Tensions sur les différents modèles d’intégration européens : le cas néerlandais<!-- --> | Atlantico.fr
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De jeunes immigrés néerlandais tentent d'empêcher une voiture avec fascistes de s'échapper après une manifestation d'extrême droite.
De jeunes immigrés néerlandais tentent d'empêcher une voiture avec fascistes de s'échapper après une manifestation d'extrême droite.
©Reuters

Malaise

Le modèle d'intégration suédois, souvent porté aux nues en France et dans le reste de l'Europe, a montré ses limites. Qu'en est-il de son voisin néerlandais dont la capitale, Amsterdam, est considérée comme la ville la plus cosmopolite d'Europe ?

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico : En Suède, Stockholm et sa banlieue ont connu plusieurs nuits de violences entre mercredi et jeudi. Les incendies de voitures, dégradations et jets de pierre, d'abord confinés à Husby, un des quartiers pauvres de Stockholm, se sont étendus aux autres quartiers défavorisés et abritant la plus forte concentration d'immigrés. La France et l’Angleterre ont également connu des émeutes urbaines. La situation semble plus apaisée aux Pays-Bas. Est-ce vraiment le cas ?

Christophe de Voogd : Il n’y a en effet pas eu d’incidents de cette ampleur et les Néerlandais ne manquent pas de se comparer favorablement à ses voisins en la matière. La commission parlementaire chargée d’établir le bilan de la politique d’intégration en 2004 avait même conclu de façon très positive, jugeant que « l’intégration des allochtones a été partiellement ou totalement réussie et que ceci était une réalisation considérable, aussi bien pour les citoyens immigrés que pour la société d’accueil ». Les raisons en sont multiples : le pays ne connaît pas de véritables banlieues et les minorités sont très présentes au coeur même des grandes villes, à quoi s’ajoute une politique du logement social et une planification urbaine très actives avec une maîtrise publique du foncier et de vastes opérations de réhabilitation. Pour autant le tableau est loin d’être tout rose et les heurts avec la police ne sont pas rares.

Existe-t-il, malgré tout, des tensions liées à l’immigration ? Le pays est-il à l’abri d’émeutes comparables ?

Les problèmes existent bel et bien. A notre différence les statistiques néerlandaises distinguent entre Néerlandais de souche (« autochtones ») et ceux nés d’au moins un parents étranger (« allochtones »).Elles font apparaître un taux de chômage double ou triple de celui des « autochtones » selon les communautés, un niveau de délinquance qui donne aux Pays-Bas le record européen des jeunes détenus issus des minorités et, dans le domaine scolaire, une véritable ségrégation de fait entre « écoles noires » (zwarte scholen) et « écoles blanches » (wittescholen). A Amsterdam la moitié des écoles accueillent un pourcentage supérieur à 80% d’enfants d’immigrés.La masse des enfants de la deuxième génération semble condamnée au cursus pré-professionnel court (VMBO) que suivent 80% d’entre eux, voire à la sortie du système éducatif sans le moindre diplôme. Enfin les mariages mixtes, critère déterminant de l’intégration dans la société d’accueil, demeurent rares, surtout dans les minorités marocaine et turque. Sans doute, en pourcentage de la population totale (3 millions sur 16,5, dont un peu plus de la moitié de « non-occidentaux »), le nombre d’ « allochtones » est-il inférieur à celui d’autres pays (France, Suisse, Belgique) mais, dans un pays exigu, de loin le plus dense d’Europe, le sentiment  que « les Pays-Bas sont pleins » (Pim Fortuyn) est largement répandu et a pu être exploité aisément par la mouvance populiste. Et l’absence de véritable phénomène de banlieue a pour contrepartie la perspective de voir les trois principales du pays devenir majoritairement « allochtones » d’ici à 2020, ce qui n’est pas du goût de tout le monde.

Dans chaque État européen, les nouvelles dispositions législatives oscillent entre multiculturalisme et assimilationnisme. Quelles sont les spécificités du modèle néerlandais ?

