"Un apartheid territorial, social, ethnique" : pourquoi on ne réduira les discriminations qu’en arrivant à distinguer celles qui relèvent de préjugés de celles qui ne sont que le fruit d’un contexte<!-- --> | Atlantico.fr
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Manuel Valls dénonce un "apartheid territorial, social et ethnique" en France.
Manuel Valls dénonce un "apartheid territorial, social et ethnique" en France.
©Reuters

Quiproquo

En matière d'analyse des inégalités, c'est un vieux serpent de mer qui revient incessamment à la Une de l'actualité et que Manuel Valls a encore ressorti face à la presse : la discrimination. Souvent résumée au racisme, elle englobe pourtant d'autres problématiques concrètes trop souvent occultées.

Zohra Bitan

Zohra Bitan

Membre fondatrice de La Transition, Zohra Bitan est cadre de la fonction publique territoriale depuis 1989, ancienne conseillère municipale PS de l'opposition àThiais (94), et était porte-parole de Manuel Valls pendant la primaire socialiste de 2011. Militante associative (lutte contre la misère intellectuelle et Éducation), elle est l'auteur de Cette gauche qui nous désintègre, Editions François Bourin, 2014.

 
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Xavier Lemoine

Xavier Lemoine

Membre du Mouvement pour la France, puis de l'UMP, Xavier Lemoine, vice-président du PCD, est maire de Montfermeil depuis juin 2002, réélu avec 61,34% des voix au premier tour en mars 2014.Il a été vice-président du Conseil national des Villes, et est actuellement vice-président aux finances du territoire Grand Paris Grand Est, et conseiller métropolitain délégué. 

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Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : Aujourd'hui que l'on vive en banlieue ou à la campagne, quelles sont les principales discriminations auxquelles les populations sont confrontées ?

Xavier Lemoine : Avant de parler de discrimination, il faut préciser les termes : vouloir faire croire à longueur de journée que dans les banlieues on est victime des autres sans se poser des questions soi-même, je pense que c'est le pire départ que l'on peut prendre. Je rappelle que c'est dans les banlieues que l'argent public a été massivement injecté ces vingt dernières années et encore plus ces dix dernières années avec  notamment l'ANRU (agence nationale de renouvellement urbain). Je voudrais enfin être sûr que nos provinces ne soient pas plus discriminées que nos banlieues qui sont à proximité de grands pôles économiques,  de grands pôles culturels  et de grands pôles de consommation irrigués la plupart du temps par de nombreux transports en commun. Reprendre le discours misérabiliste et victimaire est donc pour moi le plus mauvais départ.

Les territoires qui ont des difficultés sociales, économiques et urbaines, existent effectivement. Il faut des politiques publiques de rattrapage sur ces thèmes mais de nombreuses études et rapports de la Cour des Comptes montrent qu'entre les moyens mobilisés et les résultats obtenus, le compte n'y est pas.  

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Je ne cesse de dire que l'enjeu dans les banlieues est d'abord d'ordre culturel. En ce qui concerne les dysfonctionnements économiques, sociaux et urbains, on est dans l'ordre des conséquences et non des causes. Si on ne revoit pas l'ensemble des politiques publiques à l'aune de cet enjeu culturel, on n'y arrivera pas. Ces enjeux culturels ont été niés au nom du droit à la différence exacerbée. C'est l'échec de la multiculturalité. A cette exagération du droit à la différence la société française a répondu par le droit à l'indifférence. Chacun vit sa vie sans se préoccuper de l'autre. Ce n'est pas de la discrimination, c'est de l'indifférence dans la mesure où tout se vaut, tout s'équivaut, il n'y a plus de règles communes.

