Marcel Boiteux : un grand commis comme l’Etat n’en compte plus<!-- --> | Atlantico.fr
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Marcel Boiteux fut un grand serviteur de la France et a dirigé EDF entre 1967 et 1987.
Marcel Boiteux fut un grand serviteur de la France et a dirigé EDF entre 1967 et 1987.
©Sameer Al-DOUMY / AFP

Hommage

C’est l’homme qui fut notamment un président emblématique d’EDF.

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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Beaucoup retraceront l’itinéraire exceptionnel de celui qui a porté EDF au premier rang mondial des entreprises de production électrique, en particulier en effectuant des choix courageux lors de l’installation du parc nucléaire Français.

Mais Marcel Boiteux se définit avant tout comme un grand commis de l’Etat, une qualification qui date mais qui imprègne la mémoire collective, un homme attaché au Bien Commun, éloigné d’une volonté de mise en avant individuelle, désireux de servir une politique à long terme du pays pour assurer sa prospérité sur un domaine qu’il juge essentiel : la mise à disposition pour des dizaines d’années d’une électricité abondante, bon marché et souveraine. Cette qualification peut-elle être reprise dans le cadre actuel, existe-t-il des responsables visionnaires identifiés dans un secteur d’activités essentiel pour le futur dont on reconnait qu’ils sont uniquement animés par la recherche d’un projet collectif sans ambition personnelle ? Au peuple Français appartient et à lui seul la réponse à cette question, ce qui ne nous empêche pas de trouver quelques réponses dans l’actualité de ces dernières années et, pour beaucoup d’entre nous, de regretter de ne pas connaitre de nouveaux « grands commis de l’Etat »ni actuels ni en devenir.

Tout d’abord , par rapport à cette période du lancement du grand programme de construction des centrales nucléaires, l’Etat, celui qui a une vision long terme et qui prend des décisions courageuses, s’est considérablement érodé. Le long terme qui permet de stabiliser le secteur des infrastructures en dépassant les périodes électorales a peu à peu disparu du quotidien des Français ! Les causes sont multiples, mais les raccourcissements des mandats électifs à 5 ans, le non cumul des mandats et les chasses à l’homme organisées contre les élus et les réussites individuelles ont conduit à beaucoup de décisions prises sous le coup de l’émotion sans réflexion, sans étude d’impact, sans les replacer - dans un contexte national ou mondial. Une politique électoraliste terrorisée par les medias et désormais les réseaux sociaux, sans perspective historique, a conduit l’Etat non à disparaitre mais à changer de nature. Le Bien commun du long terme a laissé la place à la satisfaction de l’instant, à une politique de communication, et les vocations anciennes pour le glorieux « service de l’Etat » ont laissé la place aux carrières individuelles brillantes…essentiellement pour la presse et ce que Raymond Barre appelait le « microcosme » , le petit monde Parisien qui s’auto-alimente du néant ! L’Etat Régalien des politiques à long terme qui transcendent les petits calculs médiocres a momentanément, espérons le, disparu et, par conséquent, ne peut plus enfanter ces Grands Commis attachés au drapeau et à un avenir que leur âge ne leur permettra plus de connaitre mais qu’ils préparent néanmoins avec passion , pour un drapeau, pour un pays, pour les générations futures dont ils se considèrent comme partiellement responsables. Cette foi dans la pérennité du pays, dans ses forces, dans sa prospérité future, il faut bien constater qu’elle a peu à peu disparu.