Le cas néerlandais est exemplaire d’un changement radical de paradigme en matière d’intégration depuis dix ans: jusqu’à la fin des années 90, l’idée centrale était celle d’une « intégration avec préservation de la culture d’origine ». Cet idéal correspondait profondément à la tradition nationale de « cloisonnement » entre les groupes sociaux –notamment religieux-  libres de s’organiser comme ils l’entendaient. Mais appliqué à une population culturellement très différente et dans un pays qui était jusque là une terre d’émigration, il a abouti à une ghettoïsation de fait et à la menace d’éclatement du corps social. Il a été dénoncé en 2000 par un intellectuel travailliste, Paul Scheffer dans un article retentissant et considéré aujourd’hui comme le début du tournant : « le drame multiculturel ». Scheffer y montrait que contrairement à ses belles intentions, l’idéal multiculturel aboutissait à isoler et à défavoriser les nouveaux venus en les privant des clefs de la société d’accueil. Le mot et la chose ont disparu dans quasiment tous les partis depuis 10 ans et la politique de toutes les coalitions est depuis lors orientée sans ambiguité vers la limitation de l’immigration et l’intégration, notamment par l’apprentissage obligatoire du Néerlandais y compris pour les adultes. Selon le nouvel accord gouvernemental –signé par les travaillistes- la maîtrise de la langue conditionnera même l’octroi des prestations sociales ! La coalition actuelle entre libéraux et travaillistes signale un consensus croissant autour d’une « politique d’immigration restrictive, juste et tournée vers l’intégration ».

Les Pays-Bas se sont longtemps caractérisés par un système social allant plus loin encore que l’Angleterre dans la défense des particularismes culturels. La montée de l’extrême droite et des événements tels que l’assassinat de Theo Van Gogh par un islamiste radical en 2004 à Amsterdam signent-ils l’échec de ce modèle multiculturaliste ? Cette politique a-t-elle fait le jeu des communautarismes et des extrêmes de tous bords ?

C’est la question de l’intégration de l’Islam qui est en effet, ici peut-être plus qu’ailleurs, au coeur du débat public. L’assassinat de Van Gogh y a beaucoup contribué d’autant que la culture politique néerlandaise est très rétive à toute forme de violence ; or l’assassin était né et avait toujours vécu aux Pays-Bas, démontrant que le terrorisme n’était plus seulement un phénomène d’importation. La tension a été régulièrement ravivée par une série d’incidents. Agressions contre des homosexuels à Amsterdam ; menaces de mort sur des personnalités publiques. Le cas le plus spectaculaire a été celui de Ayan Hirsi Ali, originaire de Somalie, députée du parti libéral et grande pourfendeuse de certaines traditions islamiques, notamment à l’égard des femmes, qui a fini par quitter le pays ; Depuis cette affaire, le clivage s’est encore agrandi entre adversaires radicaux de l’Islam, comme le leader populiste Geert Wilders, - auteur comme Van Gogh d’un film anti-islamique virulent (Fitna), et lui aussi sous haute protection policière - les tenants du fondamentalisme, très minoritaires mais actifs, et les partisans d’un « Islam néerlandisé », comme la municipalité de Rotterdam, dirigée par un maire d’origine marocaine, qui a fait appel  à… Tariq Ramadan : choix qui a rapidement buté sur les ambiguïtés bien connues du personnage. A travers chacun de ces événements, le débat tourne autour de la compatibilité de l’Islam avec les principes fondamentaux du vivre-ensemble néerlandais : liberté d’expression, pluralisme religieux, séparation des églises et de l’Etat, égalité des sexes. La perplexité est redoublée par la question de la compatibilité de ces principes avec d’autres, non moins cardinaux, comme la non-discrimination (article premier de la Constitution) : ce conflit des normes a été au coeur du procès intenté à Wilders il y a deux ans qui s’est achevé sur un non-lieu. La toute dernière polémique en date lancée par le même Wilders est la question de l’existence d’un « triangle de la sharia » au cœur même de la Haye… Bref, rien n’est vraiment résolu mais ceci dit, ici comme ailleurs, la tendance est bien à l’intégration croissante de la grande majorité des musulmans : les parcours réussis dans la société néerlandaise de nombreux allochtones ne se comptent plus – et pas seulement dans l’équipe nationale de football !

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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