Guylain Chevrier : Selon le Défenseur des droits, qui a reçu 6500 réclamations pour discrimination en 2012, la première des discriminations est celle relative au handicap avec 25,9% qui est passée devant celle selon l’origine qui se situe à 22,5%, celle concernant la religion est à niveau très bas, 2,2%, l’activité syndicale pour 6,2%. L’emploi reste le domaine de réclamations majoritaire avec 51,5%. Ceci étant, le nombre de réclamations reste très limité au regard de l’idée selon laquelle, les populations relevant d'un « apartheid » supposé, ainsi que l'a défini le Premier ministre, seraient victimes en nombre de discriminations. Les chiffres montrent qu’il y a un travail à continuer dans ce domaine mais que nous ne sommes pas dans une société qui délibérément exclurait des individus sur le mode d’une ségrégation, telle que celle que les Etats-Unis ont connu avec des minorités sans droits civiques, voire sans droit du tout et des persécutions organisées par l’Etat dans l’Afrique du Sud de l’Apartheid avant le retour de Mandela.

Répondre à la question des discriminations devient de plus en plus complexe, car en réalité la principale cause des inégalités reste celle du manque d’emplois, avec des conséquences multiformes.

Il est certain que l’éloignement des pôles urbains où se concentrent les bassins d’emplois, sur le modèle des métropoles, peut constituer en soi une difficulté. Si on abandonne certains espaces de notre société, ce n’est pas, contrairement aux idées reçues ou répandues, les quartiers sensibles qui drainent des milliards attribués à la politique de la ville, mais la ruralité. Les zones urbaines sensibles ne représentent que 7% de la population française, alors que 85% des pauvres vivent en dehors de celles-ci. On trouve dans la ruralité de moins en moins non seulement d’entreprises, mais d’écoles, d’établissements de formation post-Bac, de services publics,  d’hôpitaux, de transports… 20% de la population vit en milieu rural.

Comme le dévoile un rapport public sur la pauvreté et la précarité en milieu rural, fait à partir d’une enquête de 2009, la pauvreté y est très présente avec son lot de discriminations, phénomène bien moins visible que celui de la pauvreté en milieu urbain, et aux enjeux bien moins médiatiques. Les populations concernées sont très diverses : population rurale ancienne (petits exploitants agricoles, salariés précaires de l’agriculture et de l’artisanat, veuves âgées, ex-salariés d’une industrie disparue, etc.) et néo-ruraux (urbains reconvertis dans l’agriculture, familles modestes ayant fui les prix urbains mais confrontées aux contraintes de transport, de garde d’enfants ou de rareté de l’emploi, sans domicile fixe subsistant de petits travaux, etc.). Cette pauvreté concerne largement des ménages avec enfants, les jeunes adultes constituant 45,1% de la population pauvre. Le taux moyen de pauvreté, selon les critères de l’INSEE, y est supérieur de plusieurs points, à la moyenne nationale.

Mais en réalité, ce n’est plus vraiment un problème de ville ou de campagne, car des tendances se dégagent qui l’indiquent clairement. Le taux de pauvreté est supérieur à la moyenne nationale concernant les personnes jeunes, 25 % des 18-24 ans, les femmes et les plus de 75 ans, 12,5 % dont 70 % de femmes. Si l'emploi est pensé comme le meilleur rempart contre la pauvreté, le taux de pauvreté en France n'en touche pas moins de 6,7 % de la population active en raison de la généralisation du CDD, de la précarité de l’emploi mais aussi du temps partiel. Cette situation tend à aiguiser les discriminations en tous genres, car plus les possibilités se réduisent et plus les places sont chères en quelque sorte, et ceux qui donnent des signes de victimage seront les premiers touchés, qui étaient déjà moins bien lotis que les autres. Le fait d’être jeune ou sénior est un véritable critère de discrimination dans un tel contexte. Ceux qui montrent le moins d’avantages ou le plus de risques pour l’employeur ou le logeur ont tendance à rester sur le carreau.

Dans les banlieues, s’il y peut il y avoir un sentiment de relégation, c’est lorsque s’y accumule chômage, dépendance aux minima sociaux voire pauvreté, difficulté à se déplacer des quartiers de villes nouvelles par exemple vers les grands centres urbains riches, ainsi que concentration d’une population homogène socialement ou/et ethniquement qui redouble le sentiment d’être discriminés.

