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Syrie : pourquoi la bataille d'Alep est absolument déterminante
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Géopolitico-scanner

Face à l’offensive majeure lancée ces derniers jours par les rebelles islamistes syriens, les forces du régime de Damas et leurs alliés russes puis chiites iraniens et hezbollahis ont repris des positions à Alep, mais le manque de troupes au sol est patent et l'issue de la bataille demeure incertaine.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Rappelons que la ville d'Alep, la deuxième plus importante de Syrie, est divisée depuis juillet 2012 entre les quartiers-Ouest, tenus par le régime, et les quartiers-Est, tenus par les rebelles islamistes-djihadistes, eux-mêmes assiégés par les forces de Damas depuis le 17 juillet 2016 . En fait, la bataille d'Alep est l'une des étapes les plus cruciales de la guerre civile syrienne. L'objectif des forces rebelles syriennes est d’ouvrir un corridor entre les zones périphériques d’Idlib/Alep et les quartiers assiégées par les forces loyalistes à l’est d’Alep dans le cadre d'une vaste offensive plus globale visant à renverser à terme le régime baathiste de Damas. Officiellement, certains groupes membres de cette coalition islamo-djihadiste se déclarent et sont présentés comme des « rebelles modérés », mais ont sait que les organisations djihadistes liées à Al-Qaïda dominent largement et que les groupes les plus « modérés » (soutenus par les Etats-Unis, la France et leurs alliés turcs et du Golfe) se sont engagés à appliquer la charià de façon intégrale et à annihiler les minorités « mécréantes » non-sunnites, notamment les alaouïtes, les chiites, les druzes et les chrétiens.

Les rebelles ont tout d'abord essayé de prendre ces derniers jours le quartier gouvernemental de Ramoussa puis tenté d'ouvrir un axe de ravitaillement vers leurs fiefs à l'est de la cité. De son côté, le régime, qui semble parvenir à repousser les assauts des rebelles islamistes-djihadistes, ambitionne de reconquérir Alep, assiégé par moult organisations islamistes rebelles depuis des années et laissées dans une situation humanitaire plus que critique à laquelle la presse occidentale, d'habitude si prompte à dénoncer le siège de villes islamistes rebelles par le régime de Damas, ne semble pas faire beaucoup de cas. La Turquie, les monarchies du Golfe et les pays occidentaux, qui soutiennent les opposants islamistes syriens présentent ces rebelles sunnites comme des forces «rebelles modérées», mais plus personne aujourd'hui n'ignore qu'il s'agit en grande majorité de groupes ultra-radicaux liés aux branches djihadistes des Frères musulmans et aux organisations terroristes, à commencer par le Front Fatah al-Cham, nouveau nom d'Al-Qaïda en Syrie qui vient de se distancier officiellement de la maison-mère afin de paraître plus « présentable » et de tenter d'être intégrée aux forces d'opposition officiellement reconnues par les Nations unies dans le cadre des pourparlers sur la transition en Syrie. Du côté du régime, les troupes de Damas peuvent toujours compter sur l'aide décisive sur le plan aérien de l'aviation russe et sur le plan terrestre des forces iraniennes et du Hezbollah chiite libanais.

Les rebelles soi-disant « modérés » syriens empêchent les civils sunnites de fuir les bombardements des armées syrienne et russe

Face aux allégations des rebelles sunnites syriens et de leurs alliés du Golfe et américains qui accusent systématiquement le régime syrien et la Russie de s'en prendre aux populations civiles innocentes - ce que la presse des pays occidentaux relaie également dans le cadre d'une vision manichéenne visant à mettre au même plan Da'ech et les forces pro-Assad - rappelons qu'avant de se lancer dans cette nouvelle bataille, le régime de Damas et l'armée russe ont proposé l'ouverture de plusieurs « couloirs humanitaires » visant à évacuer les civils vivant dans les quartiers rebelles et assiégés depuis juillet dernier. Ces propositions ont été refusées par les moujahidines syriens qui préfèrent, comme à Gaza, utiliser ces populations civiles comme boucliers humain et armes de chantage moral dans le cadre d'une « guerre des représentations » par médias interposés dont la finalité est d'acculer l'ennemi à commettre le maximum des dommages collatéraux pour le diaboliser aux yeux de ladite « l'opinion publique internationale ». En fait, parmi les 250 000 habitants qui seraient restés bloqués dans les quartiers rebelles et qui manquent de soin et de nourriture, on sait que la plupart ont été contraints par les rebelles et les forces djihadistes de rester, de nombreux adolescents étant même obligés de participer à des opérations suicides-kamikazes après avoir été drogués et après que leurs familles aient été menacées.

