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Kiki a 40 ans : itinéraire d'un jouet star des années 1980
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Le Kiki de tous les Kikis

Tout le monde connaît cette peluche de singe à tête ronde et dure parsemée de tâches de rousseur et tenant une tétine dans sa main, qui soufflera cette année ses 40 bougies. Quel est son secret de longévité ?

Marianne Celka

Marianne Celka

Marianne Celka est chercheur en sociologie de l’imaginaire à l’IRSA-CRI de Montpellier. Ses travaux portent sur les représentations sociales de l’animal et de l’animalité. Egalement membre du comité de rédaction pour Les Cahiers européens de l’imaginaire, Editions du CNRS, elle y a récemment publié un article intitulé « L’animal dans l’assiette et sous la couette. Objet de désir et désir d’objet ». Le dernier numéro, « Le Fake » vient de paraître : http://www.lescahiers.eu/fake.

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Atlantico : Kiki, ce singe mythique, fête cette année ses 40 ans. Quelle est l'histoire de cette fameuse peluche ? Qu'est-ce qui en fait aujourd'hui un objet si spécial aux yeux de toute une génération ?

Marianne Celka : Cette créature est l’œuvre de Kōichi Sekiguchi, un japonais de Tokyo dont l’entreprise produisait des poupées (Gégé) qui elles aussi ont connu un réel succès auprès des collectionneurs. C’est en janvier 1974 que Sekiguchi a eu l’idée de produire une peluche à travers laquelle les jeunes pourraient apprendre des valeurs telles que l’amour et le beau. Le petit singe a ensuite progressivement été diffusé en Europe et aux États-Unis et adopté, quasi immédiatement, par une grande partie de la population occidentale. L’époque était donc encline à recevoir cette vague de personnages assez drôles, bizarres mais au caractère symbolique fort marqué. Notons qu’il n’était pas le seul représentant de la gente simiesque d’alors, Donkey Kong, LC Waikiki ou encore Murphy !

Comment expliquer que ce jouet soit aujourd'hui encore autant adulé ? Comment la marque a su développer tant d'affect autour d'elle ? 

Lorsqu’un jouet réussit l’alliage parfait entre plastique et poil synthétique d’une part, détient une forte personnalité ensuite, l’engouement à son égard ne s’affaiblit que rarement. Ce n’est pas tant un effort marketing particulier qui permet d’expliquer l’adoption dont Kiki a fait l’objet. D’ailleurs dans les différents pays où il a été commercialisé, Kiki n’a pas été diffusé par les mêmes marques (Mattel pour l’Allemagne, Ajena pour la France). C’est bien plutôt que de par sa nature même (« MonKiki », petit, mignon, que l’on peut habiller), il a été le support de beaucoup d’affection, cristallisant à la fois des aspirations et des besoins, des désirs et des pulsions. Aussi, aujourd’hui il reste pour ceux qui l’ont connu une sorte de madeleine de Proust permettant de replonger dans les tendres souvenirs de l’enfance. Par ailleurs, il est un de ces objets/jouets dont l’histoire, l’impact et la qualité symbolique lui ont permis d’entrer dans les catégories assez privilégiées du kitsch et du vintage.   

Existe-t-il aujourd'hui des jouets et peluches susceptibles de susciter autant d'engouement ? 

Il est clair que nous ne sommes plus dans le même contexte économique et culturel que celui dans lequel est apparu Kiki. Cependant, il est possible et même probable que de nouvelles icônes ludiques puissent à leur tour connaître un tel engouement.

Teddy Bear, dont le célèbre psychanalyste Donald Winnicott a fait l’un de ses supports théoriques, a connu un succès similaire. C’est qu’il s’agit là d’objets transitionnels (entre le monde réel et celui des rêves), permettant aux plus jeunes, via le jeu, de commencer à gérer leurs émois et pulsions. Il est à noter que ces objets, Kiki ou Teddy Bear sont des miniaturisations d’animaux plutôt impressionnants et hostiles (Gorille voir King Kong, ours, etc.) et en même temps humanisés puisque l’on peut les vêtir, les choyer. Ils permettent donc de surmonter une certaine angoisse primordiale encore contenue dans les figures animales monstrueuses, mais comme euphémisée par l’intermédiaire des jouets. Aujourd’hui, les Furby semblent  connaître un tel engouement, ou encore les Pokémons et autres Skylanders. En bref, des petites créatures étranges (et connectées) avec lesquelles les enfants peuvent interagir selon leurs propres modalités.  

