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Les dissensions entre le Président Dmitri Medvedev et son Premier ministre Vladimir Poutine se font jour.
Les dissensions entre le Président Dmitri Medvedev et son Premier ministre Vladimir Poutine se font jour.
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Elections russes

A un an de l'élection présidentielle en Russie, les dissensions entre le Président Dmitri Medvedev et son Premier ministre Vladimir Poutine se font jour. Selon des sources très haut placées, Poutine aurait décidé de reconquérir une nouvelle fois le Kremlin. Medvedev, lui, joue les attentistes et marque sa différence. Entre vraies rivalités et faux semblants.

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier est docteur en géopolitique, professeur agrégé d'Histoire-Géographie, et chercheur à l'Institut français de Géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis).

Il est membre de l'Institut Thomas More.

Jean-Sylvestre Mongrenier a co-écrit, avec Françoise Thom, Géopolitique de la Russie (Puf, 2016). 

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Atlantico : Qui dirige aujourd'hui la Russie ? Vladimir Poutine ou Dmitri Medvedev ?

Jean-Sylvestre Mongrenier : Beaucoup évoque un pouvoir russe formé d’un tandem entre le président Dmitri Medvedev et son premier ministre Vladimir Poutine, une sorte de duumvirat, de diarchie. Il n’y a pas de pouvoir occulte à la tête de la Russie, mais une classe dirigeante, essentiellement constituée de gens issus de ce que l’on appelle les structures de sécurité ousiloviki.

Il semble qu’entre les milieux qui entourent Medvedev d’un côté et Poutine de l’autre, cela ne soit pas le même cocktail. Poutine est bien plus entouré par ces siloviki, alors que Medvedev est plus proche des civilviki, c’est à dire de gens plutôt issus de structures civiles et qui seraient plus libéraux. Il n’existe pas de ligne de partage aussi évidente entre les deux : le monde politique russe est divisé en de nombreux clans, sous clans, et structures d’intérêts. Mais il semble que Vladimir Poutine pèse le plus en sein de ce duumvirat, car il a le contrôle - encore aujourd’hui - du puissant parti Russie Unie, il est premier ministre et entretient des relations beaucoup plus fortes dans ces millieux des siloviki puisqu’ il en est lui même issu. Il ne faut pas oublier qu’il est un ancien lieutenant-colonel du KGB.

Medevdev, lui, n’a pas le même parcours même s’il appartient au clan de Saint-Pétersbourg et chemine dans le sillage de Poutine depuis le début des années 90 ; il est un juriste de formation et n’est pas issu des structures de sécurité. Avant de permuter son poste de Président, Poutine a pris soin de redistribuer les compétences et de renforcer le poste de Premier ministre. Par ailleurs, une dizaine de holdings d’Etat ont été mises en place dans les dernières années du second mandat de Poutine et au sein desquelles, il a placé beaucoup de ses hommes. La balance du pouvoir penche donc légèrement du côté de Poutine aujourd’hui. Même si structurellement, il reste difficile de départager les sphères d’influence et de pouvoir de chacun, Poutine reste en tête notamment au sein de la population où il jouit d’une plus grande popularité.


A un an de l’élection présidentielle, Dmitri Medvedev et Vladimir Poutine sont-ils des alliés ou de futurs ennemis ?

Tout montre que Poutine souhaite revenir à la présidence et il le fait savoir. Son idée était de placer Medevdev dans cette position, puis de geler en quelque sorte la présidence le temps que son mandat s’achève et enfin faire son retour au sommet de l’Etat, car la constitution russe interdit deux mandats successifs. C’était le scénario au départ et cette vision semblait d’ailleurs à l’époque invraisemblable : voir le Président devenir Premier ministre et le Premier ministre le remplacer. Finalement, cela s’est fait dans cette perspective : manipuler, instrumentaliser et organiser le pouvoir de manière à être en mesure d’y revenir. Depuis 2008, nous avions le sentiment qu’il n’y avait pas de véritable distinguo entre les deux hommes, même si Poutine apparait comme l’homme fort de Russie, une impression confirmée en partie par plusieurs câbles de Wikileaks.

Les analyses convergeaient, mais à un an de la présidentielle, il semble qu’il y ait une plus grande concurrence entre les deux hommes. Certains présentent cela comme une espèce de jeu de rôles où l’on ferait un peu semblant de se disputer, ce qui est certainement une partie de la réalité. Aux nuances des ces 2 ou 3 dernières années, a succédé une concurrence qui pourrait finalement se précipiter d’ici 2012. Sans compter leurs entourages qui ont chacuns leurs intérêts et qui poussent dans un sens plutôt que dans l’autre. Il y a donc bien une rivalité à mon sens qui est en train de se dessiner, mais aujourd’hui, Poutine garde largement l’avantage dans la balance des forces.


