Pourquoi être végétarien n'est pas nécessairement une bonne chose pour la planète (et même une très mauvaise chose si vous habitez dans une région aride)<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Science
Pourquoi être végétarien n'est pas nécessairement une bonne chose pour la planète (et même une très mauvaise chose si vous habitez dans une région aride)
©

Atlantico Green

Si le véganisme et les régimes végétariens signent un retour en force ces dernières années dans les assiettes des Français, ils ne sont pas gages d'une agriculture écologique et durable. C'est ce qu'affirme l'agronome américaine Sarah Taber. Son homologue Alexandre Carré a répondu à nos questions.

Alexandre Carré

Alexandre Carré

Alexandre Carré est ingénieur agronome, formé à l’université d’Angers, capitale du Végétal.

Il a été nourri de publications scientifiques, formé à la rigueur de la démarche scientifique et confronte depuis les promesses de la science aux réalités du terrain.

Conscient que l’Agriculture est un domaine clé, en constante évolution, il s’intéresse aux nombreuses innovations qui font évoluer rapidement ce secteur si indispensable à nos sociétés. Ainsi, il utilise assidument le réseau social Twitter où se retrouve une importante communauté d’agricultrices, d’agriculteurs et d’acteurs des filières agricoles. Il alimente, à titre personnel, 3 comptes dédiés à l’Agriculture : @alexcarre49, @FuturAgricultur et @UrbAgriculture.

Voir la bio »

L'agronome américaine Sarah Taber affirme que les régimes végétariens ne sont pas nécessairement bon pour l'environnement et qu'ils seraient par conséquent adaptés à des régions particulièrement humides là où les régimes "carnés" correspondraient à des régions plus désertiques, très froides ou alors où la végétation n'est pas comestible. Si demain toute la planète devenait végétarienne, voire vegan, courrions-nous à notre perte ?

Alexandre Carré : C'est un sujet très vaste... Rapprocher l'évolution des régimes alimentaires aux agricultures possibles en fonction des conditions climatiques est particulièrement intéressant. Cela permet de revenir à la notion d'être omnivore et à l'évolution de l'espèce humaine en tant que telle. Aujourd'hui les scientifiques s'accordent sur le fait que ce qui a différencié la branche humaine de l'évolution c'est justement sa capacité à s'adapter aux évolutions de son environnement et par extension de devenir omnivore lorsque la ressource végétale devenait plus rare. Là où d'autres singes sont restés végétariens – certains singes sont omnivores -, les ancêtres de l’être humain ont dû faire varier leur alimentation dans cette région d'Afrique, berceau de l’humanité, qui devenait de plus en plus désertique. Un régime omnivore, mélangeant aliments d’origine végétale et animale est plus adaptable, plus modulable en fonction de l’environnement et des variations climatiques. Ce régime a donné un véritable avantage évolutif à notre espèce. De fait, cet argument est valable pour d’autres espèces, celles qui ont des régimes très spécifiques sont moins résilientes que celle ayant des régimes diversifiés.

Pour revenir à la question, si demain la planète venait à exclusivement consommer des produits vegan ou végétarien courrions nous un risque ? Cette question est simpliste car elle omet beaucoup d'informations. Les bébés humains ne sont ni végétariens ni vegans par nature. Ils ont besoin de lait maternel ou d’un substitut produit à partir du lait de vache ou d’autres animaux. Considérer que tous les bébés devraient être nourris exclusivement au sein de leur mère ce serait oublier celles qui ne peuvent ou ne souhaitent pas le faire. De plus, notre mode de vie contemporain ne permet plus de nourrir les enfants assez longtemps au sein. Si le lait maternel reste incontestablement la meilleure alimentation pour le bébé, la possibilité de pouvoir se tourner vers des produits de substitutions fabriqués à partir le lait de vache ou de lait de chèvre est indispensable mais implique parallèlement la nécessité de pratiquer l’élevage.

D'ailleurs d'un point de vue général, et c'est ce que je trouvais intéressant dans l'article que vous m'avez envoyé, c'est le fait d'avoir une vision globale de l'agriculture. On ne peut pas juste dire «  produire de la viande pollue davantage que de produire des végétaux donc mangeons seulement des végétaux pour moins polluer ». Ce raisonnement est simpliste et manque d'une vision globale de l'agriculture.

