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Vague de départs chez LREM : Emmanuel Macron saura-t-il réenchanter ses troupes… les remplacer sans coup férir ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Majorité présidentielle

Emmanuel Macron a été confronté à de nombreux départs au sein de la majorité depuis le début de son quinquennat. Le chef de l'Etat pourra-t-il tisser de nouveaux liens pour le scrutin présidentiel de 2022 ?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Luc Rouban

Luc Rouban

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

Il est l'auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), "Quel avenir pour les maires ?" à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. 

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Atlantico.fr : Depuis le début du quinquennat, de nombreuses démissions sont à déplorer dans le camp de la majorité. Comment expliquer ce phénomène bien plus important chez Emmanuel Macron que chez ses prédécesseurs ?

Edouard Husson : Il y a d’abord le centralisme extrême, non seulement de la décision, comme sous Nicolas Sarkozy, mais aussi de la mise en oeuvre. L’appareil d’Etat est constamment ralenti par la nécessité de consulter un petit nombre de décideurs qui forment l’entourage immédiat d’Emmanuel Macron. Un véritable embouteillage de la décision s’est créé. Il y a eu ensuite une fausse bonne idée: diminuer de moitié la taille des cabinets ministériels et plus associer les directeurs d’administration centrale à leur fonctionnement. Cela n’a pas marché dans la mesure où tout doit remonter au président de la République en permanence, ce qui annule le désir de meilleure articulation entre les ministres et leur administration. Ajoutons que les cabinets des gouvernements précédents travaillaient déjà énormément. Diminuer leurs effectifs de moitié ne fait qu’accroître l’engorgement créé par le centralisme présidentiel. Le résultat c’est qu’il y a des tas de dossiers qui ne sont pas traités ou qui traînent. Les personnes sont en surchauffe, avec un travail qui ne leur donne pas l’impression de faire du sens. Si vous ajoutez que l’Elysée ne tient pas toujours au courant les ministres de ses initiatives, que les députés sont considérés comme de simples courroies de transmission, vous aurez la clé aussi bien du ratage de l’écotaxe alors que les mécontentements sur les 80km/h avaient été amplement signalés; ou du cafouillage incroyable des retraites, qui mérite je pense, le bonnet d’âne de la plus mauvaise réforme jamais proposé par un gouvernement dans notre histoire.

Luc Rouban : Il y a deux dimensions chez Emmanuel Macron. La première c’est que c’est quelqu’un de très brillant, qui sait enthousiasmer ses auditoires comme on a pu le voir lors du Grand Débat National quand il est allé à la rencontre notamment des maires. C’est quelqu’un qui a quand même un certain courage, dans des situations difficiles il a su tenir le coup pendant plusieurs heures et répondre très précisément à des questions très techniques donc c’est quelqu’un de compétent, de brillant, mais en même temps, et ça c’est le deuxième aspect, il est très imprégné de la culture managériale. Pou lui, il y a une question d’efficacité qui prime. IL fait d’ailleurs peser sur ses ministres une certain pression à l’efficacité managérial à travers une forme d’évaluation. Ce type de rapport peut être difficile parfois à vivre. C’est un mélange de personnalisation forte, et donc une relation affective, personnelle où l’on peut s’impliquer de façon complète, et un rapport à l’efficacité très marqué. On l’a bien vu quand Gérard Collomb a démissionné il en avait les larmes aux yeux ! Une rupture peut donc être très difficile. Ce type de relation n’est pas toujours facile à vivre pour l’entourage. On peut dire qu’il y a une forme de mise à distance tout en étant ambiguë car il entretien des relations plutôt personnalisées avec son entourage. On l’avait bien pendant la campagne de 2017, il était personnellement très entouré, très proche de ses conseillés et c’est vrai qu’il a essayé de développer un style différent. Il a d’ailleurs su conserver ce style sur le long terme. Il a su montrer que c’était un président qui pouvait retrousser les manches mais cela lui a couté cher à plusieurs reprise et notamment au moment de la crise des Gilets jaunes. Au contraire de ses prédécesseurs qui généralement prenaient leur distance vis-à-vis de ce qu’il se passait dans la société ou dans la politique, il n’a pas assez sacralisé sa position et il a été touché. Son style est certainement fait de séduction avec des revirement parfois brutaux qui peuvent s’expliquer par des décisions dont on ne connait pas tous les ressorts, mais qui peuvent blesser du fait de la proximité installée. Pour les députés, je pense que le malaise provient du sentiment d’une mise à l’écart par la technocratie, c’est à dire par les conseillers du président, de Matignon ou des différents ministères. L’un d’entre eux disant récemment « on nous envoie des notes, on doit les mettre en oeuvre et puis nous n’avons pas a discuter ». Je pense que c’est une question de gouvernance plus que de personnalité. 

