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Le FN n'est vraiment compétitif que dans une partie du sud-est de la France et dans certaines régions désindustrialisées.
Le FN n'est vraiment compétitif que dans une partie du sud-est de la France et dans certaines régions désindustrialisées.
©Reuters

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Triomphe du FN aux municipales, avènement du tripartisme, parti de la désespérance... Analyse de toutes ces idées fausses sur le Front national qu'il faudrait relativiser.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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1. Ces municipales sont un triomphe pour le FN 

Les médias, une bonne part de la classe politique qui s’inquiète et les responsables du FN eux-mêmes, Marine Le Pen la première, qui jubilent ont tendance à présenter ce premier tour des élections municipales comme un "triomphe pour le FN". Cela reste une exagération. Le FN gagne au premier tour (et encore d'extrême justesse) une mairie en tout et pour tout (Hénin-Beaumont). Les grands partis font bien mieux, surtout pour cette élection quand ils se situent à droite ou au centre-droit. La droite prend au premier tour un peu moins d'une trentaine de villes sur la gauche au sens large. La liste des réélections dans les grandes largeurs de leaders de droite est trop longue pour qu'on la rappelle ici. Il faut saluer tout de même l'exploit d'Alain Juppé à Bordeaux (60% des voix). A Marseille, Jean-Claude Gaudin, dont on pouvait vraiment penser qu'il tentait l'élection de trop, arrive très largement en tête avec 38%, loin devant le FN (23%) et devant le PS (21%). Le très vénérable Parti Radical (le plus vieux parti de France) est même capable avec Jérôme Baloge d'emporter Niort, un bastion socialiste s'il en est, au premier tour. L'arbre d'Hénin-Beaumont ne doit donc pas occulter le tableau plus général. Le FN est certes présent dans l'ensemble de la France, il va provoquer beaucoup de triangulaires, mais il n'est vraiment compétitif à la fin que dans une partie du sud-est de la France et dans certaines régions désindustrialisées (ou en voie de finir de l'être) du nord de la Loire. On verra au soir du second tour à quel point le FN, fondé pourtant en 1972, reste un parti disposant de peu de mairies, par rapport à ces géants de l'emprise territoriale que sont les partis traditionnels.


2. Il s'agit d'une victoire idéologique pour le FN

Il y a certes une progression partout en France du vote pour le FN, ce qui pourrait laisser penser à une conversion idéologique des Français, mais il faut faire aussi attention que le FN connait de très bons résultats dans certaines parties du sud de la France (par exemple le département du Var) ou dans certaines configurations urbaines bien typées du Nord du pays (comme justement Hénin-Beaumont ou Forbach). L'aspect périphérique du vote FN reste frappant comme aux élections précédentes. Il faudrait peut-être dire alors que le FN connait une victoire idéologique uniquement dans certains lieux bien précis, de fait, du point de vue de ses adversaires, c'est à la fois rassurant en ce qu'il y est confiné et inquiétant au sens où il va ainsi avoir l'occasion de s'enraciner, de créer à terme une contre-société. 