L’emploi et donc, l’accès à l’entreprise, reste le principal acteur de l’intégration sociale et de la promotion sociale. C’est un agent de socialisation essentiel pour l’accès à un certain nombre de codes sociaux : horaires à respecter, responsabilité au regard de tâches, relations sociales, apprentissage des rapports hiérarchique qui inclut celui de la promotion interne… Il y a une perte de sens de l’échelle du prestige qui apparait dans ce contexte comme plus ou moins réservée.

Ne pas disposer d’une voiture en milieu rural peut être un facteur très aggravant de discrimination parce qu’elle y est nécessaire comme moyen pour accéder au travail. Mais, il en va de même pour le banlieusard qui a besoin de se déplacer de banlieue à banlieue, alors qu’aujourd’hui le réseau de déserte en la matière, par exemple en région parisienne est défaillant, avec des temps de transport qui peuvent être presque insurmontable. S’il s’agit d’un parent seul qui a besoin d’être à l’heure à la sortie de l’école pour y chercher son enfant (environ 20% des familles aujourd’hui) cela renforce encore le problème. On voit que les facteurs de discrimination se surajoutent selon les situations. On voit bien aussi qu’inégalités et discriminations sont des termes qu’on a rendus interchangeables, ce vis-à-vis de quoi il faut prendre certaines précautions, alors que l’on glisse facilement dans l’analyse de la condition sociale à une lecture ethnicisée des rapports sociaux.

Quelles responsabilités la société dans son ensemble porte-t-elle dans l'existence de certaines discriminations ? Sont-elles le fruit d'une forme de racisme ?

Xavier Lemoine :Il y a certes un  problème de transport dans certaines banlieues, comme à Montfermeil ou Clichy-sous-Bois, des villes enclavées. Mais par exemple la cité des 4000 à La Courneuve a une station de métro. Et il y a beaucoup d'autres exemples similaires de territoires parfaitement reliés et dans les mêmes conditions d'urbanisme et de logement qu'ailleurs.

On n'a pas su lutter collectivement contre un certain nombre de dysfonctionnements et de modes de vie qui venaient contrarier les modes de vie originels. Les gens partent. Il y a des facteurs aggravants, économiques, notamment, mais ce ne sont pas des facteurs générateurs. Dans ma ville, on a un exode de familles qui ne supportent plus leur vie pavillonnaire, dont l'ambiance a changé. Comme autrefois dans les grandes tours. Les gens rejoignent Meaux ou Coulommiers, dans la grande ceinture. On ne veut pas de délinquance, on ne veut pas se faire rabrouer quand on veut faire respecter les règles.

Dire que le Français est raciste est totalement faux. J'ai fait le tour du monde pendant dix ans et j'ai une cinquantaine de nationalités sur ma commune. Je peux donc vous dire que le Français est l'un des moins racistes qui existent sur Terre. Mais à un moment donné il peut demander à être respecté dans sa culture sans être traité de raciste.

Zohra Bitan : La discrimination à l'embauche est un fait réel. Mais comme tout ce que je dénonce d’assistanats et de mesures exonérant les gens des cités de leur part d’effort, ce phénomène ne peut pas régresser. Pourquoi ? Parce que les habitants des cités doivent vivre avec un passé de plus de 30 ans où le fatalisme lié à leur condition sociale leur a été vendu contre quelques pansements renouvelables. Donc forcément la société porte un regard sur eux de citoyens différents, de seconde zone même pour employer les bons mots.

Le racisme à l’embauche est une conséquence  d’actes politiques qui ont enlevé toute dignité à ces gens. La pauvreté est certes difficile à vivre mais elle l’est encore plus lorsque l’on fait croire aux gens qu’elle justifie de tous les droits et jamais des devoirs. Et le premier devoir c’est de croire en soi, de croire que cette pauvreté peut être surmontée, qu’elle n’est pas immuable.

