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Donald Trump : procédure de destitution ou coup d’État ?
©SAUL LOEB

Geopolitico-Scanner

Alexandre Del Valle revient sur l'ouverture de la procédure de destitution (impeachment) qui vise le président des Etats-Unis. Cette procédure pourrait renforcer Donald Trump et discréditer ses opposants démocrates.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Le 24 septembre dernier, la Présidente démocrate de la Chambre des Représentants, Nancy Pelosi, déclarait l’ouverture d’une enquête en vue d’une procédure de destitution (impeachment) visant le président américain, Donald Trump. Ce dernier est soupçonné par le parti démocrate d’avoir demandé au président ukrainien, fraîchement  élu, Volodymyr Zelensky, d’enquêter sur le fils de Joe Biden, favori du camp démocrate pour l’élection présidentielle de 2020.  

Alexandre Del Valle fait le point sur les chances d’aboutir de cette procédure et explique pourquoi elle est susceptible de renforcer Donald Trump et de discréditer ses opposants démocrates.

« J'en arrive à la conclusion que ce qui est en train de se passer n'est pas un impeachment, c'est un COUP D'ETAT visant à prendre le pouvoir du peuple, son vote, ses libertés, son deuxième amendement [qui garantit le droit au port d'armes], sa religion, son armée, son mur à la frontière, et les droits qui lui ont été donnés par Dieu en tant que citoyen des Etats-Unis d'Amérique». Telle a été la réaction, comme à son habitude offensive, du président américain sur Twitter, il y’a deux jours. Ce que l’on appelle à présent outre-Atlantique « l'Ukrainegate », est en fait parti d’une conversation téléphonique entre le président Trump et son homologue ukrainien Zelensky durant laquelle le premier aurait demandé au second d’enquêter sur les activités (très lucratives) menées par Hunter Biden – fils de l’ex vice-président de Barak Obama et candidat démocrate, Joe Biden – en Ukraine.

Pour y voir plus clair sur cet énième scandale autour du Président étatsunien le plus détesté par l'Establishment depuis Nixon, rappelons que le fils de Joe Biden, Hunter – ex membre du conseil d’administration du géant gazier Burisma -, avait déjà fait l'objet en Ukraine d’une enquête pour corruption lancée par le procureur ukrainien, Viktor Shokin. Ce dernier avait toutefois été étrangement destitué et l’enquête avait été soudainement abandonnée. En toute logique - et sachant que l'Ukraine fait partie du peloton de tête des pays les plus corrompus du monde,- les Républicains et Donald Trump lui-même ont soupçonné Joe Biden, fort embarrassé par l'affaire de corruption de son fils, d’avoir exercé - lorsqu’il était vice-président - des pressions sur Kiev et sur le procureur en charge du dossier afin que l’affaire soit classée sans suite et le fils Biden épargné. Bien que Trump ait assuré à plusieurs reprises que la conversation téléphonique n’avait rien de répréhensible, le camp démocrate s’est tout de même emparé de l’affaire et a profité de l’occasion pour lancer une procédure d’impeachment réclamée par une bonne partie du camp démocrate – notamment son aile gauche radicale. Pour paraphraser le défunt Charles Pasqua, tout semble indiquer que la stratégie des démocrates, prêts à tout pour empêcher que ne soit discréditée la candidature de Joe Biden, a consisté à "créer une affaire dans l'affaire". La phrase exacte prêtée à Pasqua et devenue célèbre au point d'être appelée le "théorème Pasqua", était la suivante : «Quand on est emmerdé par une affaire, il faut susciter une affaire dans l’affaire...». En bons adeptes de la guerre des représentations et de la contre-attaque, les démocrates ont lancé "l'affaire dans l'affaire" en accusant Trump d’avoir fait appel à un dirigeant étranger à des fins électorales personnelles, en somme d’avoir sollicité une nouvelle "ingérence étrangère" dans une élection. Paradoxalement, Trump qui était auparavant signalé pour sa proximité avec la Russie - accusée d’ingérence dans la campagne américaine pro-Trump de 2016 -, est aujourd’hui accusé d’être cette-fois-ci proche des Ukrainiens, pourtant ennemis jurés du pouvoir de Moscou ! "Peu importe la cohérence du moment que l'on peut nuire"...

