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Quand la Chine tente de bouter les Français hors d'Afrique
©Reuters

C'est le jeu

Fort de son importante progression en Afrique, le gouvernement chinois vient de publier ce 10 juillet un livre blanc évoquant le développement des "partenariats stratégiques en Afrique". L'illustration d'ambitions commerciales et politiques qui se heurtent parfois aux intérêts français.

Antoine Glaser

Antoine Glaser

Antoine Glaser est un journaliste et écrivain.

Il est le fondateur et l'ancien rédacteur en chef de La Lettre du Continent, lettre confidentielle bimensuelle consacrée à l'Afrique.

Il est l'auteur de Comment la France a perdu l'Afrique (Hachette Littératures, 2006) et Sarko en Afrique (Plon, 2008)

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Atlantico : Pékin vient de publier ce 10 juillet un livre blanc intitulé "Aide de la Chine à l'étranger" où il est fait état d'une nette progression de la coopération avec plusieurs pays d'Afrique. En quoi ce document peut-il être révélateur de la nature des ambitions de l'Empire du Milieu sur le continent ?

Antoine Glaser : Ces derniers temps, l'Afrique a été le théâtre de plusieurs visites d'officiels chinois, dont le N°1 du Parti, Xi Xingping, ainsi que de son N°2 Li Keqiang. Les pays ciblés ont démontré un intérêt tout particulier de Pékin pour les matières premières, notamment le pétrole dont les sols du Nigéria et de l'Angola sont fortement dotés. Le Kenya a aussi son intérêt à leurs yeux, tout comme l'Ethiopie bien qu ce dernier cas ne soit pas tant motivés par des ambitions économique. Les liens qu'y développent Pékin s'expliquent surtout par la présence du siège de l'Union Africaine à Addis Abeba, la capitale, siège dont la construction a du reste été financée à hauteur de 200 millions de dollars par la Chine. Pékin affichait jusqu'à présent, en dépit de la manifestation d'une véritable expression politique dans la région, une certaine distance diplomatique visant à donner d'eux l'image d'un contrepoids aux ex-puissances coloniales comme la France, le Portugal et l'Angleterre.

Ces vieilles puissances sont entre-temps restées dans leurs "pré-carrés" hérités des empires passés. C'est particulièrement vrai pour l'Hexagone qui s'est contenu à ses "15 pays" dans lesquels circulent les deux francs CFA comme monnaie(s) commune(s). A l'inverse, la stratégie chinoise consiste à assurer une présence du nord au sud du continent, et cela n'épargne en rien la zone d'influence des Européens. Pékin est ainsi le premier exportateur vers l'Algérie et compte là-bas près de 100 000 ressortissants, mais son gouvernement a aussi grandement contribué à l'expansion de villes comme Luanda en Angola, ancienne colonie portugaise où vivent près de 70 000 chinois actuellement. Pour donner un ordre de comparaison, on parlait de "village gaulois" lorsque l'on évoquait dans les années 1980 la Côte-d'Ivoire et ses 50 000 expatriés français (actuellement 15 000 aujourd'hui).  

On voit donc bien une volonté de couvrir l'Afrique dans son ensemble, volonté d'abord motivé par le commerce des matières premières stratégiques (pétrole, uranium). On parle encore actuellement d'Africa Incognita tant le potentiel du Continent a été finalement peu "exploré", notamment au niveau de l'agriculture des terres arables et des ressources minières. Ce positionnement économique tend toutefois à devenir de plus en plus politique, bien que l'on soit loin de voir un volet "militaire" prendre des formes concrètes. Il est en tout cas incontestable que l'influence chinoise souhaite s'y exercer à tous les niveaux, et non plus sur les seules matières premières comme auparavant.

Vous avez évoqué la visite de Li Keqiang  au Nigéria en mai dernier, ce déplacement suivant de peu celui de François Hollande deux mois plus tôt. Quelle peut-être la teneur des rivalités franco-chinoises en termes d'influence économique et commerciale ?

La France a évidemment toujours des intérêts conséquents dans la région, notamment au niveau militaire. Elle doit certes en partie son siège au Conseil de sécurité de l'ONU à sa puissance nucléaire, mais aussi à sa capacité de déploiement militaire dans plusieurs régions du globe, capacité qui doit beaucoup au maintien de bases françaises en différents points (de Djibouti à la Réunion en passant par le Sénégal, NDLR). Autant cette présence militaire et géopolitique est forte, autant le volet économique reste quant à lui relativement terne, un fait qui trouve ses racines dans la nature même de la colonisation française qui s'est construite sur des missionnaires et des comptoirs qui n'ont jamais réellement su se développer dans des proportions importantes.  

Malgré une relative faiblesse économique toujours davantage concurrencée par l'arrivée des émergents, Paris peut donc toujours compter toutefois sur un atout sécuritaire toujours bien réel dans les affaires du Continent. Il n'en reste pas moins que nous avons, probablement par arrogance, mésestimé les compétiteurs comme la Chine qui ont énormément progressé entre temps, particulièrement sur les deux dernières années. On peut donc parler d'une rivalité de nature économique qui n'est du reste pas tellement à notre avantage ces derniers temps. A cela s'ajoute le faite que d'autres acteurs, le Brésil et l'Inde parmi d'autres, sont eux-aussi bien implantés dans le commerce africain. Même l'Allemagne est devenue le 4e exportateur en Afrique en lieu et place de la France désormais reléguée juste derrière.  