Les femmes sont par essence beaucoup plus courageuses et elles ont moins de choix pour la liberté. Pour elles, l’émancipation vient par le travail, l'école, la connaissance. Elles n'ont donc pour échappatoire que l'emploi et font les efforts nécessaires pour y parvenir.

Guylain Chevrier : Lorsque le Premier ministre s’exprime comme il l’a fait ce jour lors de ses vœux à la presse, parlant de « ghettos » et d’« apartheid territorial,social, ethnique » en France, il déporte l’attention vers un problème qui n’est jamais que le produit d’une économie de sous-emploi avant tout peu intégratrice des populations les plus exposées, les milieux populaires ruraux et urbains moins qualifiés, les populations issues de l’immigration de certaines banlieues. Des moyens considérables ont été injectés dans des politiques de lutte contre les inégalités qui ne peuvent être efficaces si au niveau de la croissance économique rien ne bouge. Il y a toujours une tentation qui est celle de faire passer des exclusions sociales, dues à cet état de fait, sur le plan des discriminations qui augmenteraient, désignant en creux ou en plein un sentiment de rejet des Français à l’égard des étrangers, mettant dans l’ombre les responsabilités de la collectivité, de l’Etat.

La notion d’ « apartheid » est ici utilisée au sens de « ségrégation » qui évoque la séparation dans l’espace de groupes sociaux ou ethniques et suggère une intention délibérée. 60% des immigrés venant du Maghreb, d’Afrique sub-saharienne ou de Turquie vivent dans trois régions, 40% en Ile de France, 10% en Rhône-Alpes et autant en Provence-Alpes-Côte d’Azur. 40% des immigrés de ces origines vivent dans les 10% des quartiers les moins favorisés du point de vue de l’emploi. Si une situation de fait existe, elle est surtout due à l’accumulation d’une immigration sur des décennies de crise économique qui progressivement s’est traduite par une situation de concentration de difficultés sociales et d’homogénéisation des populations de certaines banlieues. On a ainsi créé une demande sociale relative à la population migrante s’installant sur notre sol, rendue prioritaire sur des parcs de logements sociaux en raison de sa faiblesse économique, avec un renforcement des critères d’accès qui a fait fuir les classes moyennes nuisant à la mixité sociale, les autres populations lorsqu’elles le pouvaient face à cette évolution ont suivi le même mouvement. En laissant cette situation s’installer, on a objectivement créé les conditions d’une victimisation qui fait se confondre exclusion sociale avec  exclusion ethnique voire religieuse.

On voit donc que ce n’est pas le racisme qui est à l’origine des difficultés de ceux qui sont désignés comme victimes d’un « apartheid » social et ethnique, mais des politiques de l’Etat qui ont mal pensé leur rôle au regard d’une évolution, croisant dépression économique et immigration continue et élevée dans notre pays. Cette situation peut indéniablement aussi créer par réaction, il faut y être très attentif, du rejet. Mais il n’est alors que la conséquence déplorable et condamnable d’une réalité avec ses contradictions et non à son origine avec un FN en embuscade.

Il faut tout de même se rappeler que, s’il y a un phénomène de segmentation territoriale qui existe tel que décrit plus haut, il existe des dispositifs sociaux efficaces qui contribuent à maintenir notre cohésion sociale alors que la situation économique s’envenime, tels que, le revenu de solidarité active, la couverture maladie universelle, l’aide médicale d’Etat pour les personnes étrangères en situation irrégulière sur notre territoire qui, au bout de trois mois, bénéficient d’une couverture maladie sans avoir cotisé, l’Allocation Adulte handicapé, le Droit au logement opposable qui permet un accès à un logement en priorité dans le cadre de l’urgence sociale…, même si tout cela n’a rien de parfait ni de satisfaisant en termes de reconnaissance, d’autonomie et donc de liberté.  

