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Ces terroristes arrivés en France via le flux des migrants syriens ou comment les attentats de Paris sont venus renforcer le "syndrome du cheval de Troie"
©Reuters

Bonnes feuilles

Jérôme Fourquet analyse comment les opinions publiques européennes réagissent à l’arrivée de migrants sur les côtes méditerranéennes. Comment comprendre les différences d’attitudes concernant l’accueil des migrants et le fait que certains pays, dont la France, se montrent particulièrement réticents alors même que le nombre des migrants arrivant sur son territoire est faible ? Quelles ont été les conséquences électorales ? Comment cette problématique s’imbrique-t-elle avec celle de la menace terroriste et du rapport à l’islam ? Extrait de "Accueil ou submersion", de Jérôme Fourquet, aux éditions de l'Aube 2/2

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Déjà en septembre 2015, l’ampleur des mouvements de population à l’œuvre et le fait que bon nombre de migrants soient originaires de zones où est implanté Daech ren daient plausible l’hypothèse selon laquelle des terroristes potentiels gagneraient l’Europe en se mêlant aux migrants. 64 % des Allemands, 69 % des Français et une proportion encore plus importante d’Italiens (79 %) approuvaient cette hypothèse. Le fait que l’Italie ait été exposée précocement à l’arrivée de très nombreux migrants ayant transité par une Libye, à la fois proche mais aussi foyer djihadiste, a sans doute renforcé cette appréhension. Comme le montre le graphique suivant, en France et en Allemagne, ce sont les attentats de Paris qui ont crédibilisé cette hypothèse.

La découverte de passeports syriens sur deux kamikazes du stade de France en a constitué la preuve matérielle, tout comme ensuite l’identification et l’arrestation dans différents pays européens (France, Belgique, Allemagne, Espagne et Autriche) de membres de filières djihadistes s’étant introduits en Europe à l’occasion de la crise des migrants. L’adhésion à l’idée d’une telle infiltration grimpera subitement à 83 % en France au lendemain des attentats (dans un sondage réalisé le 16 novembre) et se stabilisera ensuite à 80 % dans cette enquête. Un mouvement similaire a sans doute eu lieu outre-Rhin, dans la mesure où l’essentiel de la hausse a été enregistré entre octobre (68 %) et mars (79 %), et non pas entre septembre et octobre. En Italie, l’impact a été moindre (de 79 % à 84 %) mais, comme on l’a vu, la crainte de ce scénario était déjà très présente dans la péninsule dès septembre 2015.

L’implication dans les attentats de Paris et de Bruxelles de plusieurs terroristes (européens, syriens ou irakiens) ayant gagné l’Europe depuis la Syrie en se mêlant aux flux de réfugiés viendra objectiver et donc valider une crainte qui était déjà très répandue. Les grilles de lecture les plus noires seront ainsi confortées, alimentant une vision pessimiste et tragique de l’histoire. Les tenants de cette vision du monde apparaîtront alors comme ayant été particulièrement lucides, quand d’autres, par aveuglement ou par naïveté, n’auront pas voulu regarder la vérité en face, voire l’auraient masquée. Ainsi, en septembre 2015, quand Christian Estrosi ou Marine Le Pen insistaient régulièrement sur le risque d’infiltration terroriste parmi les migrants, la plupart des responsables politiques, mais aussi le ministère de l’Intérieur et de nombreux journalistes dénonçaient « le fantasme de l’infiltration terroriste », pour reprendre le titre d’un article publié sur le site de France Inter le 14 septembre 2015. L’implication de terroristes ayant emprunté la route des Balkans viendra prendre totalement à contre-pied les tenants de cette ligne, à tel point, par exemple, que le 15 novembre 2015, le titre de l’article précédemment cité sera discrètement changé en "Des terroristes parmi les migrants" ? . L’analyse frontiste s’en trouvera à l’inverse validée par les faits et cela lui conférera, aux yeux d’une part importante de la population, la capacité de saisir le sens de l’histoire en marche, avantage particulièrement recherché dans une période aussi troublée.

Devant ses électeurs et sympathisants, le FN peut également revendiquer la justesse de son diagnostic dès le début des Printemps arabes, qui ont permis et provoqué le développement de la crise migratoire. Au printemps 2011, les principaux dirigeants politiques français se sont félicités des révolutions arabes, ont affiché un vrai optimisme sur l’issue de ces mouvements, et Nicolas Sarkozy est même allé beaucoup plus loin en lançant une opération militaire en Libye pour soutenir les forces rebelles et aider à la chute de Kadhafi. Dans ce climat très bienveillant, Marine Le Pen s’est distinguée très tôt en adoptant, comme à propos des risques d’infiltration de terroristes, une posture très Realpolitik, en soulignant les graves menaces que pourraient potentiellement receler ces révolutions, tant en matière de prise de pouvoir par les islamistes que d’explosion des flux migratoires. Jouant sur une symbolique très forte, elle se rendit ainsi en mars 2011 sur l’île de Lampedusa.

Non seulement Marine Le Pen a pu passer pour une lanceuse d’alerte, dont la lucidité serait reconnue rétrospectivement au gré de la montée en puissance du djihadisme et de la crise des migrants. Mais elle est également apparue comme étant en phase avec une majorité de la population française qui ne communie plus depuis longtemps avec une vision optimiste de l’histoire et de l’actualité, partagée, jusqu’il y a peu, par la plupart des élites politiques et médiatiques. Ainsi, dès le début des Printemps arabes et avant même que les arrivées de migrants sur les côtes italiennes ne deviennent massives du fait de l’effondrement des régimes tunisien et libyen, nos compatriotes redoutaient déjà cette perspective. Selon un sondage Ifop réalisé pour Dimanche Ouest-France en février 2011 (soit quelques semaines après les premiers troubles), 81 % des Français jugeaient probable l’«  augmentation du nombre d’immigrés originaires de ces pays en direction de l’Europe ». Et, interrogés plus globalement sur leur ressenti à l’égard des révolutions qui se déroulaient sous leurs yeux dans les pays arabes, 49  % déclaraient éprouver «  plutôt de la crainte  » contre 40  % « plutôt de l’espoir » et 11 % « plutôt de l’indifférence ». Marine Le Pen se trouvait donc en phase avec une majorité relative sur ce sujet, tandis que le discours dominant dans le reste de la classe politique et les médias n’était partagé que par une minorité. On retrouvait de surcroît sur cette question un net clivage sociologique, comme le montre le graphique suivant.

L’augmentation exponentielle des flux migratoires en provenance des rives sud de la Méditerranée et la déstabilisation de la Libye, de la Syrie et du Yémen sont venus d’une part corroborer ces craintes initiales existant dans une large partie de la société, et d’autre part valider « historiquement » ou « par les faits » le diagnostic formulé par Marine Le Pen dès le début de ce mouvement. Interrogée par exemple le 8 janvier 2013 sur l’influence grandissante des islamistes dans différents pays arabes, la leader du FN aura alors beau jeu d’enfoncer le clou et de rappeler la justesse de son analyse : « Nous avions prévu que ces révolutions, qui étaient au départ des révolutions sociales, allaient être récupérées par les fondamentalistes islamiques et qu’au printemps arabe succéderait l’hiver islamiste. »

Extrait de Accueil ou submersion, de Jérôme Fourquet, publié aux éditions de l'Aube, octobre 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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