ans, il gagne rituellement 5 000 euros par mois. Jamais 10 centimes de plus. Jamais dix centimes de moins…Sans préciser si c’est en brut ou en net. A dire vrai, c’est le côté vague de certaines déclarations qui surprend. Ainsi, Bernard Roman, avocat à Lille depuis décembre 2001, élu à l’Assemblée nationale sans interruption depuis 1997 écrit s’être omis du barreau. Bravo. Sauf qu’on aimerait connaître la date exacte à laquelle il a pris cette décision.

Ceux qui croient à l’éthique

En scrutant attentivement les déclarations de nos parlementaires avocats, on en trouve une poignée seulement qui se consacre exclusivement à leurs mandats ou aux activités qui en découlent. Bref, cette extrême minorité – 4 seulement a renoncé à toute rémunération supplémentaire. Dès leur première élection à l’Assemblée nationale ou au Sénat, ils se sont omis du barreau. Tel est le cas d’Etienne Blanc, député UMP de l’Ain qui depuis 2002 n’exerce plus son métier d’avocat. Outre son indemnité de député de l’Ain – 5 682 euros brut mensuels – ses rémunérations sont celles de mairie de Divonne-les-Bains (1149 euros par mois, somme écrétée car un élu ne peut percevoir globalement plus de 7 500 euros par mois) et de président de communauté de communes (802,66 euros). Tel est encore le cas d’Arlette Grosskost, (UMP) qui, comme Etienne Blanc, dès sa première élection, en juin 2002 à l’Assemblée nationale s’est omise du barreau de Mulhouse. Si elle est membre du conseil de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, ( rémunération annuelle : 7 172 euros) c’est en tant que représentante de l’Assemblée nationale qu’elle a été désignée à ce poste. Laurent Marcangeli, (Corse -du -Sud) qui a été élu à l’Assemblée nationale en 2012 a imité ses deux collègues. En dehors de son indemnité parlementaire, il perçoit 1 460 euros nets par mois comme conseiller général. Un point c’est tout. Les rubriques restantes étant barrées d’un "néant" en lettre capitales ! A ce trio, s’ajoute Dominique Raimbourg, député PS de Loire-Atlantique, vice-président de la Commission des Lois. Elu pour la première fois en 2007, il s’est fait omettre du Barreau quelques mois plus tard. François Baroin, député-maire de Troyes (Aube) ancien porte-parole du gouvernement Juppé en 1995, avocat depuis 2001, réélu député en juin 2002 a suivi la même démarche que Dominique Raimbourg en quittant provisoirement le barreau quelques mois plus tard.

D’autres parlementaires ont également mis leurs robes au vestiaire. Mais à la différence de leurs collègues ci-dessus, ils ont pris cette décision quelques années après leur entrée au Parlement. En général parce que, entretemps, ils ont intégré le barreau par équivalence. Cette mesure – mansuétude – accordée dans les années 2010 – aujourd’hui impossible – a profité à quelques élus comme Jean Glavany, député PS des Hautes-Pyrénées, ou encore à Christophe Caresche député PS de Paris… Jean-François Copé, devenu avocat en 2007 s’est lui aussi omis du Barreau. Mais son cas est différent : en tant qu’ancien élève de l’ENA, l’équivalence lui est reconnue automatiquement… Ce dont ont bénéficié Guillaume Larrivé, député UMP de l’Yonne ou encore Edouard Philippe, député-maire UMP du Havre, tous deux membres du Conseil d’Etat

Si Etienne Blanc, Arlette Grosskost, Laurent Marcangeli et Dominique Raimbourg ont provisoirement abandonné la robe, se mettant à l’abri de tout conflit d’intérêts, d’autres ont choisi de cumuler leur(s) mandat(s) avec le métier d’avocat. Ce qui leur permet d’en retirer des revenus substantiels.

