Théorème de la dinde : à quel point votons-nous comme (ou contre…) notre famille ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un homme regarde une allocution d'Emmanuel Macron à la télévision, lors des fêtes de fin d'année, dans le Nord de la France.
Un homme regarde une allocution d'Emmanuel Macron à la télévision, lors des fêtes de fin d'année, dans le Nord de la France.
©CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Conversations de Noël

C’est devenu la nouvelle stratégie de campagne à la mode : essayer de dominer les conversations autour des repas de Noël en famille. Mais l’adresse du réveillon, le menu ou la messe de minuit ne comptent-ils pas autant que ce qui s’y dit ?

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Atlantico : Noël approche et les réunions de famille également. Il n'est pas rare que la discussion aborde le sujet de la politique, suscitant parfois des débats enflammés. A l'approche des élections, certains se veulent même prosélytes. Le moment de Noël est-il propice pour réussir à rallier les membres de sa famille à son choix politique?  Que sait-on de la capacité de conviction politique, notamment dans les cercles proches ? 

Bruno Cautrès : Les spécialistes d’analyse politique, notamment dans le domaine du vote, ont montré de longue date que l’électeur est influencé et tente lui-même d’influencer les membres de son proche entourage, famille et amis. SI l’on vote seul dans l’isoloir, l’environnement familial et les liens de l’électeur avant son entourage proche ne sont jamais loin dans le secret de l’isoloir néanmoins. Bien entendu la relation entre les choix politiques, les convictions politiques, de ses proches et de soi-même n’est pas dans un seul sens : ce n’est pas seulement que l’on influence les autres ou que les autres nous influencent ; c’est aussi que nous faisons un tri sélectif dans les personnes qui nous sont proches. Autrement dit, on choisit ses proches aussi selon les affinités et les sensibilités politiques. Cela ne veut pas dire que la politique fait obstacle à l’amitié ou à l’affection, on peut très bien parler politique avec des membres de sa famille ou avec des amis qui ne partagent pas vos convictions. Mais cela rendra la discussion plus potentiellement « explosive »…. Ma collègue du CEVIPOF Anne Muxel analyse ces phénomènes : comment la politique vient se glisser dans l’intime et dans la famille. Elle montre que les affinités politiques comptent dans le couple, par exemple. Des ruptures peuvent avoir une dimension politique.... ! En période électorale, les candidats et les partis politiques mobilisent souvent leurs supporters pour que ceux-ci convainquent leurs proches de voter pour eux. Ils savent que ce travail de fourmi, autour du repas de Noël par exemple, peut produire des effets microscopiques au niveau de chaque militant mais aux effets intéressants au plan macroscopique.

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Dans certaines familles on semble voter de manière plutôt uniforme, dans d'autres diamétralement opposées à quel point votons-nous comme (ou contre…) notre famille ? 

Voici un sujet étudié de longue date par la sociologie électorale. Très vite, on s'est intéressé aux phénomènes « d’hérédité politique ». La matrice fondamentale de notre rapport à la politique c'est les valeurs familiales. Les parents n’ont presque pas besoin de parler politique en famille ou à table pour transmettre beaucoup de valeurs politiques. Les sujets dont on parle en famille, le vocabulaire employé, les manières d’être et de se comporter, l’apprentissage dans la famille de « ce qui se fait » et « ce qui ne se fait pas », la réalité des fins de mois plus ou moins difficiles, les sujets qui mettent en colère ou qui enthousiasment, l’exemple donné par les parents et la famille sont autant de marqueurs profonds de notre rapport à la politique. La famille transmet en particulier une vision de la vie : positive et allant de l’avant, pessimiste ou craintive. L’aversion aux prises de risques est une dimension dont les effets politiques sont considérables. La transmission de la mémoire politique familiale est également très importante : des phrases comme « nous on est une famille de gauche », « dans la famille on a toujours voté à droite » sont des phrases que l’on entend dans beaucoup de familles et qui jouent un rôle de balisage et de repérage des orientations politiques pour un jeune par exemple.

Cela ne veut pas dire que l’on est « prisonnier » des valeurs politiques de sa famille : d’importants effets de génération existent en matière politique. Tout un ensemble de facteurs peuvent venir contrecarrer les tendances à « voter comme ses parents » et l’on peut même être « en rupture idéologique » avec les choix politiques de sa famille. Néanmoins, ceux-ci ne s’évaporent jamais totalement, c’est un marquage presque anthropologique que presque rien ne peut effacer totalement. 

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De nombreuses variables lourdes semblent entrer en jeu, déterminants géographiques (régions d’habitats groupés ou dispersés par ex), culturels, religieux, socio-économiques, etc. Quelles sont les déterminants les plus forts du vote ? Comment expliquent-ils les divergences ou les ressemblances ? 

C’est une question qui mériterait une thèse de doctorat pour répondre tellement d’éléments rentrent en compte ! Globalement on peut dire que les plus fortes influences qui pèsent sur le vote sont de deux ordres : les grandes orientations idéologiques qui se stabilisent assez tôt dans la vie (croire dans la justice sociale, penser que c’est à chacun de prouver ce dont il ou elle est capable, croire en une religion, etc..) et les conditions socio-économiques (le statut social, la classe sociale ou l’état de l’économie). Les relations qui unissent ces grandes déterminations aux choix de vote sont des relations « probabilistes » et non « déterministes » et ces relations se complètent ou se nuancent entre elles : ainsi, un ouvrier ne vote pas forcément à gauche (loin de là même aujourd’hui !) et un chef d’entreprise ne vote pas forcément à droite. Il faut aussi tenir compte des facteurs proprement politiques et de plus court terme : l’électeur est également sensible aux enjeux particuliers d’une élection (par exemple lors des élections municipales on peut voter pour un maire qui ne représente pas le courant politique dans lequel on se reconnaît, simplement parce que l’on considère qu’il fait bien son travail de maire), aux thèmes d’une campagne électorale, à la personnalité des candidats. 

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