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Zemmour face à Onfray : pourfendeurs ET promoteurs de postures idéologiques
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Angles morts

Éric Zemmour et Michel Onfray ont débattu, ce vendredi 29 mai, dans l’émission Face-à-Face sur CNEWS. La question du souverainisme a été au cœur des échanges.

Frédéric Mas

Frédéric Mas

Frédéric Mas est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef de Contrepoints.org. Après des études de droit et de sciences politiques, il a obtenu un doctorat en philosophie politique (Sorbonne-Universités).

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Anne-Sophie Chazaud

Anne-Sophie Chazaud

Anne-Sophie Chazaud est essayiste et chroniqueuse. Auteur de Liberté d'inexpression, des formes contemporaines de la censure, aux éditions de l'Artilleur, parution le 23 septembre 2020. 

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Atlantico : Ce vendredi 29 mai, un débat s’est tenu sur Cnews opposant Éric Zemmour à Michel Onfray. Ces deux polémistes ont souvent eu une parole sévère à l'égard du gouvernement qui leur a valu de nombreuses attaques de la part des médias ainsi que de la gauche libérale. Quelle question ce débat a-t-il posée sur le plan idéologique ?

Anne-Sophie Chazaud : L’annonce de la création d’un nouveau média (imprimé et en ligne) intitulé « Front populaire » par Michel Onfray a produit des effets d’hystérie peu commune dans l’espace de débat public, qui interrogent aux plans à la fois médiologique et idéologique.

Revendiquant une ligne éditoriale ouvertement souverainiste –ce qui est son droit le plus absolu-, ce média se propose de rassembler des analyses de la part de nombreux contributeurs (dont j’aurai du reste l’honneur et le plaisir de faire également partie) qui, quel que soit leur parcours politique et intellectuel antérieur, quelles que soient leurs divergences de points de vue, ont tous pour point commun de se reconnaître dans la promotion de la souveraineté comme fondement de la démocratie. 15 ans jour pour jour après le vote massif du « non » au Traité constitutionnel européen, lequel fut ensuite trahi par la voie parlementaire,- ce qui fonda l’ère anti-démocratique et d’illégitimité dont la France n’est toujours pas sortie-, la simple revendication de ce terme « souverainisme » semble poser, par-delà la question sémantique prohibée, un impensé théorico-politique de la part de nombreux prescripteurs d’opinion (issus de la droite et de la gauche, pour le coup réunis dans un bel unanimisme de cour) qui ne peuvent se résoudre à abdiquer leur position de monopole en matière de prêt-à-penser. Car enfin, quels que soient les postulats idéologiques de chacun, il devrait être démocratiquement possible en France en 2020 de lancer un média sans se voir immédiatement condamné préventivement au bûcher pour sorcellerie, nazisme de coloration rouge-brune et autres crimes nauséabonds inavoués. Aussitôt la cohorte des lyncheurs, éditocrates subventionnés et maîtres censeurs s’est mise en branle, à la recherche des moindres traces ADN prouvant l’origine nécessairement stalino-hitlérienne de ce projet, visant la disqualification de ses futurs contenus et de ses contributeurs. Ce cocasse déchainement d’hystérie justifie à lui seul qu’on prête une oreille et un œil sympathique à la démarche éditoriale visée, tant le consensus est par nature suspect et le doute intellectuellement salvateur.

Derrière l’incapacité d’un système médiatique prébendier à accepter que des voix autonomes et originales s’élèvent pour apporter un certain nombre d’analyses non consensuelles, comme si tout nouveau média ne pouvait qu’être le reflet servile du système dominant dans la start-up nation, se pose donc immédiatement une question de nature idéologique. En effet, on assiste au lynchage, à la disqualification, à l’accusation de fascisme, qui sont les bonnes vieilles recettes éprouvées du gauchisme culturel triomphant et dominant depuis plus de 40 ans, lequel réduit systématiquement l’adversaire à l’ennemi et a soutenu au plan idéologique la consolidation d’un système de pouvoir, d’asservissement (qui est l’exact opposé sémantique de la « souveraineté »), d’un « ordre mondial » fondé sur l’individualisme (« There is no such thing as society » disait Margaret Thatcher, il n’y a que des individus…)acoquiné comme larrons en foire avec une financiarisation sans frontière de l’économie, et toute sa cohorte de délocalisations, de trafics de main d’œuvre, de dumping social, de prédations et de destruction des Etats-nations.