Les cumulards

Dans ce domaine, le champion toutes catégories s’appelle Gilbert Collard. Député – Rassemblement Bleu Marine – du Gard, orateur talentueux, chouchou des médias, il vit bien grâce à son métier d’avocat si l’on en croit les rémunérations qu’il déclare à la Haute Autorité de la transparence de la vie publique : 437 965 euros en 2008, 416 354 en 2009, 333 069 en 2010, 441 490 en 2011, et 393 599 en 2012. Si on ajoute les 84% de parts (227 664 euros) qu’il détient dans sa société d’avocats et les 99% de parts qu’il détient dans une SCI, on se dit que l’indemnité parlementaire du député du Gard peut lui servir d’argent de poche… D’autant que ce dernier, auquel la télévision fait souvent appel pour des séries, peut compter sur des droits d’auteurs non négligeables. En tout un peu plus de 100 000 euros pour la période 2008-2012.

En seconde position derrière le bouillant avocat, arrive Jean-François Copé. Député depuis 1995 – avec une interruption entre 1997 et 2002, l’actuel maire de Meaux s’est inscrit au barreau en 2007. Date à laquelle il a rejoint le prestigieux cabinet Gide-Loyrette-Nouel, aux honoraires de 20 000 euros par mois – à temps partiel. En 2009, date de son élection comme secrétaire général de l’UMP, il quitte ce cabinet pour s’installer à son compte. Selon sa déclaration parue sur Internet, l’avocat Copé a reçu en 2007 une rémunération annuelle de 92 812 euros en 2007, de 330 948 euros en 2008, de 254 839 euros en 2009, de 335 752 euros en 2010, et de 351 996 euros en 2011. A la date de sa réélection à l’Assemblée nationale en juin 2012, il avait perçu 313 703 euros et 184 734 euros du 1er janvier au 30 juin 2013, date à laquelle il s’est omis du barreau. Rien d’illégal à cela, on l’a dit. Sauf qu’avec de tels honoraires, l’avocat Copé a dû fournir un gros travail… Comme il est également maire de Meaux, président d’agglomération, député et qu’il a occupé les fonctions de secrétaire général de l’UMP, on ne peut que se poser une question : comment a-t-il fait – fait-il pour parvenir à effectuer tous ses boulots, les journées ne durant que 24 heures ? Serait-il un émule de Littré qui dit-on dormait deux à trois heures par nuit ?

Derrière Copé, arrive relativement loin derrière, François Zocchetto, sénateur centriste de Mayenne. Ce dernier, d’un contact facile, qui dit-on dans les couloirs du Sénat a le profil d’un futur garde des Sceaux, mène de front sa carrière d’élu et d’avocat-associé au barreau de Laval dont il est maire depuis 2008. Ses rémunérations ? Plutôt coquettes. 142 822 euros en 2008, 138 667 euros en 2009, 163 313 euros en 2010, 169 193 euros en 2011 et 179 108 euros en 2012. Pour 2013, l’avocat Zocchetto estime ses gains à 188 583 euros. A cela s’ajoute son indemnité annuelle de sénateur qui s’élève 45 557 euros (il s’agit de la base imposable).

Toujours dans ce peloton de tête, on note la présence de François Pillet, sénateur UMP du Cher, désormais avocat retraité, écrit-il… Il aurait dû écrire avocat honoraire. Depuis 2009, il tourne aux alentours des 90 000 euros annuels de gains : 82 914 euros en 2009, 91 941 en 2010, 98 959 en 2011, 88 348 en 2012… Pour 2013, c’est en cours de fixation. Derrière lui, figure le pourfendeur en chef de la fraude fiscale, auteur d’un remarquable rapport sur l’évasion fiscale, Yann Galut député socialiste du Cher. Comme ses collègues de droite, il n’a pas jugé utile de mettre sa robe au vestiaire. Aussi empoche-t-il des gains substantiels : 41 978 euros en 2009, 70 312 en 2010, 73 217 en 2011, 67 119 en 2012, et 66 220 en 2013… Sorte de lanterne rouge parmi les cumulards, apparaît Yves Nicolin député UMP de la Loire depuis 1993 et avocat à la cour d’appel de Paris depuis 2008 : sur une période comprise entre 2009 et 2012, ses revenus d’avocat oscillent entre 19 000 euros et 33 054 euros…