En ce qui concerne l’énergie, cette génération qui disparait peu à peu, et Marcel Boiteux avait dépassé les cent ans, plaidait pour l’abondance, et donc la poursuite du développement, la conquête scientifique, technique et industrielle, l’installation de nouvelles productions des biens essentiels pour le futur du pays et aussi du monde, la croissance qui est le ressort de toutes les civilisations qui ont duré. Il y avait donc une confiance dans une population qui étudiait et vénérait la valeur travail et dans un appareil de production dont l’avenir était la multiplication. Qui porte aujourd’hui cette ambition au niveau de l’Etat, qui peut aller au nom de tous les scientifiques, techniciens et industriels dire à la fois aux élus et à la population que l’on prépare l’avenir des générations futures alors que depuis l’exécutif jusqu’aux parlementaires on ne parle que court terme, demain, même pas après demain : tout est organisé pour que l’on ne parle que de l’instant tandis que le long terme est l’objet de peurs, d’angoisses de cataclysmes et de rien d’autre. Nul espoir de lendemains qui chantent désormais et donc de préparation minutieuse des investissements qui vont nous permettre de satisfaire les générations futures. Nulle vision non plus autre que, pour notre pays, l’organisation d’un déclin progressif et inéluctable. Nulle nécessité donc pour aucun des acteurs du monde politique et économique de montrer les richesses du monde futur, il suffit de faire peur et, pour gouverner empêcher le maximum d’initiatives susceptibles de modifier le cours des choses.

Il y a donc eu disparition de l’Etat visionnaire, organisateur de l’avenir et Régalien et apparition d’une bureaucratie attachée à réguler et contrôler de plus en plus fermement la vie de tous les Français dans ses moindres détails, on a donc un Etat de la vie quotidienne incitant, subventionnant et sanctionnant 65 millions d’individus qui ne sauraient pas autrement comment agir « bien ». La naissance de cet Etat tentaculaire , obèse, générant de façon continue normes et règlements de plus en plus précis, de plus en plus contradictoires et nécessitant de plus en plus de « gendarmes »  dans toutes les disciplines, a fait disparaitre l’autre celui des taches du long terme s’appuyant sur du personnel compétent ayant pour objectif unique le bien commun de la population sur des dizaines d’années.

Cet Etat nouveau, à l’utilité discutable puisque les entreprises font beaucoup mieux que lui le travail efficace comme cela vient d’être abondamment démontré, n’a pas besoin de « Grand Commis » désintéressés, de personnalités fortes et déterminées à envisager le futur, cet Etat nouveau se nourrit d’un personnel obéissant , conformiste et arrogant se jugeant supérieur à une population pour une partie mendiante !

La disparition de Marcel Boiteux ne doit pas nous conduire à une nostalgie « avant c’était mieux », mais à nous interroger sur le projet de société vers lequel nous allons, sur la possibilité pour notre démocratie de nous organiser sur le long terme avec une vision de la France à 10 ans, à 20 ans, à 30 ans …et des projets à mettre en œuvre pour nous y préparer . Il existe dans notre République encore beaucoup de personnes qui veulent travailler pour l’avenir et qui sont prêts à  engager le pays dans une autre voie que celle du  déclin, à sacrifier une partie du court terme pour assurer la prospérité des nouvelles générations. Pour cela il faut parler pour l’énergie d’abondance, de prix bas et de souveraineté . Il faut donc tordre le cou à la gestion de la pénurie et à l’organisation de la sobriété qui sont deux verbalisations du même concept . Il ne faut pas « gaspiller »  , il faut savoir recycler et « durer » , mais envisager la nécessité de la décroissance c’est perdre l’espoir et c’est la disparition définitive de l’Etat visionnaire et de ses Grands Commis.

Croire en la France, l’aimer, c’est croire en sa prospérité et non organiser son déclin, c’est s’appuyer sur tous les  hommes et les femmes de France qui veulent l’excellence scientifique , technique et industrielle , c’est retrouver un Etat qui porte une vision de l’avenir sur des réalités et non sur travaux de « communicants ». Quelles que soient les manipulations de l’opinion, la population sait que l’inflation est revenue, qu’elle la fait souffrir, et elle a besoin de confiance dans un Etat visionnaire et non bureaucratique, elle a besoin d’hommes et de femmes qui mettent l’intérêt collectif au dessus des intérêts individuels. 

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