Une étude démontre que l’austérité fiscale post-pandémies accroît nettement les inégalités<!-- --> | Atlantico.fr
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Des billets de 20 et de 50 euros et des billets de 50 dollars.
Des billets de 20 et de 50 euros et des billets de 50 dollars.
©Denis CHARLET / AFP

Effets secondaires

Selon une étude réalisée par des économistes du FMI, la politique budgétaire mise en place au lendemain de précédentes pandémies a joué un rôle important dans la réduction ou l'amplification des inégalités de revenus. L'austérité budgétaire aurait tendance à intensifier l'augmentation des inégalités après les pandémies.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Une étude publiée dans VOX Eu et réalisée par des économistes du FMI montre que la politique budgétaire mise en place au lendemain de pandémies passées joue un rôle important dans la réduction ou l'amplification des inégalités de revenus. Alors que la peste noire est célèbre pour avoir obligé les propriétaires terriens à faire des concessions pour conserver (ou obtenir) de la main-d'œuvre, ça n'a pas été le cas lors de pandémies récentes. Les chercheurs ont analysé les données de cinq épidémies précédentes (SRAS, H1N1, MERS, Ebola et Zika) et ont constaté que les mesures d'austérité sévères sont associées à des augmentations d'inégalité. Ces résultats vous surprennent-ils ou rejoignent-ils ce que l'on sait de l'austérité fiscale hors crise sanitaire ?

Alexandre Delaigue : Ce n'est effectivement pas totalement une surprise de voir que l'austérité budgétaire, quel que soit le contexte où elle apparaît, a un effet négatif sur les inégalités. Ici, nous pouvons nous placer dans une perspective historique plus grande, qui est celle de l'historien Walter Sheidel. Il a écrit il y a quelque temps un livre dans lequel il a montré que les inégalités très fortes semblaient être une constante dans l'histoire longue de l'humanité et que - ce qui peut sembler un peu paradoxal - les différentes catastrophes naturelles ou humaines ont historiquement eu tendance à réduire ces inégalités. Il en analyse les mécanismes. Vous parlez de la peste noire, mais il montre aussi, par exemple, que les lendemains des grandes guerres ont souvent abouti à une réduction des inégalités, car il est nécessaire d'obtenir des ressources pour mener le conflit ou tout simplement parce que les guerres détruisent une partie du capital existant.

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Ce que cet historien a montré, c'est qu'il avait une vision relativement pessimiste sur la perspective de réduire les inégalités, puisque historiquement, seulement les grandes catastrophes ont pu générer des actions politiques ou un nouveau contexte susceptible d'entraîner cette réduction.

Quand on regarde les épidémies les plus récentes, le problème, si l'on peut s'exprimer ainsi, est qu'elles n'ont pas eu la taille suffisante pour pouvoir produire le type de grands bouleversements que des grandes catastrophes du passé ont pu générer. On peut s'en réjouir, car il est quand même mieux d'éviter d'avoir tout le temps de très grandes catastrophes.

Oui, la peste noire a entraîné la mort de 30 à 50% de la population !

Oui, voilà. Et il y a d'autres exemples. C'est ce qu'a d'ailleurs constaté Thomas Piketty : les grosse réductions des inégalités qui ont suivi la Première et la Seconde Guerre mondiale ont été dues partiellement à l'évolution de la fiscalité - le fait que d'un seul coup, du fait du changement de l'équilibre politique, il a été possible de créer un impôt sur le revenu progressif, etc. - mais aussi tout simplement à la destruction physique des patrimoines. La crise des années 30 et les destructions qui sont intervenues pendant la Seconde Guerre mondiale ont littéralement détruit les grandes fortunes au sens propre du terme. Là aussi, on peut espérer que la réduction des inégalités puisse passer par autre chose.