Cette situation de déclin commercial n'était toutefois pas imprévisible comme le prouve le rapport Védrine commandé en 2007 à l'occasion du sommet franco-africain de Cannes. Il est intéressant de noter que l'ancien ministre des Affaires Etrangères qu'il avait déjà été à l'époque reprochait alors aux gouvernements français de ne pas avoir su constater la montée de nouveaux acteurs commerciaux en Afrique. François Hollande tente désormais d'inverser sur le tard cette tendance en rencontrant différents chefs d'Etat, et la prochaine visite en Côte-d'Ivoire le 17 juillet aura à ce titre beaucoup d'importance. En décembre 2013 François Hollande communiquait sur l'enjeu des investissements africains qui permettraient d'après les estimations de son équipe de sauver 360 000 emplois en France d'ici 2020, et cette déclaration permet de mieux comprendre les déplacements passés et futurs des chefs d'Etat franco-africains. On verra bien ce qui pourra ressortir de cette tentative de "réveil" diplomatique mais il est en tout cas clair que la Chine est entre temps devenue un concurrent incontournable dans cet ancien pré-carré de la France.

  • A titre de comparaison, l'excédent commercial français vers l'Afrique en 2012, bien qu'en baisse, restait légèrement à l’avantage de Paris avec +1,5 milliard d’euros contre +2,9 milliards en 2010 et 3,2 milliards pour 2009. Dans le même temps, le total des volumes d'échanges entre la Chine et le Continent se sont portées à 166 milliards d'euros, soit +83% par rapport à 2009. (NDLR)

Pendant longtemps le patronat français a cru que l'avantage de la langue garantirait le maintien de nos intérêts commerciaux, un fait renforcé au niveau diplomatique par un vote toujours favorable à la France aux Nations-Unies. Les Français gardent ainsi pour beaucoup l'impression d'être "chez eux" en Afrique, mais dans les faits le seul secteur où nous restons réellement prédominant est celui des services pour l'instant délaissé par les émergents. Partout ailleurs, nos parts de marchés sont néanmoins constamment rognées.

Ces rivalités se sont illustrées à travers le récent relai par des agences de presses chinoises (ici) des désaccords survenus au Niger suite à la signature d'un contrat d'extraction d'uranium favorable à Areva. Quel est concrètement l'influence de Pékin dans cette région stratégique ?

On touche là à une affaire qui se trouve au cœur de ce que l'on peut éventuellement appeler les rivalités franco-chinoises, ces dernières étant particulièrement notables dans le domaine minier. Le Niger intéresse déjà la Chine depuis un certain temps, en particulier la China Uranium Corportation qui aimerait bien réussir ce qu'à pu faire la Chinese National Petroleum Corporation (CNPC) en remplaçant l'américain Exxon sur le gisement pétrolier d'Agaden. C'est plus spécifiquement la licence d'exploitation d'Areva sur le gisement d'uranium d'Imouraren qui intéresse depuis la Chine dans la région, le site pouvant dégager selon les estimations françaises plus de 5000 tonnes d'uranium par an pendant plus de trois décennies. Areva avait un temps considéré un partenariat avec la Chine, mais s'est finalement rabattu en derniers ressort sur le sud-coréen KEPCO.

Les compagnies chinoises n'ont donc pas pu rentrer dans Imouraren pour l'instant et doivent principalement se contenter du site d'Azelik dont la production annuelle ne doit pas dépasser 1000 tonnes par an. Un fait qui mécontente sérieusement les patrons chinois alors que ces derniers ne peuvent mener aucune recherche géologique sur les sites proches de ceux d'Areva, toutes les cartes étant détenues, non pas par le gouvernement nigérien mais par une structure française, à savoir la BRGM (Bureau de Recherche Géologique et Minière). Les dissensions entre les compagnies chinoises et Areva ne datent donc pas d'hier et ne sont pas amenées à disparaître sur les prochaines années.

Dans le cas de la République Centrafricaine, l'on sait que l'Elysée n'a pas empêché la chute de l'ancien président François Bozizé. Les liens qu'il a pu forger avec les autorités chinoises sur les dernières années de sa gouvernance permettent-ils de mieux comprendre l'état actuel du pays ?

En termes d'intérêts géo-économiques, les sites centrafricains les plus attractifs sont les champs pétrolifères du Nord qui outrepassent la frontière tchadienne, notamment dans le cas du site de Doba exploité par Exxon. Dans ce cas le bras de fer concerne davantage le président Bozizé et l'hommes d'affaires Jack Grynberg, PDG de RSM Petroleum, le pouvoir politique de Bangui ayant à terme brandi l'éventualité d'une cession de gisements à Pékin. 

Rien ne permet toutefois avec les informations dont je dispose d'affirmer que le cas centrafricain a été ou continue d'être le théâtre de réelles confrontations franco-chinoises. Lorsque Total a envisagé un temps de rentrer dans le consortium de Doba en partenariat avec Exxon, l'entreprise a finalement décidé de continuer à exploiter des positions plus avantageuses plutôt que d'investir dans la région. Les intérêts des compagnies françaises restent donc assez mineurs en Centrafrique et l'on devine mal que cela puisse justifier une réelle brouille avec la Chine au regard des enjeux. 

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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