Michel Onfray comme Eric Zemmour présentent tous deux la particularité d’être à la fois, par leur nature polémiste, hostiles au consensus idéologiquement dominant (lequel est toutefois en train de lancer, moribond, son chant du cygne), tout en étant solidement installés au plan médiatique en dépit des cris d’orfraie suscités par leur présence chez les gardiens du temple. On se souvient qu’en dépit de l’immense succès de son émission quotidienne sur la chaîne CNews, Eric Zemmour fait l’objet d’une surveillance soutenue et toute particulière de la part du CSA (laquelle est tout sauf une instance réellement indépendante) tandis qu’au lendemain de la Convention de la droite, les sociétés des journalistes du Figaro ou encore les représentants du personnel de Canal Plus prenaient bruyamment leurs distances d’avec l’essayiste, dans un magnifique et courageux élan unanimiste de défense de la liberté d’expression et du pluralisme…

Le Monde, Libération et tant d’autres ont, quant à eux, accueilli l’initiative de Michel Onfray par le barrage d’artillerie que l’on connaît, dans la plus pure tradition liberticide d’une certaine gauche intolérante qui supporte si mal la dialectique, l’opposition, la conflictualité, et ne voit certainement pas d’un bon œil que quiconque se revendique d’un peuple depuis longtemps par elle abandonné au profit du combat minoritariste, victimaire et nombriliste propre à la post-modernité agonisante (mais toujours aux manettes). Il importe de noter que ce tir de barrage s’est effectué avant même que les premiers textes de Front populaire aient été publiés, ce qui démontre la volonté de disqualifier l’initiative a priori, sans même prendre la peine de se référer aux contenus ni à l’argumentation : peu importent les faits ; seule compte l’idéologie. Au moins, c’est clair.

Ce débat a-t-il tenu sa promesse sur le questionnement de l'avenir de la gauche ? Quels en ont été les angles morts ?

Anne-Sophie Chazaud : Sur le plan du débat lui-même, au niveau formel, on peut noter l’extraordinaire qualité d’un format long, au cours duquel les intervenants, pourtant qualifiés de « polémistes » dans un sens qui se veut souvent péjoratif de la part de ceux qui l’emploient, ont le temps et les moyens de poser calmement leurs arguments, d’en dérouler le contenu sans être constamment interrompus ou coupés, de prêter respectueusement une attention pondérée et soutenue aux contre-arguments qui leur sont opposés, loin des punchlines souvent hachées, bruyantes, chaotiques, des habituels débats télévisés.

On annonçait la tenue de ce débat comme un combat de boxe, voire de catch que l’on présupposait surjoué et caricatural : ce fut un dialogue courtois et pondéré où l’écoute réciproque fut de mise. Notons que cette qualité atypique du débat -dans un environnement audiovisuel ordinairement formaté par le temps raccourci et la caricature de réflexions simplement superposées bruyamment les unes aux autres-, arbitré dans le calme et la subtilité par la journaliste Christine Kelly qui y apporte tout le charme et l’élégance des salons « à la française » dont on retrouve ici l’esprit vif et plaisant, explique probablement en partie le succès d’une émission qui emporte chaque jour des parts d’audience considérables : il faut croire que les téléspectateurs, qu’ils partagent ou non les analyses proposées, apprécient de ne pas se retrouver sur un marché de poissons à la criée, ce qui est souvent devenu le propre du débat télévisé.

Sur le fond, on pouvait s’attendre à la confrontation plus abrupte entre deux visions assez différentes des failles qui traversent la vie politique actuelle et la possible sortie du système macroniste (lequel n’est que la continuation du parti libéral-socialiste par d’autres moyens) que, dans le fond, chacun des deux promeut sinon au plan politique du moins au plan théorique.

