Vers le grand déclassement ? Seuls 3% des parents français estiment que leurs enfants auront une meilleure qualité de vie que la leur<!-- --> | Atlantico.fr
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Une note de l’Institut Montaigne permet d'avoir un nouveau regard sur les classes moyennes.
Une note de l’Institut Montaigne permet d'avoir un nouveau regard sur les classes moyennes.
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Classes moyennes

Une note de l’Institut Montaigne propose un changement de perspective sur les classes moyennes, les dépenses contraintes et la peur du déclassement.

Lisa Thomas-Darbois

Lisa Thomas-Darbois est directrice adjointe des études France à l’Institut Montaigne depuis septembre 2023. Avant de rejoindre l’Institut Montaigne en novembre 2021, Lisa a été analyste en fusion-acquisition dans un cabinet de conseil et d’audit. Elle a également été conseillère technique au sein du cabinet du Ministre de l’Action et des Comptes publics. À l’Institut Montaigne, Lisa pilote les “opérations spéciales” visant à analyser et décrypter les moments saillants de la vie démocratique et politique française. Ses principaux thèmes de réflexion sont l’efficacité de l’État, les finances publiques et les enjeux économiques et sociaux des classes moyennes. Lisa est diplômée de l’ESCP Business School et de Sciences Po Paris.

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Atlantico : Covid, crise énergétique, inflation... Le pouvoir d'achat des Français est mis à mal ces dernières années. Les classes moyennes sont particulièrement concernées. Pour autant, ainsi qu'en témoigne la note que vous venez de publier pour l'Institut Montaigne ("Classes moyennes : l'équilibre perdu ?"), un autre enjeu non moins essentiel s'impose à elles : la peur du déclassement. Comment expliquer la situation qui les travaille aujourd'hui ?

Lisa Thomas-Darbois : Le pouvoir d’achat est devenu l’un des seuls prismes d’analyse des classes moyennes dans le débat public. Pourtant, les classes moyennes sont en réalité moins exposées aux enjeux conjoncturels du pouvoir d’achat qu’à une défiance en l’avenir et à une crainte réelle d’un déclassement social et économique. Cette peur s’est progressivement installée depuis les deux dernières décennies, au rythme d’un désenchantement perçu du rôle de notre État providence. Les classes moyennes ont le sentiment de devoir pallier les lacunes croissantes d’un État qui n’est plus en mesure de les sécuriser ni de répondre à leurs attentes tout particulièrement en matière de redistribution fiscale et sociale. L’importance de la fiscalité française sur les revenus du travail ou l’amoindrissement de la capacité d’acquérir un logement sont autant de sujets qui cristallisent ce sentiment de déclassement.

Les classes moyennes, ainsi que vous l'expliquez dans votre note, sont diverses. Quelles sont les plus concernées par la crainte du déclassement précédemment évoquée ? Comment cette angoisse se manifeste-t-elle au sein des différentes populations touchées ?

Si les classes moyennes partagent de nombreuses aspirations et frustrations communes, elles demeurent assez hétérogènes au regard de leurs revenus. Ces dernières années, on observe un phénomène de « bipolarisation » au sein des classes moyennes. Vous avez d’un côté les classes moyennes « supérieures », qui disposent d’un niveau de vie plus ou moins compris entre 2260 et 3100€ net et de l’autre, les classes moyennes « inférieures » dont le niveau de vie est davantage compris entre 1400 et 2260€ par mois, à la limite des revenus des plus modestes. Toutes les classes moyennes sont concernées par cette crainte du déclassement. Toutefois, les classes moyennes inférieures sont celles qui y sont le plus exposées, ou du moins dont la peur du déclassement est la plus tangible. Elles sont plus vulnérables aux conjonctures économiques et disposent donc de moins de marge de manœuvre pour faire face quotidiennement au déclassement potentiel.

Nombreux sont les Français issus des classes moyennes qui disent vivre moins bien que leurs parents. S'agit-il d'un fait avéré et étudié ou, au contraire, d'un ressenti imputable à la conjoncture actuelle ? Peut-on, à cet égard, parler d'un paradoxe traversant les classes sociales ?

D’un point de vue objectif, la tendance au déclassement scolaire - c’est-à-dire l'incapacité des enfants à atteindre un statut et une catégorie socioprofessionnelle au moins aussi élevée que celle de ses parents - tend à diminuer depuis les deux dernières décennies. Pourtant, aujourd’hui, seuls 3% des parents estiment que la génération de leurs enfants aura une meilleure qualité de vie que la leur. Ce réel paradoxe provient ainsi d’une incapacité à atteindre certaines aspirations qui structurent sociologiquement les classes moyennes, en premier lieu desquelles la capacité à s’enrichir grâce à l’unique fruit de son travail. Les mutations économiques, la fin des Trente Glorieuses, les crises successives de l’immobilier ou encore l’intensification du poids de la fiscalité en France ont contribué au renforcement de la peur du déclassement.

Peut-on légitimement dire de l'ascenseur social qu'il est actuellement en panne ?

Si le déclassement social ne semble pas pouvoir être confirmé par les données économiques, le manque de mobilité sociale et donc la persistance de la reproduction sociale est réelle. En France, les trajectoires scolaires sont en effet toujours largement déterminées par les origines sociales, beaucoup plus que par le genre ou que l’ascendance migratoire. Les performances scolaires des élèves sont, parmi les pays de l’OCDE, les plus dépendantes de ces critères socio-économiques. De ce point de vue-là, l’ascension sociale est donc à l’arrêt et l’École ne joue pas ou plus complètement ce rôle. C’est notamment l’une des raisons pour lesquelles les classes moyennes se tournent de plus en plus vers les cours particuliers ou l’enseignement privé, plus susceptibles selon elles, de garantir une évolution positive sociale de leurs enfants.

Par le passé, il était possible de léguer à la génération suivante un emploi ou une perspective d'avenir, à travers la transmission d'un commerce ou d'une ferme par exemple. Ce genre de situation, faute d'entreprises indépendantes, se fait de plus en plus rare aujourd'hui. Dans quelle mesure cela peut-il expliquer les insécurités précédemment évoquées ? Cela contribue-t-il, pour partie au moins, au problème des classes moyennes en France ?

Le sujet de la transmission d’entreprises est aujourd’hui intimement lié à celle de la fiscalité qui est assez lourde en France. Cela peut en effet contribuer au renforcement du sentiment d’injustice notamment dans des entreprises familiales, qui peuvent être en incapacité de léguer le fruit de leur travail à leurs enfants. Ce malaise dépasse ainsi le seul sujet de la transmission d’entreprise et met en lumière un sentiment bien réel pour les classes moyennes, celui de la peur en l’avenir. La possibilité de pouvoir sécuriser ses biens, son statut social, son patrimoine immobilier voire financier demeure au cœur des préoccupations des classes moyennes.

Lisa Thomas-Darbois est directrice adjointe des études France à l’Institut Montaigne depuis septembre 2023.

Pour retrouver la note de Lisa Thomas-Darbois pour l'Institut Montaigne, cliquez ICI

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