Vaccination : la levée des brevets réclamée par les politiques serait une supercherie<!-- --> | Atlantico.fr
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Le débat sur la suppression des brevets portant sur les vaccins contre le Covid-19 est posé.
Le débat sur la suppression des brevets portant sur les vaccins contre le Covid-19 est posé.
©David Dee Delgado / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Atlantico Business

Supercherie, démagogie… Quand le président américain Joe Biden annonce sa volonté de lever des brevets, il ne fait rien d’autre que de la démagogie. Cette mesure ne servirait strictement à rien, elle pourrait même être dangereuse pour la santé dans le monde.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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C’est évidemment très politiquement incorrect que de critiquer une idée qui paraît de bon sens à tout le monde, compte tenu de la gravité de la pandémie. A circonstances extraordinaires de la pandémie, mesures extraordinaires.

Quand Joe Biden annonce son projet de lever les brevets pour permettre la production des vaccins contre le Covid dans le monde entier, il précise qu’on pourra ainsi accélérer la vaccination de la population mondiale et pour bien souligner son courage politique, il fait décrypter par ses conseillers presse, que nous ne serons débarrassés du virus que quand l’ensemble de la population mondiale sera vaccinée et que si ça tarde, c’est parce que les vaccins sont produits par quelques laboratoires qui gardent une exclusivité absolue du contrôle des productions. Sous-entendu : pour des histoires de gros sous. Du coup, tout le monde a compris que Pfizer, Moderna, Astra Zeneca et les autres veulent opérer le casse du siècle avec leur précieux sérum.

Le raisonnement est tellement simple qu’il est repris et diffusé par beaucoup de responsables politiques, parce que ça passe évidemment très bien dans une opinion publique chauffée à blanc par les idées complotistes. Ce qui est plus grave, c’est que certains chefs d’Etat et de gouvernement se déclarent prêts à appuyer l’initiative de Joe Biden.

Les procédures de brevet sont en général respectées dans le monde entier depuis que l‘OMC a reconnu que c’était un des outils indispensables pour garantir le fonctionnement loyal de la concurrence internationale.

Le brevet protège la propriété de celui qui le détient, donc ses intérêts financiers mais c’est aussi lui garantit que son produit ne pas être volé, falsifié ou fabriqué sans être parfaitement conforme à un cahier des charges initial.

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Alors, on peut toujours lever les brevets, c’est à dire les faire tomber dans le domaine public, ce qui permettrait à n‘importe qui de le fabriquer et de le distribuer. D’où l’idée d’accélérer la production et la vaccination partout dans le monde. Sauf que dans le cas spécifique des médicaments et plus particulièrement des vaccins, ça ne servirait à rien et ça pourrait même être préjudiciable à l’équilibre sanitaire. Que des fabricants chinois oublient de demander une licence pour fabriquer des sacs Vuitton, c’est grave pour l’industrie du luxe, mais pas trop dangereux (encore que...). Pour ce qui est d’un médicament ou d’un vaccin, on mesure mal l’effet d’utiliser une copie, un faux ou un produit dérivé.

L’explication tient en trois points :

1er point : Théoriquement, la fabrication d’un vaccin est assez facile à partir du moment où on possède la formule et beaucoup de pays au monde pourraient mettre en marche des capacités de fabrication à très grande échelle. L’Inde ou le Brésil, qui auraient besoin de plusieurs milliards de doses, sont évidemment candidats. Beaucoup de pays ont sans doute le savoir-faire, mais pas l’autorisation. Alors ça, c’est la théorie....

2e point : Pratiquement c’est très compliqué, parce que le vaccin, comme la plupart des médicaments, sont plus difficiles à fabriquer que des baguettes de pain. Un vaccin se compose de plus de 500 composants chimiques qu’il faut assembler, à condition de les avoir tous. Donc problème d’approvisionnement, mais ça n’est pas tout.

3 point : il faut créer des process de fabrication industrielle, à grande échelle et zéro défaut. Il faut donc des process de contrôle de la qualité et des performance ultra sophistiquées qui sont d’ailleurs opérées sous l’œil des organisations sanitaires. La partie logistique, transport et conservation est lourde mais ce n’est pas la partie la plus difficile à réussir parce que ça ne demande pas d’expertise particulière.

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Alors actuellement, toutes les doses de vaccins utilisées dans le monde ne sortent déjà pas des seules usines Pfizer ou Astra Zeneca. Beaucoup de productions sont sous-traitées en Europe notamment, et même en France. Mais cette sous-traitance se fait sous la responsabilité du laboratoire qui a, alors, autorisé l’utilisation de son brevet, c’est à dire qui a donné ses formules, les composants et exercé un contrôle permanent des process industriels et de la qualité du produit. Et ces contrôles sont draconiens, parce que tout dysfonctionnement, toute erreur aurait des effets catastrophiques sur la marque mais aussi sur l’état sanitaire de la population vaccinée. On a craint, par exemple, que les problèmes découverts sur des patients vaccinés à l’Astra Zeneca provienne de lot sortant d’une usine européenne qui, par accident, aurait pu ne pas respecter le protocole. Tous les industriels de la pharmacie sont obsédés par ce risque là et par conséquent, ils se méfient à fortiori de toutes les copies qui pourraient être faites. L’Inde et la Chine disposent d’énormes capacités de production industrielle pharmaceutique, mais fabriquent aussi quantités de copies ou de génériques non homologués.

Les grands laboratoires sont parfaitement conscients de l’importance de trouver les moyens d’accélérer les productions de vaccin, ils sont donc actuellement en pourparlers et en négociations, avec énormément de pays dans le monde.

Ces négociations portent sur le prix de cession du brevet, certes (c’est une sorte de droit d’auteur), mais l’essentiel du dossier porte sur les conditions de fabrication, de process, d’approvisionnement en composants (et c’est surement le maillon faible de la chaine de valeur). Les négociations portent aussi sur la main d’œuvre, parce que le personnel compétent est rare... La construction et la mise en route des usines de fabrication additionnelles prendront donc beaucoup de temps... encore un an ou plus avant d’avoir réussi.

Si Joe Biden et une grande partie des responsables politiques occidentaux pensent que la levée des brevets, c’est à dire la mise à la disposition au monde entier des autorisations de produire, offrirait un remède miracle à la vaccination du monde entier, ils se trompent. Plus grave ils trompent leur opinion publique.

Le problème n’est pas politique, éthique, moral ou idéologique. Il n’est même pas financier. Il est purement technique et sécuritaire.

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