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Christiane Taubira prononce un discours alors qu'elle officialise sa candidature lors d'un rassemblement pour l'union de la gauche à Lyon, le 15 janvier 2022.
Christiane Taubira prononce un discours alors qu'elle officialise sa candidature lors d'un rassemblement pour l'union de la gauche à Lyon, le 15 janvier 2022.
©JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

2022

Mais contrairement à Assurancetourix, on ne peut pas la faire taire.

Isabelle Larmat

Isabelle Larmat est professeur de lettres modernes. 

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Une poétesse nous est née, Tristes Tropiques.

Elle aimait Césaire. Christiane Taubira ne manque pas de nous le rappeler, constamment, dans un lyrisme échevelé. Malheureusement, l’air ne fait pas forcément la chanson…

Notre femme politique « lettrée » qui revendique en effet sa filiation directe, tant littéraire que politique avec le chantre de la Négritude, a annoncé, depuis la « Colline des canuts », en toute simplicité, sa candidature à la présidence de la République.

Parce que je suis lyonnaise, parce je fus adolescente en Guadeloupe et que je me suis par conséquent passionnée pour le poète martiniquais, parce que je suis nostalgique d’une gauche intelligente ; de cette gauche pleine d’esprit qui savait jadis poser sur les plaies du monde le baume de l’humanisme et de la culture ; en deuil de cette gauche qui m’a appris à réfléchir et à aimer l’altérité ; déçue par cette gauche autrefois « jeune et belle » comme le dit si justement un de mes amis chers, je suis allée écouter l’Appel de la Croix-Rousse lancé par Christiane Taubira,  sous un froid polaire puis, j’ai suivi les interventions de notre griotte guyanaise sur les plateaux de télévision.

Frigorifiée au sommet de la « colline qui travaille », je fus prise par l’espoir, alors que j’attendais la prise parole de Madame Taubira, de retrouver au moins le souffle du « Discours sur le colonialisme ». A défaut d’être d’accord avec la cause que défend Christiane Taubira parce que les temps ont changé et que les opprimés d’hier sont en passe de devenir les oppresseurs d’aujourd’hui, j’espérais au moins être transportée par un Verbe fort et puissant, susceptible de servir une cause. Qu’importe l’ivresse pour peu qu’on ait le flacon… Les mots, les mots, toujours les mots, enfin leur retour triomphant sur la scène politique, fini l’anaphore étique à laquelle nous avait habitué le candidat Hollande.

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 Souvenons-nous plutôt : ce « Discours sur le colonialisme, » d’Aimé Césaire, c’était un enchantement rhétorique :

J’entends la tempête. On me parle de progrès, de « réalisations », de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes.

Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, de cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées.

On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilomètres de route, de canaux, de chemin de fer.

Moi, je parle de milliers d’hommes sacrifiés au Congo-Océan. je parle de ceux qui, à l’heure ou j’écris, sont en train de creuser à la main le port d’Abidjan. Je parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la vie, à la danse, à la sagesse.

Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme. (…)

Oui, j’aurais aimé, avec Christiane Taubira, voir apparaître sur la scène politique quelqu’un dont le Verbe serait aussi incisif que le fut celui d’Aimé Césaire en son temps. J’aurais adoré qu’elle mette ce Verbe au service des nouveaux Damnés de la terre qui ne sont pas les mêmes, je l’ai déjà dit, que ceux défendus autrefois par le poète. J’espérais retrouver enfin une voix forte pour tous les opprimés de la planète et Dieu sait s’ils sont nombreux. Ç’aurait été une heureuse perspective.

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Quelle déception ! La parole de la candidate s’avère sirupeuse et son propos fuyant, son projet fumeux.

Dans la grisaille lyonnaise, elle a surtout énuméré avec onction et componction les villes visitées par son auguste personne comme autant de stations où l’auraient conduite ses déambulations à la rencontre d’un pays meurtri dont elle se fait fort de réveiller l’espoir.