Dmitri Medvedev s’est fait ces derniers jours le défenseur d’une certaine pluralité politique face aux risques de monopolisation du pouvoir incarnée par Vladimir Poutine. Leurs différences sont donc réelles ?

Il y a un ou deux ans, tout le monde scrutait le moindre mouvement, le moindre signe, le moindre discours pour se persuader que le fil était rompu entre les deux hommes, et donc que la compétition était ouverte. Depuis, la situation a indéniablement changé. Mais nous aurions tort de vouloir nous persuader à tout prix que cela fait partie d’un jeu de rôles pour abuser les uns et les autres.

Les hommes sont ce qu’ils sont, et il y a bien un moment où le second couteau actuellement en première position institutionnelle mais qui reste subordonné dans la mécanique réelle du pouvoir, aspire à prendre son envol au bout de 3 ans. C’est dans l’ordre des choses. Mais vu de l’extérieur, le combat sera difficile pour Dmitri Medvedev face à la machine Poutine et sa coalition électorale en formation qui rassemble le parti Russie Unie, divers partis politiques et les syndicats.


Un affrontement Poutine/Medvedev en 2012 peut-il amener plus de démocratie politique en Russie ?

Au regard des dernières années, nous assistons plus à une involution qu’à une évolution en matière de démocratie. Il s’agit avant tout de luttes de pouvoir à caractère personnel entre les deux hommes. Alors, est-ce que cela va conduire à davantage de démocratie ? Au niveau des règles du jeu, on observe tout de même une faible institutionnalisation du pouvoir et une faible constitutionnalité des processus. Quant à l’Etat de droit, il suffit de regarder l’affaire Khodorkovski pour voir ce qu’il en est, de ce que l’on appelle le règne de la loi.

En réalité, c’est l’oligarchie - en proie aux luttes de pouvoir - qui contrôle le devenir de la Russie. La question qu’il faut se poser est la suivante : est-ce que ces luttes de pouvoir sont susceptibles de remettre en cause la cohérence d’ensemble de ce système oligarchique ?


Justement. Quelle est l’influence des oligarques sur le pouvoir en Russie ?

Mais les oligarques sont au pouvoir aujourd’hui en Russie. Nous sommes restés sur une définition des années 90, en gardant en mémoire des personnalités comme Mikhaïl Khodorkovski et comparses qui n’étaient pas des hommes politiques à proprement parler mais qui durant les années Elstine ont maintenu une très grande influence sur le Kremlin.

Il s’agit là d’une oligarchie d’Etat, et Poutine est l’un d’entre-eux. Les grands patrons de l’industrie énergétique, les magnats du pétrole sont pris dans les clientèles et les structures d’intérêts, ils y participent et ne sont pas extérieurs au système. Nous sommes trop prisonniers de la vision que Poutine a fait prévaloir à partir de son accession à la présidence en 2000, celle d’un ex-tchékiste vertueux qui voulait rendre la Russie aux Russes, rendre l’argent et le pouvoir au peuple, en partie accaparés - illégitimement - par les oligarques privés.

Et pour restituer cette verticale du pouvoir, il a écarté les indésirables (certains ont été mis en prison), les autres préférant faire allégence. Nous avons donc à faire en Russie à un autoritarisme patrimonial, c’est à dire un système dans lequel la relation patron/client est au centre du système politique et où il faut garder le contrôle sur les rentes de situations pétrolières et autres pour exercer le pouvoir. On devient riche en Russie en accédant au pouvoir. Les logiques de lobbying à l’américaine n’existent pas. 


Peut-on imaginer un tandem Poutine/Medvedev en 2012, dans lequel Poutine viserait pour la troisième fois le Kremlin ?

Le champ des possibles est toujours vaste, mais on frôlerait le ridicule. La question qui va se poser dans les mois à venir est celle des rivalités naissantes qui animent les deux hommes et qui pourraient déboucher sur une véritable compétition électorale. Trouveront-ils un arrangement en interne ? Assisterons-nous à une opposition plus ou moins factice, en tout cas largement réduite à l’impuissance mais qui serait capable de faire la différence ? La décision se fera en amont du processus électoral. Mais imaginer un scénario qui verraient les deux hommes se représenter devant les Russes en inversant une nouvelle fois leurs rôles comme en 2008, c’est aller trop loin.

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