Emmanuel Macron peut-il tisser de nouveaux liens en France et se créer à nouveau un entourage capable de l'aider à finir le quinquennat comme il le souhaite puis de le porter jusqu'en 2027 ?

Edouard Husson : La partie utile du quinquennat est finie. On aurait pu penser que le Président avait gagné un répit après la crise des Gilets Jaunes. Mais il a tenu à remettre sur le métier un texte qui n’était ni fait ni à faire, au sens littéral, la prétendue réforme des retraites. Et il a désormais le secteur public contre lui, après avoir coalisé la France des petits entrepreneurs et des petits salaires du privé. Il lui reste à la rigueur le soutien des grandes entreprises; et encore, ce n’est pas sûr. Les mêmes qui avaient misé sur lui en plein quinquennat de Hollande, pousseront, s’ils en ont l’occasion, un autre candidat du centre-gauche ou du centre-droit. Il n’est pas étonnant, au-delà du mélange de surmenage et de mépris que produit le système Macron pour ceux qui le servent, que les ministres s’en aillent et que les députés quittent la majorité. La situation est si grave (un président bientôt aussi impopulaire que François Hollande) que la question n’est plus la réélection mais le fait de savoir s’il sera possible pour le président de se représenter. Il est dans la même situation que son prédécesseur.

Luc Rouban : Un certain nombre de députés ont quitté la République en Marche, sur 314 il n’en reste que 300. En plus des contestations qui proviennent principalement de l’aile gauche du parti. A terme, la question est de savoir comment renouveler le miracle de 2017 ? Comment renouveler la disrupture en 2022 ? Comment faire en sorte que le président candidat paraisse innovant comme il le fut cinq ans plus tôt ? Il ne faut pas donner l’impression qu’il soit tomber dans l’ancienne politique. C’est ce que disent un certain nombre de députés disent, on a plus l’horizontalité qu’on avait en 2017 on a maintenant la verticalité à l’ancienne. De plus, il ne faut pas tomber de Charybe en Scylla et donner l’image d’un président vulnérable et s’entourer de personne relativement voire peu expérimentées. Le problème qui se pose dans l’organisation des pouvoirs publics actuellement c’est que vous avez un ensemble de décideurs avec peu d’expérience. Emmanuel Macron en connait pas la vie politique locale, tout comme la grande majorité des députés LAREM n’ont jamais été maire ou conseillers généraux. Donc nous étions jusque là dans une phase d’expérimentation le problème c’est que l’expérimentation ne peut pas durer éternellement. Il faut l’institutionnaliser. Comment passer de l’expérience à l’institution, voilà l’enjeu. Comment préserver un style jeune, moderne, nouveau qui permet quand même d’avoir une certaine attraction sur les jeunes diplômés mais aussi les seniors qui font les élections, tout en maintenant cet équilibre. Il s’agit de réinventer le macronisme en 2022. Ce n’est pas qu’une question de style ou de style, dans la mesure où ce style et ces relations se définissent largement par rapport à une doctrine d’action et plus généralement par rapport à une plateforme idéologique. 