Quand on lui demande en préambule si elle envisage de s’effacer, confrontée à un hypothétique vainqueur de la Primaire qui ne serait pas Elle, impossible d’avoir les éléments d’une réponse claire. Celle-ci semble définitivement noyée dans les méandres d’une parole tortueuse et d’une pensée retorse, méandres qui n’ont rien à envier à ceux du fleuve Maroni. Les autres prétendants de gauche en lice pour l’élection refusent, du reste, une Primaire populaire. « Quand c’est non, c’est non ! » s’énerve Yannick Jadot.  Jean-Luc Mélenchon, lors d’un meeting à Nantes, « tortue électorale sagace », comme il se plait à se qualifier lui-même, engage plutôt ses partisans à rester groupés derrière lui. Anne Hidalgo, après avoir proposé ladite Primaire pour se rétracter aussitôt, tape du pied avec véhémence depuis la cour de récré où elle s’est réfugiée, refusant de partager son goûter : « Chacun est libre de faire ce qu’il veut et maintenant, c’est projet contre projet ! » Je me suis même laissée dire qu’elle avait ponctué cette phrase, missile s’il en est, d’un : « Na ! » des plus offensifs, baste !

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Quand on a demandé à Madame Taubira des précisions relatives au financement de son louable projet concernant une bourse octroyée aux étudiants, on s’est aussitôt fait rembarrer. Et Christiane Taubira de Tweeter : « Madame @LeaSalame pose des questions malveillantes en interrogeant le coût de mon projet. 10, 50, 100 milliards, quelle importance, les chiffres, comme le disait Aimé Césaire, ne sont que la sombre brume que surplombe l’esprit éclairé des volontaires. » Ben voyons ! Le réel est obscène, c’est bien connu.

Quant à feu notre poète, dont se réclame Madame Taubira, je ne suis pas vraiment sûre qu’il se réjouisse d’être embarqué dans cette galère. Sans doute, parce qu’il a en son temps justement et bien ferraillé contre l’adversité, on peut considérer qu’il est en droit de souhaiter qu’on respecte son :

Silence

Silence par delà les rampes

Sanguinolentes

Par cette grisaille et cette calcination inouïe.

Enfin, lui,

Ce vent des méplats, bonheur,

Le silence

Christiane Taubira, donc, définitivement au service de sa seule ambition personnelle démesurée, atomise ce qu’il reste d’union à gauche. On ne peut s’empêcher avec Laurent Delahousse de l’inviter à considérer avec attention l’avertissement donné par mère Agnès (une bonne sœur dont parle Christiane Taubira dans son récit « Nuit d’épine ») : « Savez-vous Christiane, que l’orgueil est un péché capital qui peut devenir péché mortel ? » Mortel pour la gauche, c’est certain…

Christiane Taubira symbolise la faillite d’une partie de la gauche qui a abandonné la lutte pour l’émancipation des humbles, se préoccupant davantage de l’essor d’un libéralisme sociétal pervers et doublé d’un antiracisme dévoyé qui fracture chaque jour un peu plus la société. Cette Gauche, par la voix de Christiane Taubira, ne propose plus que de vivre des « morceaux de vie… comme carreaux cassés », pour reprendre le titre que donna la poétesse tropicale à son recueil de nouvelles paru en septembre 2021. Christiane Taubira, dont les nuits habitées par le verbe sont plus belles que nos jours, rendue, comme elle le dit d’elle-même : « invincible » par la poésie, achève la Gauche en la confortant dans des dérives communautaristes qui ne peuvent plus séduire qu’un microcosme médiatique et militant cynique, soucieux de se donner bonne conscience sans trop mouiller la chemise. Il s’agit juste pour Madame Taubira de prendre une posture de résistante qui dénonce la montée des populismes qu’elle n’a cessé d’alimenter. Il s’agit simplement de faire un petit tour de piste avant d’appeler à voter avec solennité et résignation pour Emmanuel Macron.

Il nous reste à souhaiter, parce qu’on n’aime pas les airs pris par la dame lorsqu’elle convoque les mânes du chantre de la Négritude, que sa candidature achève de discréditer la gauche sociétale et qu’on puisse enfin envisager la restauration d’une gauche républicaine et sociale : elle manque cruellement au débat actuel.

Isabelle Larmat, professeur de Lettres modernes.

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