Syrie : comment Hollande et la France se sont (une nouvelle fois) fait mettre hors jeu par leurs partenaires<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande lors du sommet de l'ONU.
François Hollande lors du sommet de l'ONU.
©Reuters

Inaudible

Ces derniers jours, les positions de nombreux chefs d'Etat, au regard de Bachar el-Assad, ont évolué. Si beaucoup critiquaient jusqu'alors l'alliance entre la Syrie et la Russie, bien des pays semblent à présent changer d'avis au vue de la menace représentée par l'Etat islamique. Le gouvernement Français maintient quant à lui ses positions.

Roland Lombardi

Roland Lombardi

Roland Lombardi est consultant et Directeur général du CEMO – Centre des Études du Moyen-Orient. Docteur en Histoire, géopolitologue, il est spécialiste du Moyen-Orient, des relations internationales et des questions de sécurité et de défense.

Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à la Business School de La Rochelle.

Il est le rédacteur en chef du webmedia Le Dialogue. Il est régulièrement sollicité par les médias du Moyen-Orient. Il est également chroniqueur international pour Al Ain.

Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment :

« Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI - Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l'Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L'Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104.

Il est l'auteur d'Israël au secours de l'Algérie française, l'État hébreu et la guerre d'Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.).

Co-auteur de La guerre d'Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d'Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022.

Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020. 

Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l'influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) - Préface d'Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)

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Atlantico : Vladimir Poutine rencontre Barack Obama lundi 28 septembre pour discuter d'une éventuelle alliance avec Bachar El Assad. Les gouvernements britannique et allemands semblent également avoir évolué sur leurs positions à l'égard de Damas dans l'espoir de contrer la menace que représente Daesh. Où en est le gouvernement français sur ce dossier ? 

Rolland Lombardi :Ce lundi à l’ONU, le président des Etats-Unis, Barack Obama, bien que réservé sur le sort du « tyran » de Damas qui « massacre des enfants innocents », a tout de même déclaré qu’il était prêt, afin de trouver une issue à la guerre en Syrie, à travailler avec la Russie et l’Iran qui sont pourtant les soutiens indéfectibles du régime de Bachar el-Assad.

Ce sursaut de réalisme géopolitique et le scénario qui est en train de se mettre en place, je l’avais parfaitement annoncé en novembre 2014 dans une tribune intitulée : « L’Etat islamique, une chance pour le Moyen-Orient ? ». Dans celle-ci, j’avais notamment écrit que la Russie et l’Iran deviendraient incontournables pour toute solution en Syrie et en Irak. De plus, Vladimir Poutine démontre une nouvelle fois qu’il est le maître du jeu. Depuis près de quatre ans, que cela soit en Crimée, en Ukraine (que la guerre syrienne fait d’ailleurs passer au second plan) ou au Moyen-Orient, le président russe ne s’est jamais trompé et gagne toutes les parties avec quatre ou cinq coups d’avance. Qu’on l’apprécie ou pas, on ne peut qu’assister à sa virtuosité sur l’échiquier international. Mais même s’il est très doué, il s’appuie aussi, depuis des années, sur une politique diplomatique cohérente, claire, réaliste et pragmatique. En Méditerranée et au Moyen-Orient, comme je l’expliquais dans une autre analyse en février 2013, les Russes sont, avec les Israéliens, les meilleurs connaisseurs de l’Islam et des réalités du monde arabe : leurs prévisions sur l’issue des « printemps arabe », pourtant fort critiquées par un Occident naïf, se sont toutefois, avec le recul, avérées des plus exactes.

De fait, la politique russe dans la région est claire : lutte sans merci contre l’islam radicale, protection des chrétiens d’Orient et le commerce ne vient qu’après. Et ça marche ! Ainsi, tout en devenant incontournable dans la région, la Russie parle à tout le monde et fait aussi de très bonnes affaires avec par exemple l’Algérie, l’Egypte, Israël, la Turquie et l’Iran !

Fabrice Balanche : La plupart des gouvernements occidentaux ont évolué sur la question syrienne en raison du risque terroriste et de la crise des refugiés. La priorité est désormais de stabiliser la Syrie et de geler le conflit. Pour cela nous avons besoin de tous les acteurs fréquentables, Bachar el Assad en fait partie. Son armée lutte contre Daesh et Al Qaïda, ses services de renseignements nous sont indispensables pour obtenir des informations sur les ressortissants occidentaux en Syrie et la zone qu’il contrôle abrite 6 à 7 millions de déplacés internes qui sont de très potentiels candidats à l’émigration vers l’Europe si leur sécurité n’était plus assurée dans la zone gouvernementale, sans compter les millions d’autres qui pourraient craindre pour leur vie si les rebelles s’emparaient de Damas par exemple.