Il faut aussi rappeler que le plan de cohésion sociale dit Plan Borloo, du nom du ministre qui l’a proposé en 2005, a mis en place un plan en faveur de l’égalité des chances faisant de la lutte contre les discriminations une véritable politique publique. Il en est allé de la création de la Haute Autorité de Lutte Contre les Discriminations et pour l’Egalité, remplacée depuis par le Défenseur des droits qui continue son travail, impliquant l’autorisation du testing avec des associations reconnues pour le réaliser comme SOS Racisme, dévoilant des discriminations à l’embauche, à l’accès au logement, à certains lieux de loisirs…, et la création du CV anonyme.

Il faut aussi souligner que, selon les données publiées par l’INSEE et l’Ined dans le cadre de l’enquête TeO, Trajectoires et origines (2011), la mobilité sociale des enfants d’immigrés est significative avec 74% d’entre eux qui occupent des postes d’ouvriers qualifiés contre 62% pour leurs pères, ils sont 24% dans les professions intermédiaires et 14%pour les cadres pour respectivement 7% et 4% pour leurs pères. Les choses sont donc à étudier avec mesure.

A-t-on tendance à sous-estimer les responsabilité individuelles quand on parle de discriminations ?

Xavier Lemoine : Il y a tout à la fois une responsabilité collective et individuelle. Je m'explique : lorsque j'organise des cours de français, j'ai 90 mamans qui y viennent pour 27 000 habitants. Si elles étaient venues en France il y a deux ou trois ans, je me dirais que c'est normal. Mais pour bon nombre d'entre elles, elles sont là depuis 10, 15, 20, 25 ans... Je me demande alors quel manque d'exigence avons-nous eu envers ces personnes dont on n'a pas exigé qu'elles apprennent le français, pourtant essentiel pour s'intégrer ? En ce qui concerne la responsabilité individuelle, je m'interroge : quel manque d'intérêt ont ces personnes envers la langue du pays qui les accueille ? Le droit à la différence exacerbé a été le plus grand facteur intellectuel pour nous désarmer dans nos exigences légitimes que nous aurions dû avoir envers les populations acceuillies.

Quant à l'emploi, si vous n'avez pas la maîtrise du français, je comprends qu'une entreprise préfère prendre quelqu'un qui le maîtrise parfaitement. A un moment donné, il y a un aspect de la compétence qui n'est pas là. Quand vous embauchez quelqu'un, vous embauchez un savoir-être et un savoir-faire. Le savoir-être est bien souvent plus important que le savoir-faire. Car on peut toujours faire évoluer quelqu'un sur le savoir-faire. Mais le savoir-être, c'est par l’éducation. Si vous avez des gens qui refusent d'être commandés par des femmes, par exemple, croyez-vous vraiment que c'est du racisme de ne pas le tolérer ? On a saucissonné la société française en micro-comportements qui à un moment donné ne peuvent plus se rencontrer. Si l'employeur a en face de lui et le savoir-faire et le savoir-être, les questions d'origine ou de couleur n'ont plus d'importance. S'il y a de telles impossibilités sur un minimum d'us et coutumes, cela peut poser problème. Un médecin qui dirait qu'il ne veut examiner que des femmes et vice versa, ce n'est pas du fantasme. Je l'ai vécu en tant que président du conseil de surveillance de l'hôpital. Il y a un facteur culturel qu'il ne faut pas sous-estimer. 

Il ne faut pas appeler discrimination ce qui est de la part de certaines personnes une différenciation exacerbée par rapport à des convictions et qui n'est pas dans les us et coutumes du pays d'accueil. Prendre le problème des banlieues par le filtre de la discrimination ne me semble pas approprié. De surcroît, il n'y a pas besoin de culapabiliser la société française. Il y a des efforts à faire de tous les côtés.

