Vaccination Covid : l’heure du grand désenchantement ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une membre du personnel soignant s'apprête à vacciner un collègue contre la Covid-19.
Une membre du personnel soignant s'apprête à vacciner un collègue contre la Covid-19.
©JEFF PACHOUD / AFP

Efficacité vaccinale

La stratégie sanitaire française consistant peu ou prou à tout miser sur les vaccins pour enrayer l’épidémie de Covid semble fragilisée par un afflux de données scientifiques montrant que le variant Delta a changé la donne, sur la durée comme l’efficacité de l’immunité. Ce qui ne rend la vaccination ni inutile, ni dangereuse mais insuffisante.

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Eric Billy

Eric Billy

Eric Billy est chercheur en immuno-oncologie à Strasbourg. Il est membre du collectif Du côté de la science.

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Atlantico : Les données concernant l’efficacité des vaccins à l’heure actuelle doivent-elle provoquer une prise de conscience politique que le vaccin n’est pas une solution miracle face au variant Delta ou au nouveau variant Mu ?

Eric Billy : C'est quelque chose qu'on avait écrit sur notre site le 13 juillet, dans une tribune intitulée "Le « tout vaccinal » ne peut être la seule solution à la propagation virale". Nous y rappelions que la vaccination ne pouvait être la seule réponse à la propagation virale qui suivait une courbe exponentielle. Ce n'est en effet qu'en associant différentes solutions qu'on finit par contrôler la diffusion du virus et l'épidémie.

En juillet, nous avions déjà pris conscience au sein du collectif que le variant Delta risquait réellement de changer la donne. A la différence de beaucoup de commentateurs, on discutait beaucoup en interne sur le fait que le variant Delta, au vu des premières données qui venaient d'Inde, laissait craindre le pire. Malheureusement, ça a été confirmé. On nous avait reproché à ce moment-là de dire que les enfants seraient plus touchés, qu’il y aurait plus d’hospitalisations, que la moyenne d’âge des hospitalisations rajeunirait etc. Si cette tendance n’était pas immédiatement visible en France en Juillet, on l’a bien vu se mettre en place au cours de l’été. Si nous disions ça, c'est que nous avions recoupé les informations des membres du collectif, médecins, chercheurs et cliniciens, avec des données de la littérature internationale, afin de prévenir et d’anticiper.

Il y a par contre un point très important que j'aimerais mettre en exergue. Le variant Mu est un peu surmédiatisé. Quand on regarde ses données, on voit qu'il fait partie des variants qu'il faut suivre, à juste titre, mais qu'il n'est présent que dans quatre pays. En Colombie, il est a 75% de prévalence, mais c'est en train de se stabiliser. Et dans d'autres pays limitrophes, où il avait augmenté jusqu'à 25% de prévalence, il a disparu. Rappelons qu'au Brésil, le variant brésilien a été majoritaire mais ne s'est pas étendu de manière grave et inquiétante dans le reste du monde parce qu'il a été supplanté par Delta. Aujourd'hui, parler de Mu, c'est potentiellement agiter un chiffon rouge.

L'autre point à retenir est qu'aucun variant n'a modifié la protection vaccinale par rapport aux formes graves. C'est réellement important. Les vaccins restent très efficaces, à 90%, et même en Israël, sur les formes graves. La seule chose que Delta a changé, c'est qu'on voit d'avantage de formes symptomatiques. L'efficacité vaccinale sur la forme symptomatique a effectivement chuté, mais celle sur les formes graves reste très sensiblement la même. C'est ce qui nous importe puisque l'hospitalisation représente un pourcentage non négligeable de risque de décéder.

Cela étant dit, quels seraient les risques, finalement, de se limiter aujourd'hui à une stratégie sanitaire basée exclusivement sur la vaccination ?