Le fait que cette demande du président américain à son homologue ukrainien ait été révélée par un "lanceur d’alerte", en réalité un présumé analyste de la CIA – ce qui n'est pas non plus surprenant quand on sait à quelle point les 17 agences de renseignement américain dont la CIA ainsi que le FBI et les milieux judiciaires ont une dent contre le président qui les a le plus violemment qualifiés d'incompétents. Trump a donc riposté à son tour en accusant le présumé agent-fuiteur de la CIA de l’avoir "espionné" illégalement et d’avoir rapporté de façon « frauduleuse et erronée la conversation téléphonique avec la complicité d’Adam Schiff, élu démocrate », les dernières révélations sur l’affaire provenant de médias en général très hostiles à Trump. C'est ainsi que le New York Times– dont le militantisme journalistique n’est pas un secret – a révélé que le président américain aurait également sollicité l’aide du Premier ministre australien dans le but de rassembler des éléments sur l’enquête du procureur Mueller par rapport à la présumée "ingérence russe" dans la campagne présidentielle de 2016. Selon le même New York Times, Mike Pompeo aurait été témoin de la conversation téléphonique entre Trump et Zelensky, faisant du secrétaire d’État « un potentiel complice de ce harcèlement d’un rival politique », en l’occurrence Joe Biden. Cette stratégie est habile car en impliquant/accusant un proche de Trump, l'idée est de faire assez peur à ce dernier pour qu'il finisse un jour par lâcher le président controversé pour sauver sa propre peau face à une justice redoutable qui ne pardonne rien au camp Trump.

L'impeachment en question

Sur les 45 présidents américains, quatre d'entre eux ont fait l’objet d’une procédure d’impeachment : Andrew Johnson, Richard Nixon, Bill Clinton et, maintenant, Donald Trump. Cette procédure, inscrite dans la Constitution, revêt un caractère non pas juridique mais politique, puisque c’est le Congrès, et non le pouvoir judiciaire, qui détient les prérogatives d’initiative et de vote. Selon la Constitution américaine, la procédure d’impeachment permet de prendre des mesures visant à sanctionner un président coupable de « trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs » sans que ces notions ne soient toutefois précisées. La première étape de la procédure d’impeachment, l’enquête, ne peut être initiée que par la Chambre des représentants : "Un membre individuel de la Chambre peut introduire une résolution de destitution comme une loi ordinaire, ou la Chambre peut initier cette procédure en passant une résolution autorisant une enquête selon la page officielle du Congrès. Ladite enquête est dirigée par une ou plusieurs commissions parlementaires de la Chambre basse. Une fois conclue, un débat sur celle-ci est entamé avant qu’un vote sur les différents « articles d’impeachment » ait lieu.

Une majorité simple de la Chambre est suffisante. Le parti démocrate étant majoritaire à la Chambre des représentants avec 235 sur 432 sièges occupés, cette étape ne devrait pas poser de problème particulier. S’il est officiellement accusé par la Chambre des représentants, la procédure continue et passe au Sénat, contrôlé par une majorité de républicains. À ce stade, la majorité simple n’est plus suffisante et la destitution de Trump ne serait possible que si les deux tiers du Sénat votaient pour. Ainsi, sur 100 sénateurs, il faudrait que 67 d’entre eux votent pour la destitution du président Trump sachant que l’hémicycle est composé de : 53 républicains, 45 démocrates et deux indépendants.

Si les votes sont obtenus, le renvoi du président est automatique et le vice-président assume les fonctions de président. Sur les trois présidents ayant été visés par cette procédure, deux ont finalement été acquittés par le Sénat : Andrew Johnson en 1868 et Bill Clinton en 1996. Nixon a pour sa part démissionné en 1974 avant que le vote – qui aurait certainement entrainé son éviction – n’ait lieu. La probabilité de voir Donald Trump destitué à un an de la campagne électorale de 2020 reste cependant très mince. Cela ne serait en effet possible que si une vingtaine de sénateurs républicains sur 53 (soit près de la moitié), pour la plupart soudés derrière le président, votaient contre ce dernier alors qu’il fait figure de favori à la veille de la prochaine élection présidentielle. En destituant leur champion, les Républicains se tireraient une balle dans le pied tout en offrant l’élection présidentielle aux Démocrates sur un plateau doré.