Pour produire des végétaux, on a besoin de fertiliser les sols avec des matières organiques donc, pour produire de l'alimentation végétale, on a besoin des animaux. J'ai rencontré un éleveur qui me proposait de poser la question sous une autre forme : Plutôt que de se demander si l'on doit ou pas faire de l'élevage, il s’agit plutôt de se demander ce que l'on fait des animaux qu’il nous faut élever pour avoir une agriculture cohérente et efficace. Cette question a le mérite de prendre le problème sous un autre angle.

Il y a une seconde approche. D’un point de vu purement environnemental, le fait de consommer de la viande est souvent associé à une pratique polluante du fait que pour produire ces aliments carnés concentrés et riches cela nécessite l'exploitation en amont d’une grande quantité de matière premières végétales. Vu par le bout de la lorgnette, on pourrait se dire que plutôt que de donner à manger des végétaux aux animaux avec un mauvais rendement énergétique, on pourrait consommer directement ces végétaux. Ainsi on pourrait nourrir plus de gens en polluant moins. C'est le principal argument avancé par ceux qui s’opposent à l’élevage. Je crois que c'est oublier que la plupart des animaux consomment soit une alimentation que nous ne pouvons pas digérer, l'herbe pour les ruminants, soit des co-produits dont la qualité est insuffisante pour l’alimentation humaine dans le cas des monogastriques (poulets, cochons). En France, l’herbe constitue environ 60% de la ration des bovins et la prairie est la première culture. Elle représente environ 13 millions d'hectares. Pour partie, ces terres sont cultivées en prairie car il est impossible d’y cultiver autre choses (terres inondables, trop pauvres ou trop superficielles). Dans d’autres cas, les prairies sont utilisées pour avoir une rotation longue permettant de maitriser les mauvaises herbes et d’enrichir le sol. En fait, il n'est absolument pas envisageable de dire que demain, ces surfaces utilisées pour cultiver de l’herbe soient toutes reconverties dans la production de nourriture végétale pour les humains. Ce n’est pas possible d’un point de vu agronomique ni logique d’un point de vu environnemental.

L'argument de Taber pointe les ressorts  idéologiques des courants végétariens qui ne prendraient pas en compte la spécificité des terrains. La vraie solution écologique ne serait-elle donc pas de se priver forcément de viande mais au contraire se nourrir exclusivement de produits faciles à cultiver localement ?

Quand on parle d’agriculture, il faut nécessairement prendre en considération un système global qui inclut la climatologie et l’état des sols. Dans des zones arides ou des zones comprenant des périodes d'alternance de sécheresses et d'humidité, certains légumes et céréales de notre alimentations se révèlent très difficiles à produire. Parfois, seule de l'herbe peut être produite sur une courte période, et seuls les animaux sont capables de valoriser cette ressource. Ils ont donc une place essentielle dans l'écosystème et la chaîne alimentaire. Dans des zones sèches ou soumises à des contraintes climatiques importantes, il serait naturellement inepte d’irriguer, de drainer, de chauffer ou de refroidir, de travailler et d’amender la terre pour essayer de produire des plantes qui auraient énormément de mal à pousser et qui produiraient peu. Là où seule l’herbe pousse, la façon la plus écologique, la plus cohérente, la plus durable et la plus rentable de produire de la nourriture, c’est de produire des animaux qui eux sont capables de valoriser cette ressource

Opposer alimentation animale et alimentation végétale d’un point de vu environnemental, c’est manquer d'une vision globale des systèmes agricoles et cela ne permet pas d’être en mesure de proposer des solutions d’amélioration durables pour réduire les impacts environnementaux de ces systèmes.

Sarah Taber dénonce une forme de néocolonialisme. Au-delà de l'aspect idéologique, impose ton aujourd'hui à des pays en voie de développement des méthodes agricoles et des régimes alimentaires inadaptés ? Observe-t-on une uniformisation de ces modèles ?  