Autre sujet de désinformation favori : le thème de l'utilisation de l'arme chimique est revenu au premier plan ces derniers jours. Pour l'opinion publique et les auditeurs lambda occidentaux, le forfait est forcément imputable au régime syrien, systématiquement accusé de « crimes contre l'humanité » et d'avoir « tué 250 000 personnes », alors qu'en fait les experts attestent que la répartition des morts est assez « équitable » entre le régime et les insurgés. Ces jours-ci, l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) a dénoncé le fait que du chlore ait été utilisé lors d’un bombardement près de cette ville du nord de la Syrie, mais dans l'état actuel des choses, les experts ont observé que les cas de personnes intoxiquées par des armes chimiques concernaient les populations vivant dans les zones pro-régime et les soldats syriens loyalistes. Comme l'a rappelé non sans ironie le ministère russe de la Défense aux autorités américaines, le groupe armé réputé « modéré » à Washington, Harakat Nour al-Din al-Zenki, à qui l'on doit l'atroce assassinat le 22 juillet dernier d'un garçon palestinien sunnite de 12 ans filmé décapité comme dans les vidéos lugubres de Da'ech, a utilisé à plusieurs reprises des matières toxiques à Alep, notamment lors de l'attaque à l'arme chimique survenue le 2 août qui fit 7 morts et 25 blessés. Le but des « insurgés modérés » consiste en fait à terrifier les populations sunnites qui tentent de fuir les régions de l'est de la ville et de les garder comme bouclier humain. Rappelons qu'outre le meurtre atroce de l'adolescent palestinien, le groupe Harakat Nour al-Din al-Zenki a déjà été épinglé à de nombreuses reprises par Amnesty International qui l'accuse d'avoir commis des actes de torture. Malgré cela, les Etats-Unis qui accusent constamment la Russie et le régime de s'en prendre à ce type de groupes « modérés » ou à d'autres comme Ahrar al-Sham, Jaich al-Islam, etc, continuent d'appuyer les organisations islamistes combattantes liées aux Frères musulmans qui n'ont parfois rien à envier à Da'ech et à Al-Qaïda. C'est dans ce contexte de « daechisation » de la rébellion « modérée » qu'ont été lancées des attaques chimiques contre des quartiers résidentiels d'Alep face à la contre-offensive victorieuse des forces syriennes loyalistes et de leurs alliés.

Les masques sont définitivement tombés

Jusqu'à ces derniers événements, les Etats-Unis avaient tout fait pour protéger les forces rebelles liées à Al-Qaïda en Syrie et ont systématiquement accusé l'armée russe de ne frapper que ces « modérés » aidés par leurs « alliés » du Golfe et d'épargner l'Etat islamique. Après le vote de la résolution des Nations Unies qui bannissait les organisations djihadistes comme Da'ech et Al-Qaïda et qui excluait ces groupes des pourparlers entre Damas et les forces insurgées dans le cadre des rencontres de Genève, Washington a essayé de faire oublier son soutien à des groupes djihadistes proches d'Al-Qaïda en proposant aux Russes des opérations communes contre Al-Nosra. Pendant ce temps, les Etats-Unis et leurs alliés du Golfe, embarrassés par l'initiative russe visant à exclure des pourparlers et du Haut Comité des Négociations (HCN) d'autres groupes tout aussi djihadistes comme Ahrar al-Sham ou Jaich al-Islam, liés à Al-Nosra, la stratégie occidentalo-sunnite a consisté à faire en sorte que Jabhat al-Nosra (Al-Qaïda en Syrie), déjà un temps camouflé dans un front Jaich al-Fatah, soit relookée en devenant Fatah al-Sham, puis à faire croire à une coupure des liens avec Al-Qaïda central, ce que les médias « occidentaux » et surtout les monarchies du Golfe qui l'ont sponsorisé ont relayé. Mais la persistance de la diplomatie russe à refuser de reconnaître comme interlocuteurs opposants acceptables tous les groupes djihadistes et pas seulement Al-Qaïda et Da'ech en tant que tel puis la médiatisation des atrocités récemment perpétrées par des groupes modérés alliés à Al-Qaïda ont fini par dévoiler au grand jour la triste réalité du terrain, à savoir que les groupes d'opposants laïques-modérés ont été totalement absorbés par les djihadistes qui donnent le ton et dictent leurs programmes chariatiques totalitaires aux autres groupes.