Sa manière "managériale", c'est-à-dire très utilitariste, de gérer son entourage peut-elle lui porter préjudice à l'avenir ? À force les gens ne voudront peut-être plus travailler avec lui ?

Edouard Husson : Managérial serait un compliment. Le management s’apprend. On a affaire à la pire caricature de la technocratie qu’on puisse imaginer. Arrogante, centralisée et, il faut ajouter, incompétente ! C’est ce qui a été le plus frappant au cours de la crise des Gilets Jaunes: voir le bon sens des Français mettre en difficulté, sur les plateaux de télévision, les jeunes technos du Président ou les députés LREM. Emmanuel Todd analyse en détail, dans son dernier livre, le décalage croissant entre le niveau de diplôme et la compréhension des enjeux. Je pense que tout le monde est atteint de ce syndrome dans la République macronienne, y compris le président lui-même. Il était évident depuis le départ que l’empathie n’était pas sa première qualité. Mais nous découvrons jour après jour qu’il n’a même pas l’instinct de survie qui lui ferait comprendre qu’il a besoin de jouer un minimum la comédie avec toutes les catégories sociales. Ni de ménager son entourage. La constitution des réseaux de LREM avait été rapide mais leur désintégration est non moins rapide. Le parti ne s’est pas enraciné dans la société française car le style de gouvernement du Président ne le permet pas. On en a un exemple très évident avec le Grand Débat: ce sont les maires qui ont sauvé Macron en le recevant et en recrutant des auditoires conquis pour lui. Eh bien, il ne s’en est pas suivi une mise en synergie systématique entre ces maires, les préfets et les députés de LREM ! C’est à tous les niveaux, de l’Elysée au niveau local, que ce que vous appelez le « management » dysfonctionne.

Luc Rouban : C’est un style très managerial qu’on retrouve dans les grandes entreprises privées mais aussi dans certains secteurs des entreprises publiques au niveau de la direction générale, c’est à dire une certaine forme de précarité de la relation au collaborateurs et au conseiller, des grilles d’analyses qui peuvent changer assez rapidement et par conséquent une difficulté pour ces collaborateurs à parvenir à un mode de fonctionnement sur le long terme ou sur le moyen terme. C’est quelque chose de très stressant et de très difficile à vivre et c’est le fond du macronisme ! Il se veut et de droite et de gauche mais en fait entièrement consacré à l’efficacité. A droite il y avait deux styles, le gaullien et le notable proche de l’UDI mais on est finalement pas du tout dans cette univers là. Et à gauche, celui du militant, du milieux modeste qui grimpe au sein de l’appareil du parti et on n’est pas du tout la dedans non plus ! Il n’y a pas les systèmes et les apparences culturels habituels qui permettent de figer la situation. On est dans un mécanisme très instable, dans une politique parfois de funambule avec des rattrapages inextrèmistes. On a pas de culture de référence ni de mode d’action qui aurait été celui de prédécesseurs de droite ou de gauche. Donc on est dans l’innovation. Mais pour lancer la campagne de 2022, il va falloir capitaliser. Je ne pense pas que les municipales sauf catastrophe jouent un rôle très important, mais le problème pour 2022 sera de trouver le moyen de définir un style du long terme et donc une vision pour les cinq prochaines années. Il ne faudra pas non plus décourager les bonnes volontés, quand vous vous engagez comme députés ou conseillers ou autres, vous avez besoin d’une certaine assurance d’une certaine stabilité. La question sera de créer à la fois une plateforme idéologique et un style qui puisse se démarquer aussi des autres. Le grand danger est que le style moderne c’est l’écologie. Il risque de se confronter à de nouvelles modernités en quelques sortes qui lui enverraient le message que le macronisme c’est déjà l’ancien monde, l’efficacité managerial c’est dépassé et maintenant c’est l’implication, le local sur des terrains comme l’environnement ou la préservation de la santé. Il y a quand même des enjeux car les choses vont très vites. Ce qui était très innovant en 2017 risque de passer pour vieillot et archaïque en 2022. 

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