Le gouvernement français évolue lentement car il a été tellement loin dans l’anti-Assad qu’il ne peut se dédire complètement aujourd’hui. Pendant un an, il a soutenu que s’il ne frappait pas Daesh en Syrie c’est parce que cela allait renforcer Bachar el Assad, désormais cela ne serait plus le cas ? La France continue à faire de la résistance sur le dossier syrien. Tandis que Barack Obama a la tribune de l’ONU se montrait pragmatique et réaliste, choisissant non entre le « bien » et le « mal » mais entre le préférable et le détestable, François Hollande s’est enfermé dans une posture morale inappropriée face à la situation en Syrie et irresponsable pour un pays membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU.

Ce dimanche 27 septembre a marqué le début des frappes aériennes en Syrie. A ce propos Manuel Valls a déclaré que "Bachar El Assad ne peut être la solution en Syrie". Cependant, la France se retrouvant seule sur ce dossier, sa position est-elle tenable ? N'est-ce pas risquer d'être hors jeux sur la scène internationale ?

Rolland Lombardi : Les dernières frappes aériennes françaises en Syrie, justifiées par le « droit de légitime défense préventif », ont eu lieu juste avant les grands discours des chefs d’Etats aux Nations Unies. Il fallait bien sûr marquer le coup. Très symboliques, espérons cependant qu’elles auront le mérite d’éliminer purement et simplement un certain nombre de djihadistes français qui auraient pu revenir un jour ou l’autre sur le territoire français… Quant à la position surréaliste de la France, elle est le résultat direct de sa diplomatie économique (alignement sur la politique néfaste et désastreuse de ses riches clients du Golfe) et de l’émotionnel (bien qu’à géométrie variable…). Elle est aussi et surtout le fruit d’analyses totalement fausses dès le début de la crise. Christian Chesnot et de Georges Malbrunot évoquent très bien toutes ces graves erreurs dans leur livre, Les Chemins de Damas, paru en 2014. Les dirigeants français sont restés sourds aux avertissements de nos militaires, de nos services de renseignements ou de vrais spécialistes de la Syrie comme l’ancien responsable de la DGSE, Alain Chouet ou le géographe, Fabrice Balanche. J’avais moins même prédit qu’Assad ne tomberait pas aussi facilement que certains l’affirmaient. Même l’ancien ministre des Affaires étrangères et expérimenté Hubert Védrine, qui dénonçait l’Irealpolitik des gouvernements français, ne fut pas entendu. Au lieu de cela, les responsables français ont préféré se fier aux conseils angéliques de deux ou trois politologues et orientalistes, considérés, à tort, comme les plus grands spécialistes du monde arabe. Ceux sont pourtant ces mêmes idéologues qui affirmaient, depuis le début, qu’Assad tomberait en quelques semaines, que les Russes et les Iraniens lâcheraient le régime, et qui soutiennent encore mordicus (frisant le ridicule), qu’une opposition laïque et démocratique existe encore ! Il y a encore quelques jours, « ce petit milieu du Damas-sur-Seine », comme l’appelle Alain Chouet, avait encore le culot de déclarer que « bombarder Daesh n’était pas la solution, qu’il fallait plutôt bombarder Assad » et, comble de l’absurde, « qu’il fallait miser sur les islamistes modérés » ! Le problème pour la sécurité des Français, les intérêts et l’image de la France, c’est que ces doux rêveurs sont toujours là et qu’ils parlent encore aux oreilles de nos ministres et de nos diplomates…

Pour faire changer d’avis le président français et le Premier ministre sur la Syrie, il faudrait peut-être que Bachar el-Assad se décide à acheter une vingtaine de Rafale…qui sait ?