Pourquoi Kiki s'écrit désormais Chichi ?

Kiki s’est toujours écrit Chichi, initialement disons. C’est au Japon que Monchhichi a vu le jour. S’il s’appelle de nouveau comme cela, c’est peut-être pour répondre à une envie d’authenticité, de retour aux sources. Et chūchū (le bruit de la tétine selon l’onomatopée japonaise) est sans doute plus adéquat avec l’identité intime du jouet.  

Par ailleurs, notons qu’avec les réseaux numériques, la mondialisation des normes et des valeurs et le commerce en ligne, les langues étrangères ne sont plus véritablement un obstacle à surmonter.

Retrouver le nom original des produits culturels révèle la manière dont on les consomme : instantanément, mais aussi, révèle l’hybridation des cultures.  

Où est-il fabriqué ?

Aujourd’hui tous les Kiki sont produits en Chine puis diffusés auprès de grandes marques à échelle nationale. Ce jouet suit les règles du commerce international en somme, connaissant son lot de malfaçons, contrefaçons et tout autant de tentatives pour désigner (d’un signe gravé sous les pieds du petit singe) un indice de sa qualité.

Quelles évolutions a-t-il connu au cours de son existence ?

Les kikis ont ceci de particulier qu’ils ont été produits selon différentes tailles (des plus grands : le Kiki géant d’une quarantaine de centimètres, au plus petits : treize centimètres) et puis surtout avec une multitudes d’accessoires et costumes. Ainsi, qu’il soit jardinier, clown, pompier, super-héros ou rappeur, Kiki représente un large panel d’aspirations élémentaires. Chacun pouvant se targuer d’avoir Son Kiki, presque personnifié. Cette souplesse est une qualité qui a permis au petit singe d’être sans cesse ajusté à l’air du temps et aux cultures locales.  

A-t-il toujours eu le vent en poupe ou a-t-il connu des baisses de régime ? 

La période qui a été la plus faste pour cette icône ludique est sans doute celle de son arrivée sur les continents européens et américains dans les années 80-90. Kiki a même fait l’objet d’une série animée. Il était protagoniste de Fuago no Monchhichi, « Les Monchhichis » (en France). Malgré qu’il soit aujourd’hui un peu dépassé, « MonChhichi » reste pour ainsi dire gravé dans les consciences collectives. Son retour, si ce n’est dans les contours du kitsch, reste  toujours possible.

Kiki a-t-il une chance de connaître un second souffle auprès de nouvelles générations ou n'est-il que convoité par les nostalgiques ? 

Au-delà des aspects nostalgiques et de cet appétit pour le kitsch et le vintage, Kiki peut séduire les jeunes générations s’il épouse les normes et valeurs contemporaines. Imaginons par exemple un Kiki Lil Kim, ou encore un Kiki Potter voir même un Kiki zombie puisque les enfants affectionnent, d’une certaine manière, les gentils morts-vivants ! Il suffirait donc que Kiki sache révéler les images qui font sens dans nos représentations collectives pour qu’il puisse à nouveau surfer sur le succès.  Cependant, ce qui est important de constater c’est que ce produit typique de la culture de masse tend à disparaître au profit d’objets relatifs à d’autres cultures émergentes. Avec un certain tribalisme en toile de fond, voyons comment la culture geek est à la fois riche, complexe et éclatée. Totoro, créé par Hayao Miyazaki (issu du film animé « Mon voisin Totoro » du studio Ghibli) est sans doute une image plus actuelle de ces objets-icônes. Ainsi, si les parents continuent de vouloir offrir des Kiki à leurs enfants, ces derniers seraient davantage susceptibles de devenir des collectionneurs de leur propre culture.

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