Les gagne-petits

A côté de ces privilégiés, ces nantis du Parlement pourrait-on dire, ils sont à peine une quinzaine parmi les avocats, apparaît une autre catégorie, que toutes proportions gardées, on pourrait qualifier de gagne-petits. Regardez Leila Aïchi, sénatrice PS de Paris depuis septembre 2011. A cette date, elle gagne 22 145 euros par an… 2432 en 2012, pour être déficitaire de 4 490 euros en 2013. Que dire encore de Seybah Dagoma, député PS de Paris ! Selon sa déclaration, elle demeure a priori avocate, mais elle ne gagne rien du tout. Tout au plus apprend-on qu’elle a perçu entre 2008 et décembre 2012, 3 100 euros mensuel – impôts déduits – en tant qu’adjointe au maire de Paris. Claude Goasguen, député UMP de Paris depuis 1997, n’est guère mieux loti que ses collègues socialistes. Jugez plutôt : en 2009, il déclare 9 887 euros, 686 l’année suivante, et 10 552 en 2011. Puis, c’est le déficit en 2012 et 2013. La situation de son collègue des Alpes-Maritimes, Rudy Salles n’est pas meilleure : son métier d’avocat ne lui rapporte pas le moindre sou. Outre son indemnité de député, il a dû se contenter entre 2008 et 2014 de 1 539 euros mensuels net au titre d’adjoint au maire de Nice et de 518 euros mensuels net comme conseiller Métropole. Quant à la sénatrice UMP de l’Orne, Nathalie Goulet sa déclaration est replie de mentions "néant". Elle ne détient aucun mandat local, et ne préside aucune société d’économie mixte ou association quelconque. Voilà qui est clair et net : elle ne perçoit que son indemnité parlementaire de 5 514,68 euros brut par mois et une indemnité de frais de représentation de mandat (IRFM) de 6 562 euros brut, toujours par mois... Comment ne pas sourire lorsque le sénateur (PS) de Mayotte, l’ancien bâtonnier Thani Mohamed Soilihi, après avoir affirmé gagner 5 000 euros comme avocat avant qu’il ne soit élu à l’Assemblée nationale précise que désormais élu du peuple, il envisage de poursuivre son activité d’avocat… Mais à 3 000 euros seulement par mois.

Arrivé au bout de cette lecture, que penser  de la création de cette Haute Autorité ? Certes, c’est une amélioration notable par rapport au passé. Même si quelques lignes préviennent que tout tricheur risque gros, jusqu’ à 45 000 euros d’amende et 3 ans de prison, on sent que nos parlementaires, pour certains d’entre eux, remplissent leur déclarations tantôt avec ironie tantôt en donnant des réponses parcellaires. Une lecture attentive atteste de cet état d’esprit. Les élus du peuple y ont vu une sorte de voyeurisme qui leur déplait. On les comprend. Prévient-elle pour autant les conflits d’intérêts susceptibles de se faire jour chez un parlementaire qui continue d’exercer son métier d’avocat ? Absolument pas. Pour ce faire, il faudrait qu’on parvienne à délier l’avocat de son secret professionnel. De même l’affaire Cahuzac aurait-elle été évitée avec la création de cette Haute Autorité ? Sans doute pas. Car selon un vieil adage, "ce que l’on ne sait pas, on l’ignore." Si un parlementaire omet de déclarer un compte en Suisse, au Luxembourg ou aux Iles Vierges britanniques, comment la Haute Autorité pourrait-elle en être alertée si ce n’est par une dénonciation ou l’envoi de commissions rogatoires internationales dans le cadre d’une information judiciaire ?

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