3. Le FN est un parti fasciste

Les diagnostics qu'on peut voir ici ou là selon lequel les bons résultats du FN témoigneraient d'un retour du fascisme que ce parti incarnerait sont erronés. Si l'on ne peut nier que ce parti se situe à l'extrême droite de l'échiquier politique français, l'utilisation du terme de fascisme à propos du FN ne correspond pas à grand chose. La victoire mutilée dont se plaignaient les fascistes italiens de 1919-1922, les aspirations à la grandeur impériale de l'Italie dans les années 1930, l'antisémitisme d'Etat de l'Italie d'après 1938, les rancœurs des combattants de la cause perdue de la République de Salo (1943-45), qu'est-ce que cela a à voir avec le FN français des années 2010 ? Pas grand chose, sinon la flamme du symbole du FN qui s'inspire de celle des néo-fasciste du "Mouvement social italien" (MSI) des années 1946-1995. Plus généralement, les conditions historiques qui ont produit le phénomène fasciste au sens large en Europe entre 1890 et 1940 et qui n'a pas épargné la France n'ont rien à voir avec la situation de l'Europe d'aujourd'hui, en particulier parce que le fascisme historique se conçoit entre autres comme une contre-attaque contre un mouvement ouvrier alors sur la pente ascendante, mouvement organisé par les syndicats de la classe ouvrière, les socialistes et les communistes. Aujourd'hui, le FN prétend venir au secours des classes populaires, des ouvriers, des petits, des sans-grade, comme aurait dit Jean-Marie Le Pen, alors même que ces derniers voient leur poids politique diminuer d'année en année dans la société française et européenne en voie de désindustrialisation. L'ambiance est pour le moins un peu différente. Hénin-Beaumont en 1936 n'est pas Hénin-Beaumont en 2014. Pour ne pas parler de l'idéalisme nationaliste d'alors, dont les échos d'aujourd'hui font plutôt pâle figure. 


4. Le FN est le parti de la désespérance

Assimiler le FN au parti de la désespérance parait plutôt rapide et simpliste. En effet, les gens vraiment désespérés ou marginalisés au sens strict du terme ne vont sans doute pas beaucoup voter, ils font plutôt partie des abstentionnistes permanents qui ne participent pas à la vie électorale du pays, parce qu'ils sont trop en marge de la société française ou du monde du travail pour le faire. Pour voter, il faut disposer d'un minimum de ressources sociales. Au contraire, comme tous les partis d'ailleurs, le FN mobilise des électeurs qui ont encore envie d'aller voter, donc qui croient que cela sert à quelque chose, qui ne sont pas désespérés ou marginalisés au sens strict du terme, qui ont encore quelque chose à défendre. 


5. Il faut un front républicain pour barrer la route au FN 

L'appel au front républicain suppose que le FN soit un parti anti-républicain, qu'il se prépare de quelque façon à abolir la forme républicaine de l'Etat, ou qu'il cache des intentions particulièrement malignes. Dans ce cas, plutôt que d'appeler à un front républicain dans les urnes, le gouvernement qui en a le pouvoir devrait l'interdire purement et simplement. Il faut croire qu'il n'a pas assez d'éléments probants pour soutenir ensuite une telle accusation devant les tribunaux (français puis européens), ou qu'il néglige ses devoirs de protection de la République contre des factieux supposés. D'un point de vue plus systémique, le scrutin à deux tours permet effectivement aux deux grands partis de bloquer l'arrivée de challengers, comme le FN en l'occurrence. Je ne crois pourtant pas que cela soit tellement souhaitable du point de vue de la prise en compte de tout l'électorat : les électeurs du FN doivent aussi avoir le sentiment que leur camp peut gagner de temps à autre, et qu'ils ne sont pas exclus à tout jamais du jeu, ce qui pour le coup risquerait d'alimenter leur mépris de la démocratie représentative à la française, de la République en somme. Par ailleurs, du point de vue de l'électeur de droite au niveau d'une commune, je vois mal ce genre d'appel avoir un effet très important. Par contre, cela peut amener des électeurs de gauche à aller voter en se pinçant le nez pour un candidat UMP ou UDI-Modem menacé par le FN. 