Justement, cet « autre chose » peut être une réponse budgétaire importante. La pandémie de COVID-19 a entraîné une dépense mondiale estimée à près de 12 000 milliards de dollars, soit environ 12 % du PIB mondial. Cet effort inédit doit-il se poursuivre, malgré l'augmentation des niveaux d'endettement qui en résulte ? N'y-a-t-il pas le risque que ce soutien qui dure entraîne demain une austérité plus forte ?

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C'est une possibilité, mais d'un certain point de vue, pour beaucoup de choses, nous n'avions pas réellement le choix. Nous avons bien vu qu'il n'y avait pas vraiment d'autre solution que d'arrêter l'activité économique et de la soutenir de manière budgétaire. L'essentiel de la hausse des déficits et de l'endettement qui est survenue pendant les deux dernières années était largement accidentel et un peu inévitable.

La question maintenant, c'est de savoir s'il faut faire des plans de relance massifs maintenant, pour le redémarrage de l'activité. Ce sujet est plus débattu parmi les économistes. Mais dans l'ensemble, l'opinion majoritaire en ce moment va plutôt dans le sens de la relance de l'activité que de directement se lancer dans des politiques d'austérité. Sachant que cela sera très différent selon les pays et selon leur capacité à mener de tels plans de relance. Mais cela ne vient pas tellement de la réponse à la pandémie. Cela vient plutôt de la situation initiale avant la pandémie. Ceux qui avaient peu de marge de manoeuvre fiscale, parce qu'ils avaient déjà un niveau d'endettement très élevé, ou parce que - on peut penser aux pays d'Amérique du Sud - dès qu'ils atteignent des niveaux d'endettement, même pas très fort, ils se retrouvent dans des situations difficiles pour des raisons historiques qui sont bien connues. Tous les pays qui n'ont pas beaucoup de marge de manoeuvre vont se retrouver en assez grande difficulté.

Concernant les inégalités, il va donc y avoir des réponses différentes selon les pays. Ceux qui ont la capacité de mener des politiques de relance importantes vont probablement le faire, car il y a un large consensus autour de ça. Mais cette capacité de réponse ne sera pas la même partout.

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Il y a donc un risque d'autant plus fort d'augmentation des inégalités que les pays connaissent déjà des difficultés, comme c'est le cas notamment en Amérique du Sud ?

Il est difficile d'être optimiste parce qu'il s'agit du continent dans lequel l'impact de l'épidémie est le plus fort. Par exemple, au Pérou ou au Brésil. On y voit des conséquences économiques très importantes, mais aussi des conséquences politiques importantes, mais surtout, même quand il sera possible de redémarrer, ces pays n'ont pas énormément de capitaux. Et ce sont déjà des pays très, très inégalitaires. Il y a donc de bonnes raisons d'être très inquiets pour les pays d'Amérique latine.

Dans cet article, les économistes font un peu le procès du virage de l'austérité qui a lieu à partir de 2010, dès les premiers signes de reprise post-crise de 2008. Ils notent que ce virage vers l'austérité a entraîné une réduction des dépenses de santé des gouvernements à l'approche de la pandémie de COVID-19. Le fait que des économistes du FMI fassent ce constat montre-t-il que l'institution a tiré les leçons des politiques de rigueur mises en oeuvre à partir de 2010 en Europe ?

C'est un processus qui est en cours depuis pas mal de temps. Il faut savoir qu'au FMI, il y a d'un côté des économistes qui font des publications, tandis que de l'autre côté il s'agit d'une institution qui formule un certain nombre de préconisations qui ont participé à un certain nombre de plans mêlant sauvetage et austérité. On peut penser, par exemple, au cas de la Grèce. Il arrive que l'institution se retrouve un peu à parler deux voix différentes. Lorsque les économistes publient, cela ne veut pas forcément dire que la doctrine pratiquée par l'institution change. Mais pour le coup, il y a eu une évolution assez nette du FMI qui a suivi le consensus des économistes. Il est allé dans un sens beaucoup plus favorable à la relance qu'à l'austérité. C'est une évolution qui a eu lieu à la fois sur le plan de la doctrine, mais aussi assez largement sur le plan des préconisations.

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