D’un côté, avec Eric Zemmour, qui avait été l’une des figures de proue de la fameuse « Convention de la droite » de septembre 2019, laquelle avait fait grand bruit car sortant quelque peu des sentiers battus et du politiquement correct (ce qui lui avait valu quelques rappels à l’ordre de la patrouille), prônant plutôt un large rassemblement de la « droite » et reconnaissant par conséquent la validité de ce clivage traditionnel (droite/gauche) à travers, notamment, l’importance accordée aux questions identitaires et culturelles telles qu’issues de l’Histoire mais aussi consécutives à la crise migratoire ou aux évolutions sociétales de la période contemporaine. De l’autre côté, Michel Onfray dessine une articulation du débat certes elle aussi héritière de l’Histoire d’une certaine gauche française (dont le titre de sa revue porte le signe) mais qui s’inscrit dans le dépassement de ces clivages, cherchant à rassembler dans un lieu de débat commun les souverainistes de tous bords, de gauche, de droite et d’ailleurs (c’est-à-dire tous ceux qui se sont détournés provisoirement de la politique par dégoût ou par lassitude). Cette ligne de front ressemble davantage à celle qui oppose, selon la lecture qu’en propose l’analyste politique Jérôme Sainte-Marie, le bloc élitaire au bloc populaire et qui, contrairement à ce que laisserait penser cette formulation ramassée, est tout sauf caricaturale. Il s’agit de remettre le peuple, souverain, et non pas le peuple misérabiliste croqué en quelque imagerie d’Epinal, au cœur du débat public et de la redéfinition des termes du contrat social. La qualité même du débat public démocratique est l’un des termes fondamentaux de ce contrat. De ce point de vue, la réactivation parfois artificielle du clivage droite/gauche semble relativement inopérante, non pas au regard de quelque posture moderniste qu’il serait impérieux d’adopter, mais au regard des failles qui traversent réellement la société contemporaine et dont le mouvement des Gilets Jaunes fut l’un des symptômes les plus flagrants. Il s’agit donc moins d’un angle mort du débat que d’un lieu à partir duquel celui-ci doit être posé pour être opérationnel et efficient, lors du passage indispensable de la théorie à la praxis.

Notons d’ailleurs à ce propos que le projet éditorial porté par Michel Onfray est une revue et non un parti politique, ce que de nombreux lyncheurs semblent avoir oublié, s’agissant en l’occurrence de fournir aux lecteurs/électeurs (car en effet la lecture est un des lieux de « fabrique du citoyen » comme aimait à le rappeler le philosophe Robert Damien) des outils, des éléments d’analyse et non de partir à la conquête personnelle du pouvoir.

De ce point de vue, il existe un réel angle sinon mort du moins pesant, présent dans l’esprit de trop nombreux commentateurs du débat public actuel et qui, par chance, était parfaitement hors circuit lors du remarquable débat d’hier soir : celui qui consisterait à croire –pour ne pas dire fantasmer- que l’alignement des planètes et le projet concerté ayant permis de faire sortir un petit nouveau (Emmanuel Macron) du lot afin de le projeter telle la marionnette d’un système sur le devant de la scène, en dehors de toute réelle expérience politique de terrain plus solide, en dehors aussi de la prise en compte des structures de partis, pourrait se reproduire de nouveau, ce qu’à Dieu ne plaise. Pas un animateur en vogue, pas un jeune politicien aux dents longues et se prenant pour Jeanne d’Arc, qui ne s’imagine être l’appelé, l’élu du destin que la France attend, entouré de flatteurs et de faiseurs de rois. Or, s’il est bien une chose que les Français retiendront de l’ineptie macronienne, c’est bien que la politique est un métier, une expérience, et que la « fierté d’être des amateurs » s’avère être une authentique catastrophe, notamment en temps de crise comme ce fut le cas lors de la récente crise sanitaire. Michel Onfray, Eric Zemmour, comme beaucoup d’autres, sont des animateurs du débat public, à ce titre précieux, mais ce ne sont pas des élus ayant vocation à diriger un pays : il y a, pour cela, des gens dont c’est le métier et l’expérience, ce qu’a du reste rappelé hier avec beaucoup de clarté le philosophe en soulignant son absence d’ambition sur ce plan. Cette mise au point était salutaire.

Les deux visions proposées (identité nationale et souveraineté populaire) ne se sont pas opposées stérilement mais au contraire complétées, puisque dans les deux cas c’est la réhabilitation de l’échelon national qui est le garant d’une part de l’identité et d’autre part de la souveraineté.

Frédéric Mas : Je vois principalement trois faiblesses essentielles au discours commun des deux débatteurs, qui d’ailleurs ne s’opposaient au fond que sur des détails : trois faiblesses qui empêchent de penser la politique au présent, et donc d’envisager quoi que ce soit de sérieux politiquement.

Premièrement, messieurs Zemmour et Onfray pensent la France d’aujourd’hui en regardant dans le rétroviseur, avec une nostalgie certaine pour certains épisodes particuliers de l’Histoire de France, une Histoire de France recalibrée à l’occasion pour combattre leur ennemi commun du moment, qu’ils désignent sous les termes de « mondialisme », d’ « individualisme » ou de « libéralisme », bref tous les épouvantails à la mode dans un certain milieu médiatique pour déplorer les évolutions qui ont abouti au monde contemporain.