6. La progression du FN marque l'avènement du tripartisme 

Qu'il existe une tripartition de l'électorat (extrême droite/droite/gauche) est un argument qui peut être accepté, en faisant toutefois remarquer que la sensibilité d'extrême droite reste très minoritaire dans l'électorat en général. Par contre, il faut faire attention que chacune de ces grandes sensibilités politiques est représentée par plusieurs partis. Le FN parait très dominant dans son camp, mais il existe aussi des dissidences comme la "Ligue du sud", le "Bloc identitaire" et quelques autres. La droite modérée est divisée pour simplifier beaucoup entre l'UMP, l'UDI et le Modem. La gauche comprend, toujours pour simplifier à grands traits, le MRG, le PS, EELV, le PG, le PCF, sans compter LO, NPA et quelques autres chapelles d'extrême-gauche sans paroissiens. Malgré un mode de scrutin, qui tend au bipartisme, la France reste un pays multipartite. Cela se voit bien au niveau des municipales justement. Il y a le continent des "sans étiquettes", des "divers droite" et des "divers gauche". Il y a aussi le fait que dans chaque camp des rééquilibrages s'opèrent. Ainsi, à gauche, il semble que le PS soit particulièrement victime du vote-sanction, alors que ses alliés d'EELV subissent peu l'usure du pouvoir. A droite, on dirait bien que l'alliance UDI-Modem fonctionne sur le terrain. Bref, ne voir que le FN, l'UMP et le PS est une simplification abusive de la vie politique française, d'autant plus étonnante que les municipales permettent au contraire de mesurer la diversité à l'oeuvre sur le territoire !


7. Si le FN progresse, c'est grâce à sa normalisation 

La progression du FN, surtout par rapport à 2008, comme cela a déjà été beaucoup dit, tient d'abord à sa capacité renouvelée de présenter des listes dans beaucoup d'endroits (mais pas encore partout). Sur les villes de plus de 10000 habitants, il passe d'un peu moins de 1% en 2008 à un peu de 9%. Cette progression s'explique surtout par le fait qu'en 2008, le FN était grillé par sa défaite cuisante de 2007 à la Présidentielle, et avait dans le fond failli disparaître à ce moment-là. On pourrait remarquer cependant que les derniers jours de la campagne ont certes été marqués par quelques incidents portant sur la constitution de ces listes, mais cela correspond à la difficulté plus générale d'un parti diabolisé depuis des lustres d'engranger des soutiens publics de la part des citoyens. Il faut dire aussi que les dégâts de la rupture avec les "mégretistes" en 1998 et de la séquence 2007-8 se résorbent désormais et le FN a réussi à reconstituer un minimum d'organisation nationale assez professionnelle pour être capable de s'implanter. 


8. Le FN est un parti incapable de gérer 

La gauche a beaucoup insisté sur l'échec du FN à gérer les communes qu'il avait conquis en 1995. C'est toutefois oublier qu'un ex-FN, Jacques Bompard, l'actuel leader de la "Ligue du sud", vient d'être réélu en 2014 maire d'Orange au premier tour. Il est donc possible en France d'être d’extrême droite, et de bien gérer une mairie, tout au moins aux yeux d'une nette majorité de ses propres électeurs. Il est probable que la direction du FN ait médité la leçon des années 1990 et cherchera à éviter les erreurs faites alors dans le choix de ses élus. Cependant, il reste que les maires FN, déjà celui d'Hénin-Beaumont en tout premier lieu, vont être confrontés aux limites intrinsèques des lieux mêmes  qu'ils vont avoir à gérer : il y a en effet des villes plus simples à gérer que d'autres, en effet, gérer une ville en proie à la désindustrialisation ne va pas du tout de soi, pour aucun parti d'ailleurs ! 


9. Les électeurs UMP et FN n'ont rien en commun

Comme l'ont montré les élections présidentielles de 2007 et de 2012, les électeurs ont au moins en commun de vouloir battre le candidat de la gauche au second tour. Contrairement à ce que prétend parfois Marine Le Pen, le FN se situe à la droite de la droite par son électorat. On n'utilise pas pour rien le terme d'extrême droite, cela correspond bien à ce qu'on observe comme gradation des attitudes dans les sondages entre les électorats FN, UMP, UDI et Modem. La radicalisation d'une partie des militants UMP les rapproche sans doute des thèses du FN, mais notons qu'à ce stade,  il reste toujours des différences majeures entre ces électeurs sur l'Europe, sur la mondialisation et même sur l'immigration.
Pour aller plus loin : notre sondage montre qu'une majorité des sympathisants pensent qu'ils doivent vivre ensemble ; divisés sur l'économie mais pas sur les valeurs et notamment la place du régalien ; Relance de la question des alliances UMP-FN

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