Ce que les nouvelles technologies peuvent changer à la nature du pouvoir et à la sincérité de son exercice<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Ce que les nouvelles technologies peuvent changer à la nature du pouvoir et à la sincérité de son exercice
©

Les murs ont des oreilles

L'affaire des enregistrements effectués par Patrick Buisson s'ajoute à une multitude d'affaires d'espionnages. Ces écoutes sont rendues possibles par les nouvelles technologies, qui affectent ainsi la confiance et la sincérité censées prévaloir dans les cercles politiques les plus restreints.

Benoît Thieulin

Benoît Thieulin

Benoît Thieulin est le fondateur de l'agence La Netscouade et président du Conseil National du Numérique.

En 2006-2007, il a participé à la campagne Internet de Ségolène Royal, notamment à travers la création du site Désirs d'Avenir.

 

Voir la bio »

Atlantico : Le téléphone d'Angela Merkel espionné par la NSA, les boîtes mails de présidents piratées, et maintenant les conversations de Nicolas Sarkozy enregistrées : les nouvelles technologies ont-elles rendu impossible aujourd'hui, même dans les plus hautes sphères de l'Etat, de tenir une conversation dont la confidentialité soit totalement garantie ?

Benoît Thieulin : Absolument. Toutes les actualités de ces derniers mois dessinent par petites touches l'ampleur du phénomène. Celui-ci est d'ailleurs beaucoup plus important qu'on l'imagine. On n'a pas bien pris la mesure de deux conséquences : la numérisation de l'information du monde et sa connexion ; et l'effondrement des coûts des technologies de surveillance. Jusqu'à très récemment, seuls les grands Etats et les grandes entreprises disposaient de facultés d'espionnage élevées. Aujourd’hui n'importe qui peut acheter sur internet des micros et des caméras miniaturisées, dont même James Bond pendant la Guerre froide n'aurait pas osé rêver.

Tous ces éléments conjugués posent un problème considérable, celui de l'enregistrement permanent de tout ce que l'on peut faire, et notamment à notre insu. Un exemple qui n'est pas des moindres : une porteuse de Google glass est entrée il y a quelques jours dans un bar aux Etats-Unis, et s'est faite tabasser. Le fait est intéressant car il témoigne d'une prise de conscience dans l'opinion publique – certes un peu brutale en l'occurrence – que les usages intégrés dans notre quotidien créent une possibilité de surveillance extrêmement forte.

Pour revenir aux enregistrements faits par Patrick Buisson, on pouvait jusqu'à présent s'imaginer que les conversations d'un président étaient totalement confidentielles et protégées. Et on se rend compte que non, que ce soit par le biais d'écoutes de la NSA ou d'enregistrements "sauvages". Rappelons-nous toutes ces situations dans lesquelles des candidats et des présidents se sont fait enregistrer à leur insu…

Au niveau politique le plus élevé,  prend-on conscience du danger représenté par les nouvelles technologies ?

Pas suffisamment. Notre monde est connecté, nos échanges sont faits par écrit ou exposés à l'enregistrement numérique, des webcams peuvent servir à espionner. Notons également que quasiment plus aucun reportage télé n'a lieu sans qu'une caméra cachée soit utilisée à un moment donné. C'est désormais un outil de base du journaliste d'investigation.

D'une part les décideurs n'en prennent pas suffisamment conscience, mais ils ne se rendent pas compte non plus des capacités de traitement. Les datas et la couche algorithmique d'aujourd'hui permettent de retirer les éléments qui nous intéressent le plus en très peu de temps, même lorsqu'on est en possession de centaines d'heures d'enregistrement.

On voit bien que peu d'hommes politiques prennent les mesures suffisantes : voyez Angela Merkel, qui s'est faite écouter. Il faut donc qu'ils changent de portables, que leur messagerie soit cryptée, et qu'ils revoient leurs protocoles.

Les conséquences de cette prise de conscience sur l'exercice du pouvoir peuvent-elles être plus graves qu'on ne le pense ? La sincérité et la confiance sont-elles des notions appelées à disparaître, par crainte de chacun de voir ses paroles ou ses écrits rapportés auprès du grand public, ou utilisés comme objet de chantage ?

Après être entré dans un monde dans lequel il a fallu courir après les usages, s'adapter aux nouvelles technologies, les services de sécurité vont devenir de plus en plus sourcilleux sur les contrôles. On n'entre pas dans le Bureau ovale sans avoir déposé son téléphone à l'entrée, par exemple. Ce type de précaution pourrait être introduit en France. Au-delà, les chefs politiques comme les particuliers vont devoir de plus en plus se tourner vers les méthodes de cryptage. De plus, il faut bien avoir à l'esprit que l'effondrement de toute capacité d'intimité ou d'échange confidentiel, cela s'appelle le totalitarisme. Le fait de ne pas se trouver systématiquement dans une situation de parole publique est un gain démocratique.

Je pense que le monde numérique ne nous empêche pas de reconstruire et de reposer la question des différents niveaux d'intimité ou de publicité. Dans certains cas, à l'inverse, le fait de rendre publiques un certain nombre de paroles, n'est pas forcément anormal. Il n'y a pas si longtemps un homme politique pouvait dire une chose et son contraire à deux endroits différents sans que cela ne se sache. Obliger la politique à une plus grande cohérence et à une plus grande sincérité est un acquis du numérique. Pour autant, cela doit-il empêcher des responsables politiques de tenir des discussions confidentielles (qui pourront être archivées et révélées plus tard dans une perspective historique) ? Je ne crois pas. Il faut pouvoir se ménager des espaces de confidentialité, en préalable à des prises de décision. Ils sont nécessaires, et on fera en sorte de les retrouver.

A partir de votre expérience de conseiller politique, dans quelles situations concrètes cette absence de confiance peut-elle avoir des conséquences fâcheuses ?

Les prises de décision stratégiques donnent nécessairement lieu à des discussions, en politique comme en entreprise, et les choses sont faussées dès lors que la concurrence peut savoir ce qui se dit en secret. Ce qui n'exclut pas l'archivage des délibérations.

Un débat équivalent s'est tenu autour de Wikileaks : la diplomatie a-t-elle besoin de confidentialité et de secret ? Oui. Mais par sa culture du secret, n'est-elle pas allée trop loin ? De toutes les politiques menées par des démocraties, les politiques étrangères sont certainement celles qui échappent le plus au contrôle démocratique. Et donc, si les affaires diplomatiques n'étaient pas secrètes à ce point-là, peut-être que l'affaire Wikileaks aurait révélé beaucoup moins de choses, et n'aurait pas eu cet impact.

Cela pour dire que toutes ces révélations reposent la question du niveau auquel placer le curseur de la confidentialité dans les habitudes du pouvoir.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !