Vers un crash de la productivité dans les années 20 ? Ou l’inverse...<!-- --> | Atlantico.fr
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productivité Allemagne usine production crise activité relance covid-19 coronavirus pandémie
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©RONNY HARTMANN / AFP

Renouveau économique

Selon les données de la banque mondiale, les pays ont connu de fortes chutes de leur productivité depuis la crise économique de 2008. Certains observateurs estiment néanmoins que les années 2020 pourraient être marquées par une forte productivité. Est-il possible de renouer avec une forte productivité malgré la pandémie ?

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Les données de la banque mondiale montrent que depuis la crise économique de 2008 les pays ont connu de fortes chutes de leur productivité et que les épidémies que certains ont pu connaître ont renforcé ce phénomène. Pourtant, certains espèrent que les années 2020 connaîtront une forte productivité, lequel des scénarios est le plus crédible ? 

Rémi Bourgeot : De nombreux pays ont connu une chute de leur productivité au moment même de la crise mondiale, suivie d’un rebond. Cette chute comme le rebond ont été d’une intensité très différente en fonction des économies concernées et des politiques mises en place sur le plan industriel et en matière d’emploi. 

En Europe, les pays comme l’Allemagne, qui ont insisté sur la préservation de l’emploi, notamment par des mécanismes de temps partiels entre autres, ont connu une très forte chute de la productivité pendant la crise (si l’on considère la productivité par travailleur mais aussi horaire) mais ils ont ensuite profité d’un rebond très marqué. A l’opposé les pays qui se sont le plus engagé sur la voie de l’économie de casino, comme l’Espagne, en se focalisant sur l’immobilier et le travail illégal ont plutôt vu leur productivité croître pendant la crise car les emplois les plus précaires ont été ravagés et la moyenne de la productivité s’est élevée de ce fait.

En général on a vu, en faisant un bilan sur une dizaine d’années, une dichotomie en Europe entre les pays à plein emploi avec une croissance de la productivité faible, comme le Royaume-Uni, et les économies à chômage ou sous-emploi endémique comme la France et l’Europe du sud où la productivité atteint en apparence de meilleurs niveaux. Aucun de ces modèles n’est satisfaisant dans la durée. Ajoutons que les économies qui connaissent des niveaux de sous-emplois très préoccupants comme la France sont en plus soumis au recul de leur savoir-faire technologique par défaut d’inclusion générationnelle.

Sur le poids des pandémies, il faut éviter la généralisation, notamment en agrégeant des pays aux niveaux de développement et d’industrialisation très différents, mais aussi en plus des épidémies extrêmement différentes selon les catégories de population qu’elles touchent. De la même façon la digitalisation accélérée par la crise actuelle, et l’on pense notamment au travail à distance, bouleverse l’organisation du travail, mais ses conséquences pour la productivité dépendront considérablement du type de modèle industriel. 

La pandémie, mondiale, a forcé les pays à s’adapter. Cette adaptation peut-elle déclencher un mouvement qui permettra de renouer avec une forte productivité, notamment grâce aux nouvelles technologies et à l’IA par exemple ? 

La pandémie intervient à peine une décennie après la précédente crise mondiale. La plupart des économies dans le monde se trouvaient dans des conditions financières et monétaires extrêmement particulières, marquées en profondeur par les séquelles de la crise et les politiques de relance, en particulier celles des banques centrales. Qu’il s’agisse de l’influence directe de leur politique nationale ou des répercussions mondiales par le biais par exemple des flux de capitaux, des déséquilibres considérables se sont ajoutées à ceux qui avaient causé la crise de 2008. L’économie mondiale repose en large partie sur des entreprises zombies qui étaient déjà dans une moindre mesure dans cette situation avant la pandémie en dépendant de taux extrêmement bas pour maintenir leur activité et leur structure bureaucratique. On pense au secteur financier, mais le phénomène est évidemment plus profond. 

Les innovations technologiques prennent souvent une décennie ou plus pour se répercuter sur la productivité. Même en prenant en compte ce décalage, il convient de garder à l’esprit que ces mécanismes ne sont pas automatiques et dépendent de décisions de modernisation. On l’a vu au cours de la décennie écoulée avec la robotique, avec des écarts considérables entre pays européens par exemple, et à l’échelle mondiale. Les divergences se sont plutôt creusées sur le plan de l’effort de modernisation productive et de l’appropriation des nouvelles technologies. On parle souvent, à juste titre, de guerre commerciale et technologique, en pensant aux Etats-Unis et à la Chine. Le tableau général est pourtant de nature assez différente. On voit de nombreux pays, aussi bien développés qu’émergents, s’éloigner d’une logique de développement industriel et technologique, et accroire leur dépendance aux technologies étrangères, en vivant dans l’illusion que leur procurent des bulles de nature assez archaïque, notamment dans le secteur de la construction. La quasi-totalité des pays émergents se trouvent confrontés à un mur dans leur développement et ne parviennent plus à prendre la direction des économies avancées. Mais c’est aussi à peu près la dynamique que suit une partie de l’Europe.

La liaison entre productivité et technologie sera-t-elle bénéfique pour la création d’emploi et favorable à une hausse des salaires ? 

L’accroissement de la productivité et la modernisation productive fait systématiquement craindre une fragilisation de l’emploi, mais ces craintes ne correspondent pas à la réalité empirique et historique. Au contraire c’est la stagnation de la productivité et des moyens technologiques qui s’accompagnent systématiquement d’une détérioration des conditions d’emploi. Cette logique s’applique actuellement aux comparaisons entre pays. La robotisation en particulier doit être vu comme un mouvement de modernisation des techniques de production. Les pays qui en ont le plus fait le pari sont souvent aussi en situation de plein emploi, comme la Corée du sud ces dernières années. 

Néanmoins on a souvent tendance, dans certains pays développés, à considérer le mouvement de progrès technologique comme une donnée générale. On voit en réalité aujourd’hui un grand écart sur le plan de la modernisation technologique, avec des pays développés notamment qui sortent de la dynamique de modernisation et s’enfoncent dans une désindustrialisation extrême, qui n’est plus compensée par quelques secteurs de pointe. On pense notamment à la situation que traverse la France avec le risque d’affaissement dans la durée du secteur aéronautique, qui est notre dernier grand secteur industriel exportateur net.

Y-a-t-il eu, à d’autres occasions dans l’histoire, une crise qui a permis d’engendrer un renouveau économique ? Si oui, quelles sont les conditions à réunir pour que cela se produise à nouveau ? 

Toutes les crises engendrent une sorte de renouveau, mais il faut faire preuve d’humilité face à la complexité des mécanismes historiques en jeu. Après la crise de 29 par exemple, c’est surtout la seconde guerre mondiale qui a bouleversé radicalement la donne technologique qui rythmera ensuite la croissance de l’après-guerre. La dernière crise mondiale a été traitée justement avec à l’esprit les errements de la gestion de la grande dépression en matière monétaire en particulier. On a à coup sûr évité le resserrement monétaire dans la gestion de cette crise, mais l’inverse d’une mauvaise gestion ne constitue pas une recette miracle. Cette recette, qui a pris un tour ésotérique quand on en a fait l’outil central de pilotage macroéconomique, a consisté à verser des montants illimités sur les marchés sans considérer que ceux-ci atteignent l’économie réelle de façon très indirecte, et surtout par des effets indésirables sous forme de bulles. On peut craindre à nouveau dans cette crise une gestion focalisée en réalité sur l’absorption de la dette et le maintien légitime des structures existantes, mais en faisant l’impasse sur le renouveau nécessaire et notamment sur l’inclusion des nouvelles générations dans le mécanisme de progrès technologique. On peut ainsi craindre que cette crise, qui suit de si peu la précédente, donne lieu à une sorte de prolongation de la politique de gestion de crise permanente qui nous agite depuis une dizaine d’années et nous détourne des fondements du développement.

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