Eric Billy : Un risque est lié au fait que les enfants de 0 à 12 ans n'ont pas accès à la vaccination. Il y aura peu de décès chez les 0-12, mais il faut quand même rappeler que 50% quasiment des décès dans cette classe d'âge ont eu lieu depuis le mois de juin et sont donc liés au variant Delta. Il y a eu quasiment autant de décès d'enfants en 3 mois avec Delta qu'on en avait eu en plus d'un an avec la souche originale. Pour protéger les enfants, la nécessité est de vacciner les adultes. Une étude du CDC publiée samedi montre que dans les États américains où les adultes sont les plus vaccinés, il y a moins d'incidence chez les enfants. Or, la contagiosité du variant Delta implique qu'on n'arrivera pas à atteindre l'immunité collective. Si on définit l'immunité collective comme étant la proportion de la population qui doit être vaccinée pour que les gens qui ne le sont pas ne développent pas la maladie car le virus ne circulera pas, alors elle ne sera pas atteinte avec Delta. Les gens qui ne sont pas vaccinés auront de fortes chances de croiser le virus et de tomber malade.

Quelle stratégie complémentaire au vaccin peut être mise en place ?

Eric Billy : La seule manière de réduire au maximum le nombre de formes graves est d’associer une vaccination forte aux gestes barrières, la distanciation, le contrôle de la qualité de l’air par des détecteurs de CO2... Tout ce qui permet d'assurer un contexte qui s'ajoute à la protection fournie par la vaccination. Cette dernière, en elle-même, n'est qu'une partie de la solution.

Mais il faut aussi s'interroger sur l’organisation de la vaccination. On pêche aujourd’hui avec les plus de 80 ans car on n’atteint pas les 90% de vaccination dans cette classe d'âge, alors que c’est clairement les plus à risque. Pareil pour les 40-50 ans. Les Anglais n’ont ouvert la vaccination aux classes d’âge les plus jeunes que lorsque les plus âgées étaient vaccinés à plus de 90%. Israël a fait encore pire en ouvrant assez rapidement à l’ensemble de la population sans avoir vacciné la population arabe la plus âgée. C’est en partie eux, aujourd'hui, que l'on trouve dans les décès de gens non vaccinés. Cela a été corrigé, mais tard. Israël est peut-être la démonstration de ce qui arrive quand Delta débarque dans une population vaccinée à 75% mais qui ne maintient pas les gestes barrières et les masques en intérieur. L’automne et l’hiver en France seront sereinq si on arrive à amener plus de 90% des adultes à la vaccination et en particulier tous les plus de 65 ans et que l’on maintient les masques, les gestes barrières, l’aération et la qualité de l’air en interieur.

En refusant de dévier de sa stratégie consistant à tout miser ou presque sur le vaccin, le gouvernement est-il en train de céder à une forme de pensée magique plutôt que sur la rationalité scientifique ?

Arnaud Benedetti : Oui et non : oui car dans toute situation de crise l’univocité de la réponse ne suffit pas, non car jusqu’à preuve du contraire le vaccin, sous réserve néanmoins de la question des traitements qui donne le sentiment d’être évacuée de manière un peu hâtive et parfois ambiguë, est le plus grand amortisseur de la pandémie. Mais justement amortir n’est pas forcément sortir de la crise. Le problème apparemment c’est de savoir si la couverture vaccinale s’avèrera suffisamment pérenne pour contenir et mettre un terme à la pression épidémique. Or, poser cette question, la soulever, c’est déjà dans les conditions actuelles du débat, qui sont tout sauf sereines, être suspecté de quasi-complotisme. La disqualification du doute est la marque d’une pensée, si ce n’est magique, tout au moins dogmatique. Bien évidemment, cela est problématique car tout se passe comme si la promotion de la solution vaccinale n’était pas discutable, et relevait d’un processus de foi implicite. Se diffracte ainsi cette impression ambivalente que le vaccin était tout autant un procédé médical qu’un fétiche pour tenir l’opinion. C’est d’ailleurs de la sorte que le passe-sanitaire qui est tout sauf un instrument scientifique mais un outil exclusivement de coercition politique est légitimé. Ce mélange des genres nuit tout à la fois à la parole politique et à la parole scientifique. Cette confusion évacue toute forme de nuance ; or l’expression des nuances conditionne l’exercice d’un débat démocratiquement mature. Ce qui à ce stade ne semble pas le cas...

Sans remettre en cause les bénéfices de la vaccination, le gouvernement doit-il accepter de reconnaître, à la fois pour lui-même et publiquement, que le vaccin n’est pas une solution miracle ?

Arnaud Benedetti : Peut-il le faire et s’élever à ce niveau exigeant d’"éthique de la responsabilité" après tous les accidents opérationnels et communicants dont la gestion de cette crise a été l’objet ? Encore une fois les acteurs de la puissance publique indexent la dynamique de leur action sur l’amnésie qu’ils prêtent aux opinions. D’une certaine manière, très cynique à vrai dire, ils n’ont pas tort qu’en surface ou en apparence l’oubli enveloppe la mémoire collective, a fortiori quand celle-ci est soumise au stress permanent de l’immédiateté. La communication persuasive se nourrit de cette disposition, elle la dope même par une sorte de logique de l’escalade narrative. Il s’agit de recharger constamment le besoin et en récits exprimé par les sociétaires en quête de certitudes que nous sommes. Toute proportion gardée bien sûr, la communication vaccinale n’est pas sans rappeler ce que l’un des conseillers de Bush fils, le sulfureux Karl Rove, appelait en son temps la "stratégie de Shéhérazade". Rove qui fut un artisan de l’engagement américain dans la seconde guerre du Golfe théorisait que lorsque les faits vous mettent en difficulté face à l’opinion, tout l’enjeu consiste pour ne pas être rattrapé par la réalité à produire une autre interprétation et une autre projection de cette dernière. Alors à l’évidence, même si le discours vaccinal n’obéit pas à ce registre manipulatoire, il a aussi pour fonction de combler des béances dans une opinion qui se mettrait à trop douter de l’exhaustivité de son efficience. Quelque part il ne faut pas désespérer la cité épuisée par plus de 18 mois de crise sanitaire. Mais avec le risque d’être confronté le moment venu à une remise en question partielle de sa politique, et de l’expression parfois sans réserve de cette dernière.

Comment faire face au désenchantement que peut représenter cette nuance des effets de la vaccination et ne pas démobiliser la population ?

Arnaud Benedetti : A la défiance qui se manifeste à l’encontre du discours dominant, la réponse qui a été apportée est celle d’un scientisme... très "XIX ème siècle". Rien d’étonnant au demeurant car cela reste l’idéologie souvent exclusive du monde académique. Or le scientisme n’est pas la science ; c’est une forme de religion. On ne répond pas, sauf à générer une monter aux extrêmes, à la défiance par la disqualification de contre-arguments, dont certains peuvent traduire des questIons légitimes, ou au prétexte que l’enjeu sanitaire serait par nature hors champ du débat, puisque reposant sur des données rationnelles. C’est aussi le rôle du politique de ne pas être instrumentalisé par une science en construction. Or depuis le début de cette crise, ce que l’opinion a métabolisé de manière diffuse mais néanmoins perceptible n’est-ce pas la nature forcément et nécessairement évolutive de la situation ? Il serait intéressant sur la distance de recenser toutes les certitudes officielles et académiques qui ont été infléchies, voire infirmées - ce qui au demeurant peut très bien épistémologiquement se comprendre. Si dans quelques mois ou quelques semaines, le discours sur la solidité vaccinale se retrouve contraint par un développement inattendu, nouveau variant ou autre, c’est tout l’échafaudage argumentatif de la puissance publique et des autorités sanitaires qui s’en trouvera ébranlé, faute d’avoir nuancé au préalable son propos et d’avoir accepté et écouté l’altérité d’un certain nombre de réserves. Les antivaxs sont binaires et manichéens, ils ne constituent pas pour autant la totalité des anti-passes dont certains et même nombre sont vaccinés, mais il y a aussi du côté des promoteurs du passe et du vaccin une propension au manichéisme qui ne participe pas à l’apaisement du débat. Les effets, évidemment, d’un reflux de l’efficacité vaccinale sur la durée, ce qui à ce stade reste à démontrer, seraient singulièrement difficiles à gérer non pas seulement en vue de contenir l’épidémie mais dans la perspective de contenir le désenchantement. Viral aussi, ce dernier pourrait alors muter en mécontentement, voire en colère, entre autres parce que la parole "politico-scientifique", aigle à deux têtes, aura manqué de prudence, et d’humilité. 

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