J’invite messieurs Zemmour et Onfray à relire un auteur qu’ils doivent bien connaître, Christopher Lasch, qui s’est exprimé sur la politique de la nostalgie « à la Edmund Burke », qui consiste à dépeindre le passé de manière tellement idéaliste qu’il ne permet plus de penser le présent et invite à la démobilisation, ou, comme disait Pol Vandromme, à « s’allonger en attendant la mort ».

Cette vision nostalgique se double sans surprise d’une analyse économique pour le moins parcellaire. Comme dans le discours de Macron et de Bruno Le Maire, l’infâme mondialisation économique nous a rendu dépendant économique de la Chine en matière de médicaments et de produits diverses et variés, c’est donc les souverainistes qui avaient raison de subventionner les entreprises et les produits nationaux pour éviter cette fuite vers le nouvel ennemi du monde libre.

C’est pourtant la compétition mondiale dans le domaine de la recherche qui nous permet aussi de trouver des solutions de sortie de la pandémie, et à aucun moment n’est posé une autre question centrale : le modèle social français coûte très cher, elle se traduit en une pression fiscale inouïe, l’une des plus fortes en Europe, qui agit comme autant de subventions aux importations.

A un moment, M. Zemmour va même jusqu’à nous expliquer que les pauvres sont lobotomisés pour acheter des produits à bas prix pour vivre. Dans le monde rêvé du chroniqueur, la pauvreté est punitive, et les classes populaires devraient héroïquement payer des produits nationaux plus chers pour soutenir les rentes de situation et le capitalisme de connivence. Pour quelqu’un qui n’a que le mot « peuple » à la bouche, j’ai trouvé ça assez amusant. Il devrait pourtant savoir que la concurrence qu’il déteste tant permet à beaucoup de monde de consacrer moins d’argent en denrées alimentaires tout à fait acceptables pour mettre de l’argent de côté afin de s’acheter ses essais.

Le troisième angle mort du débat, qui rejoint un peu le deuxième, porte sur la place de l’Etat. Le débat sur la décentralisation avait quelque chose de lunaire, tant les deux participants semblaient incapables de sortir du cadre de pensée de l’Etat bureaucratique, qu’ils naturalisaient à l’excès. Si cela peut se comprendre de la part d’Eric Zemmour, qui voue une admiration sans borne à l’un de ses plus célèbres architectes, Napoléon Bonaparte, c’est un peu plus décevant de la part de Michel Onfray, qui se réclame du fédéralisme et de Proudhon.

La France ne se résume pas à son carcan jacobin, légicentré, étatique et bureaucratique, sauf à prendre pour argent comptant ses promoteurs et ses idéologues, qui certes s’inscrivent dans une histoire longue, mais ne résument pas à eux seuls une Histoire nationale faite de tensions, de compétitions entre corps intermédiaires, l’Eglise, et des groupes sociaux qui se sont aussi opposés à l’uniformisation par l’Etat central.

L’Histoire de France, ce n’est pas que de Gaulle et Bonaparte, c’est aussi la Fronde, les révoltes populaires anti-fiscalistes et l’Eglise qui lutte contre sa gallicanisation. C’est très bien de lire Michelet ou Quinet, mais il faut aussi lire ce que Germaine de Stael nous disait sur l’Ancien Régime et ses tensions permanentes dans ses Considérations sur les principaux événements de la Révolution française.

La question du souverainisme a été longuement abordée lors de ce débat. Que pensez-vous des postures d'Éric Zemmour et de Michel Onfray sur cette question ?

Anne-Sophie Chazaud : La question souverainiste a fait l’objet pendant des années d’une véritable diabolisation, ce qu’a rappelé Michel Onfray en insistant sur la guerre sémantique et sur l’indispensable reconquête des mots à laquelle il convenait de se livrer : le peuple, le « populisme », le souverainisme, ce n’est pas sale. Rappelons également que le très libéral François Fillon portait un projet explicitement souverainiste, inscrit pourtant dans son adhésion au projet de construction européenne. Les déclinaisons du concept sont donc multiples et non réductibles à la caricature qu’on veut bien en dresser.

La crise sanitaire a apporté sur un plateau la démonstration que les souverainistes, de quelque bord qu’ils fussent, avaient raison lorsqu’ils fustigeaient l’absence de vision stratégique des Etats dans le cadre d’économies pensées exclusivement de manière ouvertes, dérégulées et mondialisées, où règne la loi d’airain du moins disant, la dictature du bas coût pour le travailleur-consommateur, le démantèlement des Etats-nations et le décervellement culturel qui l’accompagne.

