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La France Temple solaire : un pays tout entier peut-il se suicider ?
©NICOLAS TUCAT / AFP

Viva la muerte !

On pensait que le Brexit était le paroxysme du grotesque, un plongeon dans l’inconnu né de l’ignorance, de la détresse ou de la naïveté et stimulé par une poignée de gourous aussi menteurs qu’irresponsables. On se trompait, il y a pire.

Hugues Serraf

Hugues Serraf

Hugues Serraf est écrivain et journaliste. Son dernier roman : La vie, au fond, Intervalles, 2022

 

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Dépressifs chroniques (ils sont notoirement les premiers consommateurs mondiaux d’antidépresseurs), volontiers irrationnels (ils complètent fréquemment leurs cocktails Valium-Tranxène de granules de sucre remboursées par la sécu), les Français sont en passe de se suicider collectivement au nom de croyances grotesques et sous les encouragements d’une poignée de gourous. Le Temple solaire à l’échelle d’une nation. En comparaison, le Brexit itself passerait pour une initiative informée et raisonnable…

Et à observer ces villes qui brûlent depuis des semaines, toute cette violence insensée présentée comme la catharsis qui leur rendra le bonheur, on se demande presque à quel moment la demande d'attribution de 72 houris fonctionnaires par électeur fera son apparition dans leurs cahiers de doléances facebookiens. Tiens, même ce déguisement jaune rappelle celui des bonzes qui s’immolent au diesel surtaxé pour arriver plus vite au paradis.

Mais parce que les micro-trottoirs de BFM-TV ne suffisaient plus au décryptage de leur théologie millénariste, j’ai fini par enfourcher mon biclou de bobo hors-sol pour aller taper la discute avec les bloqueurs de rond-points. Il existerait, ai-je ainsi appris, quelque part dans un palais national à moulures dorées peuplé d’énarques en costumes trois-pièces, une machine à fabriquer du pognon dont la clé de contact aurait été subtilisée en 1973 par une coalition européo-judéo-maçonnique et qui permettrait, tout à la fois, dès son moteur remis en route, d’augmenter les salaires, de baisser les impôts et de recruter des juges, des instits et des infirmières par dizaines de milliers.

Tondre les « riches », ces patrons à haut-de-forme et gros cigares qui ne recrutent que pour mieux licencier, et mettre le Luxembourg et les Bahamas à l’amende, ramènerait de surcroît des milliards de brouzoufs au bercail où ils financeraient la semaine des quatre jeudis, la retraite SNCF universelle, voire de nouvelles places gratuites en licence de socio pour tous les étudiants impécunieux de la planète. Pour ne rien dire d’un retour à la monnaie de singe par la sortie du carcan « ordolibéral » de l’euro, qui nous rendrait enfin plus compétitifs que les Chinois pour la fabrication de T-shirts et de seaux en plastiques et créerait tellement d’emplois que les fleuves de lait et de miel se remettraient à couler comme jamais...

Qu’on ne s’y trompe pas, je suis loin d’être un prix Nobel d’économie moi-même. J’ai besoin d’une calculette pour faire une division et je gère mon budget avec au moins autant de créativité irresponsable que n’importe quel gouvernement de la Ve République, mais ça n’engage que moi et je n’imagine pas qu’exploser la vitrine d’une boutique Apple ou mettre l’Arc de triomphe à sac me sauvera la mise en cas de disette. J’ai aussi lu deux ou trois livres qui n’ont pas été écrits par François Asselineau ou Frédéric Lordon, vu deux ou trois articles qui ne sont pas parus dans le Monde Diplo ou sur le blog d’Alain Soral, écouté deux ou trois réflexions qui n’ont pas été formulées par Jacline Mouraud ou Eric Zemmour... Il m’est même arrivé de visiter des pays où les comptes publics étaient dans le vert mais où les gens avaient pourtant du travail, les gosses des écoles et les malades des hôpitaux.

J’ai fini par en déduire que ni la voie vénézuelienne proposée par les uns, ni la piste hongroise proposée par les autres, n’avaient prouvé leur efficacité. Que la purification par la tabula rasa sauvage, l'étranglement progressifs de milliers de PME et, surtout, la liquidation de tout cadre institutionnel cohérent et démocratique au profit d’une concoction rouge-brune d’autoritarisme et de nationalisme n’étaient pas des solutions crédibles.

Mais en même temps [arf !], je n’ai évidemment pas rencontré que des bourrins bornés en descendant de mon vélo sur mes rond-points. Je suis aussi tombé sur des gens fragiles, émouvants, désespérés parfois, que les petites phrases à la gomme de Macron hérissaient à juste titre et qui demandaient juste à s’en sortir un peu mieux. Inutile de dire que je n'ai pas convaincu grand monde en expliquant que bonhomme, s’il n’est manifestement pas le messie réformateur et iconoclaste qu'on espérait, avait tout de même les bonnes intuitions. Que les choses pouvaient encore s’améliorer avant d'en venir au massacre de masse. Qu’ils avaient peut-être, nolens volens, initié un débat sur le rapport entre fiscalité et efficacité des dépenses publiques qui ferait enfin gamberger en haut-lieu.

Je suis remonté sur mon vélo pour rentrer dans mon hôtel particulier et manger du caviar à la louche en regardant Paris brûler sur mon écran géant à plasma. J’ai aussi jeté un coup d’oeil aux procédures de relocalisation express dans ces pays où l’on consomme moins d’antidépresseurs et où l’on ne prévoit pas de me suicider à l'insu de mon plein gré. Juste au cas où.

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