Je n'ai pas à me positionner sur les propos de l'auteur, notamment sur celui de néocolonialisme. En revanche, je constate que dans nos pays développés, les régimes particuliers sont souvent des modes, des tendances qui ont souvent comme lieu de naissance commun la Californie. Cet état est assez précurseur vis-à-vis de ces mouvements idéologiques autour de l'alimentation. On se souviendra peut-être de la mode du "macrobiotique", du "crudivorisme", du régime "paléolithique" et maintenant du régime "vegan", des repas en poudre ou encore de la viande synthétique.

Portés par les réseaux de communications, ces mouvements se diffusent de plus en plus vite et de plus en plus loin.

Sans aucune information concrète sur ce sujet on peut néanmoins spéculer que ces modes alimentaires puissent aussi se diffuser dans des pays ou le climat, l’environnement et les traditions favorisent plutôt l’élevage…

Si on exclue la justification environnementale d'une consommation exclusive de végétaux, que reste-t-il pour justifier ce régime ? Des raisons médicales, rares, d’intolérance ou d’allergies mais surtout l'éthique et la religion. Pour beaucoup devenir végétarien ou vegan c’est d’abord refuser la mort des animaux d’élevage. Une approche d'autant plus simple à diffuser qu’aujourd'hui, particulièrement dans nos pays développés et urbanisés, les gens sont, depuis une voir deux générations, déconnectés de l'élevage et des procédés de fabrication de nos aliments. Ils n'ont jamais assisté à un abatage de poulet, de lapin, de cochon comme beaucoup avaient l'occasion de le voir auparavant dans les fermes familiales. Souvent, les seuls animaux qu'il est aujourd'hui possible de voir pour une grande partie de notre population sont les animaux de compagnie ou ceux que l'on voit à la télé…

Oui, l'argument qui s'entend et que tout le monde devrait pouvoir comprendre, c’est que chacun devrait pouvoir choisir librement le régime qui lui convient en accord avec ses convictions, sa vision de l'éthique ou sa religion. Des éléments sur lesquels on ne peut clairement pas se positionner et dire "tu as tort" ou "tu as raison".  L’argument environnemental à lui seul ne peut justifier le fait de choisir un régime plutôt qu’un autre.

D’un point de vu nutritionnel, le végétarisme n'est pas un souci car on peut soutenir ce régime en incluant des aliments comme les œufs, le lait ou le poisson qui permettent d’avoir une alimentation équilibrée. Le véganisme peut être en revanche plus problématique. On parle souvent de la vitamine B12 présente uniquement dans les produits animaux. Nos besoins sont faibles et, lorsque l'on adopte nouvellement un régime vegan ou végétalien strict, notre organisme dispose d'un stock de cette vitamine pour quelques années. Il est donc théoriquement possible de suivre un régime carencé en cette vitamine pendant 2 à 3 ans sans ressentir le moindre problème. Mais si une carence s’exprime, elle deviendra très préjudiciable. Un régime végan doit donc être impérativement complémenté avec de la vitamine B12 de bonne qualité et facilement assimilable.

Mais la vitamine B12 n’est pas la seule concernée. La vitamine A peut aussi poser problème. Le précurseur de cette vitamine, le Béta-carotène est bien présent dans les aliments d’origine végétale mais des chercheurs ont récemment mis en évidence que nous n’étions pas tous égaux pour convertir efficacement ces précurseurs en vitamine A efficiente. Génétiquement, près de 45% de la population seraient mal adaptés pour convertir les précurseurs végétaux de la vitamine A en vitamine A. Plus clairement, on a quasiment la moitié de la population mondiale pour qui le régime vegan ne serait pas adapté sans compléments alimentaires de vitamine A (sous forme de pilules).

Pour conclure, choisir un régime alimentaire végétarien et surtout végétalien pour des raisons environnementales est une mauvaise raison. Choisir ces régimes pour des raisons éthiques pourquoi pas, dans le même respect du choix des autres que l'on attend pour soi même et en étant particulièrement attentifs aux aliments que l'on consomme et surtout aux compléments alimentaires que l'on doit additionner à ces régimes.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !