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Emmanuel Macron lors d'une cérémonie officielle.
Emmanuel Macron lors d'une cérémonie officielle.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Pays en crise

Comment sortir de l’impasse ? Comment retrouver l’humanité sociale ?

Michel Fize

Michel Fize

Michel Fize est un sociologue, ancien chercheur au CNRS, écrivain, ancien conseiller régional d'Ile de France, ardent défenseur de la cause animale.

Il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages dont La Démocratie familiale (Presses de la Renaissance, 1990), Le Livre noir de la jeunesse (Presses de la Renaissance, 2007), L'Individualisme démocratique (L'Oeuvre, 2010), Jeunesses à l'abandon (Mimésis, 2016), La Crise morale de la France et des Français (Mimésis, 2017). Son dernier livre : De l'abîme à l'espoir (Mimésis, 2021)

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Notre société ressemble à un « bateau ivre » à la dérive que rien ni personne ne semble pouvoir ramener à bon port. Cette société implose et explose en même temps. Si l’explosion est ponctuelle – on se souvient des émeutes de 2005, du mouvement des Gilets jaunes de 2018-2019, de celui des cheminots de 2019, des manifestations contre la réforme des retraites de 2023 -, l’implosion est, elle, structurelle, frappant tout à la fois institutions, pouvoirs, personnes. L’on peut parler d’un délabrement général qui n’épargne donc pas les individus eux-mêmes. Dans un livre récent De l’Abyme à l’espoir (Mimésis, 2021), je passe en revue les différents symptômes de ce délabrement multiforme : économique, social, financier, politique, moral. Le diagnostic du mal est donc aujourd’hui connu mais doit être inlassablement répété : c’est le rôle des sciences sociales en particulier.

La crise que traverse notre pays est bel et bien générale : d’abord économique et sociale et financière, avec des indicateurs sévères : taux de chômage, de précarité et de pauvreté élevés, dette publique abyssale, charge fiscale écrasante ; ensuite politique avec des institutions à bout de souffle, des partis moribonds, une participation électorale en recul constant, un pouvoir de plus en plus contesté et qui doit recourir régulièrement aux procédures exceptionnelles comme le 49-3, une opposition divisée ; enfin, on l’oublie trop souvent, que la crise est aussi morale, caractérisée notamment par une montée des violences, dessinant ce que l’on peut appeler, en référence à l’analyse du sociologue allemand Norbert Elias, une « dé-civilisation des mœurs ». L’individualisme est triomphant, et c’est bien là le problème. L’individuation sociale pousse en permanence à l’agressivité et au désordre des mœurs, et c’est bien là le problème. Dans ces sociétés de l’individu, les hommes placent l’amour de soi au-dessus de toute loi morale.

La force des ébranlements, désormais partout établi, est que chacun – malgré soi, souvent – y participe à son niveau avec ses moyens et l’intérêt qu’il trouve à s’inscrire lui-même dans le désordre généré. La « dé-civilisation » - que d’aucuns nomment pudiquement « brutalisation » - et qui n’aura été, chez nous, que le sujet médiatique d’un jour - est au contraire un fait social majeur, et même un « fait total » pour reprendre une expression sociologique connue. Ce fait mérite donc une prise en charge lourde, et d’abord du pouvoir en charge des équilibres sociaux et moraux, c’est-à-dire en France du président de la République. C’est à lui qu’incombe en effet la responsabilité de susciter des comportements nouveaux mieux accordés à l’exigence de bienveillance qui doit imprimer les rapports entre les hommes. Ici, il y a urgence à sortir de pratiques individualistes incontrôlées (donc de plus en plus violentes), à déverrouiller les « moi » égoïstes trop souvent dominés par les pulsions : le but étant évidemment de retrouver les mécanismes naturels du jeu social (dialogue, compromis), les vertus de l’« inter-soi » c’est-à-dire de l’échange et de la solidarité. En résumé, il s’agir rien moins que de changer la société et de changer l’homme.

Comment faire, compte tenu de la « société bloquée » dans laquelle nous nous trouvons plongés ? Comment faire, sachant que des demi-mesures en tel ou tel domaine ne suffiront pas à assurer le déblocage ? Comment donc sortir de la déliquescence ?

Le constat du général de Gaulle dressé dans son allocution du 24 mai 1968 n’a pas pris une ride. « Notre pays, disait-il aux Français, se trouve au bord de la paralysie. Il s’agit pour nous, Français, de régler un problème essentiel que nous pose notre époque, à moins que nous ne roulions, à travers la guerre civile, aux aventures et aux usurpations les plus odieuses et les plus ruineuses ». Or, force est de reconnaître que, dans les propos d’Emmanuel Macron, l’on ne voit l’esquisse d’aucune méthode susceptible de déverrouiller le corps social, de plus en plus délabré.  

Des solutions existent cependant, notamment au plan politique, celles précisément empruntées par le général de Gaulle en mai-juin 1968 : la dissolution de l’Assemblée nationale (sans garantie, il est vrai, aujourd’hui, de voir surgir une majorité nouvelle de gouvernement) ou bien le référendum, dont Michel Debré disait qu’en cas de crise politique il permettait de revenir à l’expression populaire. De Gaulle considérait lui aussi comme une nécessité de revenir au peuple « par la voie la plus directe et la plus démocratique possible : celle du référendum ». Et au cas de désaveu, de partir, ce qu’il fera en avril 1969 après le rejet de son projet de régionalisation et de réforme du Sénat.

Cependant, on le sait, la démission n’a jamais été une option envisagée par Emmanuel Macron déterminé à mener son mandat jusqu’à son terme. Et ni la dissolution – après le dernier remaniement ministériel -, ni un référendum, ne semblent à l’ordre du jour.

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Mais, c’est au plan moral (au sens sociologique et non moraliste du terme) que l’action doit être la plus décisive car, qu’on le veuille ou non, les valeurs morales sont les valeurs essentielles d’une société. Les mentalités seules importent – les bonnes mentalités ! Montesquieu rappelait, dans L’Esprit des Lois, que si l’on faisait des codes pour les lois, l’on n’en faisait pas pour les mœurs. Avec ou sans code, il faut pourtant, dans une société, des mœurs pour établir le respect et la concorde entre les hommes. La civilité, disait ce même Montesquieu, empêche les hommes de se corrompre. Bien sûr, l’on va dire que la morale (au sens, répétons-le, de mœurs individuelles et collectives), n’est pas une priorité dans le bourbier social actuel, mais, à force de dire qu’un sujet n’est pas la priorité du moment, l’on finit par ne plus traiter les sujets essentiels. Or, aucune société ne peut vivre sans respect mutuel ni politesse élémentaire. Quand les « bonjour », « au revoir », « merci », « s’il vous plaît », disparaissent du langage ordinaire, quand il n’y a plus cette reconnaissance d’autrui, la société est morte.

Il faut donc agir sans tarder sur les leviers disponibles : famille et école en tête. La première doit être soutenue, non stigmatisée. Priver les parents de jeunes délinquants d’allocations familiales (solution démagogique à la mode) n’aurait qu’une « vertu » : aggraver les conditions de vie de familles déjà en grandes difficultés (n’oublions pas que dans les cités vivent de nombreuses familles monoparentales qui sont parmi les plus pauvres des familles), accroître l’humiliation des parents comme des enfants. Comme disait déjà Montesquieu, on ne combat pas la dé-civilisation par un surcroît de punitions.

Non, c’est bien de soutien dont ces familles carencées ont besoin. Offrons-leur par exemple des « cours du soir » où il sera question de citoyenneté, de vivre-ensemble, de valeurs positives. Le but : permettre à des parents démunis, autant d’espoir que d’argent, d’accomplir leur irremplaçable rôle éducatif.

L’école enfin doit, elle-aussi, être mieux accompagnée. N’acceptons plus les violences qui en gangrènent le quotidien depuis tant d’années. Refaisons des cours de récréation des lieux de convivialité, non de rivalités réglées à coups d’injures et de coups de poings ou de pieds. Un élève est déjà un citoyen, qui doit se comporter comme tel. Confions en outre aux élèves, en plus de leurs cours, toutes les responsabilités possibles au sein des établissements où ils vivent une partie de l’année. Le civisme s’exerce autant qu’il ne s’apprend dans les livres. A cet égard, l’institution d’un grand cours d’éducation civique et sociale serait de la plus grande utilité, un cours qui serait centrée sur le vivre-ensemble, les valeurs, les mots de la politesse, les techniques de règlement pacifique des conflits.

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Une chose est sûre, il faut sortir cette société de l’ornière. A défaut d’emprunter une voie « grand-réformiste », il resterait à cette société la voie révolutionnaire – avec tous les dangers, tous les risques de « terreur », que présente toujours une période postrévolutionnaire. Mais, de toute façon, cette voie est une pure « hypothèse d’école ». Il n’y a pas aujourd’hui d’artificiers susceptibles de mettre le feu aux poudres et d’immoler l’Etat défaillant. Tout juste voit-on de ci de là quelques lanceurs de mortiers qui ne représentent pas un véritable danger pour la République.

Oui, reposons une dernière fois la question, comment sortir de l’impasse ? Comment retrouver l’humanité sociale ?

 Michel FIZE, sociologue et politologue

Auteur de Colères (Independently published, 2023)

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