Plus sérieusement, il n’y a jamais eu et il n’y a toujours pas d’alternative sérieuse au président syrien. Que cela nous plaise ou non, il faut compter avec lui. Nos dirigeants ne l’ont toujours pas compris et préfèrent persévérer dans un aveuglement idéologique. Enfin, déclarer que "Bachar El Assad ne peut être la solution en Syrie" est une preuve de plus de la méconnaissance de l’histoire et des réalités de la région. Car après les accords de Taëf d’octobre 1989, ceux qui se sont entretués et massacrés au Liban pendant dix ans, ont finalement réussi à déposer les armes et à se réconcilier…

Fabrice Balanche : La position française est tenable puisque nous ne comptons plus guère dans la région. Ce ne sont pas nos quelques drones et nos missiles lancés en plein désert syrien, pour éviter que cela ne frappe un civil par hasard, qui vont faire la différence sur le terrain militaire. Ce n’est pas notre rôle actif au sein des « Amis de la Syrie », association qui ne se réunit plus guère, qui va nous donner une place de premier rang à la table des futures négociations. François Hollande peut donc continuer à faire du droit de l’hommisme en toute quiétude.

Ce dimanche 27 septembre a marqué le début des frappes aériennes en Syrie. A ce propos Manuel Valls a déclaré que "Bachar El Assad ne peut être la solution en Syrie". Cependant, la France se retrouvant seule sur ce dossier, sa position est-elle tenable ? N'est-ce pas risquer d'être hors jeux sur la scène internationale ? 

Qui est la solution en Syrie ? Quelle est la solution en Syrie ? Une transition politique qui verra ce pays déboucher sur la démocratie et la laïcité ? Nous en rêvons tous bien sûr. Mais il ne faut pas prendre ses rêves pour la réalité, nous sommes loin en Syrie d’une évolution simplement à la Tunisienne, du fait de la sociologie de la population et de l’environnement géopolitique conflictuel qui entoure ce pays.

Nous ne risquons pas le hors-jeu, nous le sommes déjà depuis septembre 2013. Lorsque les Américains ont négocié avec les Russes le désarmement chimique de la Syrie, nous n’étions pas conviés. Le « plus vieil allié des Etats Unis » (La France), selon l’expression de John Kerry, était utile pour frapper Damas, mais lorsqu’il s’agissait de choses sérieuses, il était préférable de l’écarter. Laurent Fabius était tellement vexé, qu’il a préféré partir en voyage officiel en Chine.

Plus généralement, la position des Etats-Unis à l'égard de l'Iran ou la place tenue par l'Arabie saoudite dans la région ont évolué ces derniers mois. Quid de la position française quant à ces pays ? Le gouvernement français devra-t-il également nuancer ses positions au risque de les rendre moins lisibles (pour sa population) ? 

Rolland Lombardi : Même l’ « allié » saoudien de la France a évolué sur la question… Paris se retrouve donc comme le dindon de la farce puisque sa position en Syrie, on l’a vu, avait en partie pour but de faire plaisir aux pétromonarchies du Golfe… 

Il ne faut pas se leurrer. Le président français fera finalement ce que lui dit de faire Obama. Les Américains, même passifs, timorés et en période pré électorale, ont toutefois pris conscience que les solutions viendront des pays les plus déterminés comme la Russie et l’Iran. Pour la France, ce sera un fiasco ridicule de plus pour sa diplomatie… comme en août 2013 ! 

Fabrice Balanche : Là encore Laurent Fabius s’est montré tellement jusqu’au boutiste dans les négociations sur le nucléaire iranien, que nous avons beaucoup de mal à nous réconcilier avec Téhéran. Nous restons dans le camp des monarchies sunnites du Golfe, espérant profiter de leurs dissensions avec les Etats-Unis sur la levée des sanctions contre l’Iran. François Hollande était l’invité d’honneur du dernier sommet du Conseil de Coopération du Golfe, en raison de la « fermeté de la France » à l’égard de l’Iran. Cela nous a permis de vendre les Mistrals à l’Egypte, sous perfusion de l’Arabie Saoudite, et d’engranger quelques contrats comme le métro de Ryad pour Alsthom. Les Saoudiens font part de leur intérêt pour l’EPR également, ce qui pourrait aider François Hollande à renflouer AREVA. Cependant je ne suis pas sûr, vu la faiblesse des prix du baril de pétrole, que les Saoudiens honorent leurs promesses de contrats avec la France. C’est sans doute plus les mesures d’économie en Arabie Saoudite qui pousseront le gouvernement française à nuancer ses positions à l’égard de l’Iran, dont le potentiel financier va rapidement s’accroitre avec la levée des sanctions et le dégel des ses avoirs à l’étranger. Il sera toujours temps d’expliquer à la population française que l’Iran exécute moins par tête d’habitant que l’Arabie Saoudite, que les femmes peuvent conduire en Iran, etc.

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