Désigner l'ennemi principal

Aujourd'hui, l'enjeu est hélas devenu presque aussi manichéen que ce que laissait croire depuis le début du conflit le régime et que l'Occident refusait de regarder en face : soit nous définissons l'ennemi principal, c'est-à-dire celui qui, au nom d'une vision chariatique et califale totalitaire veut soumettre l'ensemble du monde « mécréant », y compris nos sociétés, et alors nous cessons d'aider des rebelles islamistes soi-disant « modérés » ; soit nous continuons au contraire à refuser de désigner l'ennemi principal et nous continuons d'appuyer des forces islamistes en les associant directement ou indirectement aux pourparlers sur l'avenir de la Syrie comme le veulent Riyad et Doha, ceci en excluant le régime de Damas et les forces laïques appuyées par Moscou. Le risque est alors de donner ce pays un jour aux partisans d'une Syrie « christianrein », d'un « Sunistan chariatique ou néo-califal» purifié de toutes ses minorités religieuses et de ses derniers laïques sunnites ou non-sunnites. La prochaine étape géopolitique après cette victoire des forces islamistes-djihadistes et frères musulmans en guerre contre tout pluralisme et toute forme de laïcité seront, à n'en point douter, le Liban voisin, puis la Jordanie et la Palestine, que les nombreux groupes syriens qui ont mis dans leur libellé le mot « Sham » considèrent comme des parties intégrante de leur futur Etat panislamiste appelé Sham et qui englobe tout le Proche Orient arabophone...

De la même manière, les pourparlers sur la Syrie qui ont échoué jusqu'à présent en raison de l'obstination irréaliste des Occidentaux, des capitales sunnites du Golfe et de leurs protégés du Haut Comité des Négociations (rebelles islamistes syriens) à poser comme condition préalable le départ de Bachar al-Assad et l'intégration de groupes djihadistes dans l'opposition puis l'exclusion des opposants pacifiques laïques appuyés par Moscou, a aboutit à une impasse totale, à un blocage et à un pourrissement de la situation dont se nourrissent les forces les plus violentes qui se contre-fichent tellement de la paix et de la vie de leurs populations qu'ils ont empêché celles-ci de fuir les bombardements de l'armée syrienne et de ses alliés dans les quartiers.

Il est temps que l'Occident choisisse son camp et définisse l'ennemi principal de façon réaliste et sans chercher à plaire aux capitales du Golfe. Il est également temps de mettre sur pied une réelle coopération occidentalo-russe face à cet ennemi principal commun. De son côté, la Russie serait également bien inspirée de revenir sur son semi-désengagement et de s'engager au contraire plus massivement encore dans la contre-offensive face aux djihadistes car la simple hypothèse que le régime tombe face aux troupes djihadistes et islamistes coalisées à cause du grave manque de troupes au sol de l'armée syrienne est inacceptable pour Moscou comme pour l'Occident et même l'ensemble des pays voisins, y compris la Turquie post-coup d'Etat qui se rapproche des BRICS et de la Russie. En revanche, une fois réduit l'ennemi principal, l'Occident doit comprendre que la Russie, loin d'être par principe opposée à tout changement à la tête du régime syrien, est le seul pays capable de favoriser une transition progressive en Syrie dans le cadre d'une reprise des pourparlers fondée non pas sur un départ préalable de Bachar al-Assad mais sur un remplacement de ce dernier par une personnalité fiable issue du régime baathiste mais prompte à négocier en échange d'une porte de sortie acceptable pour l'ancien dictateur et son entourage et surtout d'une préservation des intérêts et de la sécurité de l'élite baathiste-alaouite du régime et des minorités ethno-religieuses (Kurdes, Alaouïtes, druzes, chrétiens, chiites, etc) qui pèsent tout de même plus de 30 % de la population, sans oublier les sunnites baathistes et laïques anti-islamistes qui sont bien plus nombreux que l'on croit mais qui n'ont pas de combattants au sol. 

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