Cette crise a permis de mettre en évidence l’incapacité des gouvernants inscrits dans cette idéologie d’interdépendance mondialisée à assurer la sécurité des populations dont ils avaient la charge.

Les stratégies de relocalisations, de ré-industrialisation aussi (le fantasme d’une économie sans industrie s’est en partie effondré) semblent de bon sens tant la dépendance à une Chine expansionniste s’est fait sentir douloureusement. Il est à noter que les visions d’avenir elles-mêmes issues de la crise et tournées par exemple vers la valorisation des mobilités douces, des énergies décarbonées, du renouvèlement d’un parc automobile que l’on souhaite électrique etc, portent elles aussi les mêmes douloureuses questions puisque la Chine possède le monopole de nombreux composants indispensables à ces technologies (matériaux rares obtenus dans un total irrespect de l’environnement, par exemple).

La question de la reconquête de la souveraineté se pose enfin certes au niveau industriel et économique, mais aussi aux plans culturel, civilisationnel : comme l’ont rappelé Eric Zemmour et Michel Onfray, la France c’est un territoire, c’est un peuple mais c’est aussi une Histoire commune et surtout c’est une langue, une littérature. Et c’est peut-être par là que tout commence, par ce point d’entrée précis que les souverainistes de tous bords se réunissent, en ce qu’ils considèrent, avant tout, en dépit de la déclaration d’Emmanuel Macron demeurée emblématique et célèbre (« Il n’y a pas de culture française », tout comme le même pourra déclarer sans sourciller qu’il existerait une fantasmatique et oxymorique « souveraineté européenne ») que la France est avant tout une culture. La qualité du débat d’hier soir en était une des illustrations.

Frédéric Mas : L’échange entre E. Zemmour et M. Onfray sur la question du souverainisme m’a laissé une impression générale de superficialité.

Premièrement, la nostalgie que semble vouer les deux hommes pour la période glorieuse du souverainisme, c’est-à-dire le vote contre le traité de Maastricht, et qu’ils ne sont pas les seuls dans le débat public à endosser, me semble être une aimable passion d’antiquaire. Les enjeux apparaissaient clairs, le dialogue entre les souverainistes de droite et de gauche possible dans une certaine mesure, et le tout reposait sur un socle sociologique électoralement solide, du moins en apparence.

Ils ne semblent pas s’être aperçu que Jean-Pierre Chevènement s’est pris une raclée en 2002, et que déjà à l’époque, la question s’était déplacée parce que les conditions sociales, économiques et politiques de la souveraineté nationale républicaine avaient disparu. La question s’est déplacée au sein du débat public de la souveraineté à celle de l’identité, pour le meilleur et le pire.

Deuxièmement, faire du « souverainisme » la meilleure arme contre le « libéralisme » et le « mondialisme », c’est aller un peu vite en besogne, ou se satisfaire un peu trop d’idées reçues. Une partie des libéraux anglais a soutenu le Brexit parce qu’attachée à la souveraineté du parlement, comme certains libéraux s’étaient engagés au moment de Maastricht contre ce qu’ils percevaient comme la constitution d’un super-Etat européen. On parle avec nostalgie de Chevènement, mais qui se souvient des écrits de Jean-Jacques Rosa ou Georges Berthu ?

Ajouter comme le font les deux interlocuteurs que les libéraux veulent un « gouvernement mondial », c’est-à-dire une souveraineté planétaire, est totalement fantaisiste. Les seuls à pousser cet agenda dans les faits sont des intellectuels sociaux-démocrates à la Fukuyama qui cherchent à reporter les « bienfaits » de l’interventionnisme étatiste à échelle internationale. Au contraire, les libéraux auraient tendance à favoriser la concurrence institutionnelle, c’est-à-dire le fractionnement politique en entités souveraines, associé au libre-échange économique.

Troisièmement, comme Messieurs Zemmour et Onfray le reconnaissent brièvement au cours de leur échange, il n’y a pas d’opposition entre leur position souverainiste et celle du gouvernement actuel, qui ne parle que de relocaliser, de défendre la souveraineté alimentaire, sanitaire, etc. Le cadre mental des détracteurs du macronisme est le même que le macronisme lui-même : il semble difficile en France de penser en dehors de la cage de fer étatique et bureaucratique. Les deux positions, souverainiste et macronisme, traduisent une même nostalgie, celle d’une politique toute puissance capable, au moins en apparence, de conduire le destin des Français contre vents et marées. Cette illusion a un coût économique et humain énorme : c’est la même idée autoritaire qui mène les mêmes hommes politiques au pouvoir depuis plus de 40 ans et a conduit le pays à la ruine.

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