Guylain Chevrier : Il faut effectivement regarder si certains freins ne viennent pas des individus eux-mêmes, lorsqu’ils rejettent au nom du fantasme d’une ségrégation généralisée intentionnelle de la France envers eux, pour des raisons de couleur, d’origine ou de religion, leur intégration sociale à travers le rejet des valeurs communes et des codes communs. Pour une part, l’irrespect qui est devenue une sorte de prêt à porter de l’exclusion chez trop de jeunes de nos banlieues, est revendiquée comme légitime face à une société française jugée à tort raciste, qui entend faire partager des conduites, des mode de vie et des buts communs. Le rap à travers ses textes en est le reflet sans ambiguïté, dévoilant combien on fait là se tromper de colère à front renversé. Une attitude qui se retourne contre les jeunes eux-mêmes en les menant par la voie d’une victimisation outrancière parfois encouragée par certaines organisations ou fractions politiques, consommation du cannabis à l’appui, à s’auto-exclure au lieu de mettre tous les arguments de leur côté pour réclamer leur « place au soleil »… Parfois, certains détails comportementaux, comme le port de la casquette lors d’un entretien d’embauche, peuvent être rédhibitoire pour obtenir un emploi. On n’apprend plus assez ce que l’on met en commun pour se reconnaitre et faire société, avec un Etat qui a perdu de son autorité par de nombreuses confusions, alimentant cette situation.

A partir du moment où on voit la complexité des racines de ces discriminations, en quoi la réponse à y apporter en est changée ?

Zohra Bitan : Les politiques publiques excluent à défaut d’intégrer et quand les gens partent pour s’intégrer, avec la meilleure volonté, c’est la société qui les exclut à son tour. Donc la première chose à faire et d’urgence c’est de sortir de cette spirale de « sujet » d’une politique qui met sous tutelle psychologique afin que les gens réalisent et apprennent à scier les barreaux de leur tête et se libèrent de cette assignation mentale.

Il faut donc restaurer la dignité humaine et que chaque acte d’intervention publique vise à apprendre à chacun à faire par lui même la part de chemin qui lui incombe. La discrimination à l’embauche ne va pas disparaître demain, mais nous devons travailler pour que la confiance règne entre chaque Français, quel que soit son milieu, son origine sociale. Et notre pays doit compter avec tous ceux qui veulent en faire partie, fusse-t-il riche ou pauvre.

C’est triste et à la fois dur de dire que les habitants des cités doivent être à présent maitres et artisans de leur avenir. De l’autre côté, les Français doivent faire tout l’espace nécessaire pour les y aider et ainsi  prendre part à la communauté nationale.

Guylain Chevrier : L’ensemble des politiques publiques à caractère social ou de lutte contre les inégalités, ne suffit plus depuis longtemps, particulièrement depuis 1984 où on considère qu’elles se sont recreusées à nouveau, pour résoudre des enjeux de cohésion sociale qui reposent sur les conditions de l’intégration sociale et professionnelle de millions d’individus. La responsabilité de l’Etat, si elle est dans l’intervention sociale, doit être, peut-être avant tout, dans l’intervention économique, car c’est le levier le plus fort comme cause et comme solution, au problème des discriminations. Les choix politiques qui influent sur l’état des inégalités ont leur responsabilité ici, car nous sommes encore dans une société riche au regard de laquelle toutes les ressources du changement sont loin d’être mobilisées. Autre chose est encore d’opposer dans ces choix les Français du cru, essentiellement désignés de façon fallacieuse comme réussissant mieux et faisant partie des classes moyennes, aux  immigrés moins chanceux, en rabattant sur la question des discriminations des questions sociales qui doivent être résolues tout autrement. Il faudra sans doute sortir d’un débat politique vampirisé par la question ethnique et culturelle qui brouille l’analyse pour répondre efficacement aux défis qui se profilent. Il en va de lever des antagonismes qui minent notre société et sa cohésion nationale et d’un retour à des exigences d’intégration sociale qui constituent le bien de tous.

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