Une arme à double tranchant face à un Trump qui tire sa légitimité populaire de son statut de "victime" de l'Establishment

En plus d’avoir très peu de chances d’aboutir, cette procédure d’impeachment, que Trump a décrit comme un véritable «harcèlement présidentiel», pourrait le renforcer puisque cela semble lui donner raison une nouvelle fois lorsqu’il se dit victime d’un système qui voudrait sa peau.

Tout d’abord, bien qu’il s’agisse de la première procédure d’impeachment enclenchée contre le président « politiquement incorrect », plusieurs enquêtes avaient déjà été initiées auparavant, et plusieurs commissions parlementaires travaillaient sur des dossiers concernant le président américain. On sait en effet que six commissions de la Chambre basse enquêtaient déjà sur Donald Trump, et notamment sur la fameuse affaire le liant à la présumée "ingérence russe" lors de la campagne de 2016. Les membres de ces six commissions parlementaires ont bien entendu sauté sur l’occasion de pouvoir peut être destituer le président. Cette procédure d’impeachment n’est que la suite logique de la volonté du camp démocrate de se débarrasser de ce président ultra-conservateur ; d’une part parce qu’il incarne une forme de résistance face à la doxa progressiste-libérale chère aux élites politiques, économiques et médiatiques américaines, mais aussi parce qu’il est en passe d’être élu pour un second mandat en 2020 comme l’indiquent plusieurs sondages. Cette procédure d’impeachment répond donc à un double impératif : abattre le candidat opposé à l’establishment et à son idéologie et l’empêcher d’être élu une nouvelle fois.

En fait, ce qui pouvait à première vue apparaître comme une épreuve délicate pour le président Trump pourrait se transformer en une véritable aubaine pour ce dernier. À moins que de nouvelles révélations accablantes poussent le camp républicain à le destituer, certains faits semblent démontrer que cette enquête actuelle a déjà donné un nouvel élan à Donald Trump. Le comité national républicain aurait en effet collecté plus de 300 millions de dollars en 2019, dont 125 millions de dollars collectés lors du troisième trimestre de la même année. Un véritable record. À titre de comparaison, les démocrates derrière Obama n’avaient réuni lors du 3eme trimestre de 2011 « que » 70 millions de dollars. Ces chiffres prouvent bien une chose : malgré l’acharnement des médias mainstream et d’une partie de la classe politique américaine à vouloir faire tomber le président conservateur, son parti est toujours derrière lui. Il en est de même pour son électorat persuadé que Trump continue à incarner une forme de résistance face à l’establishment libéral voulant sa peau. Cette procédure d’impeachment n’en serait donc qu’une preuve supplémentaire le légitimant dans sa lutte contre le système, pierre angulaire de sa ligne politique. 

En guise de conclusion :

 Non seulement la procédure d’impeachment a peu de chances d’aboutir, mais en plus, comme nous avons pu le constater, elle risque d’affaiblir et de discréditer fortement le camp démocrate et leur candidat favori : Joe Biden. Cette procédure de destitution engagée contre Donald Trump a eu le mérite de rappeler la possible implication de Biden dans des affaires ukrainiennes pour le moins floues. Le procureur limogé Viktor Shokin au coeur de l’affaire de corruption impliquant le fils du candidat démocrate en Ukraine a déclaré lors d'une interview privée à l'avocat personnel du président Trump, Rudy Giuliani, qu'il avait été invité à renoncer à l’enquête sur l’entreprise de gaz Burisma. Rappelons le, Hunter Biden siégeait au conseil d’administration de cette dernière tout en percevant la somme de 50 000 dollars mensuels dans le cadre de ses fonctions. Attention donc au retour de flamme dont pourrait être victime le camp démocrate qui, contre son gré, fait apparaître Trump comme une victime aux yeux d’une grande partie de l’opinion publique et bien entendu de son électorat qui lui reste fidèle. Souvenons-nous que Clinton avait parfaitement su profiter de son statut de « victime », dénonçant ses adversaires politiques. Acquitté par le Sénat, il remporta la bataille électorale des législatives peu de temps après.

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