Supprimer des fonctionnaires, de la sauvagerie libérale ? Petits rappels factuels aux macronistes en guerre contre Valérie Pécresse<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et Valérie Pécresse lors d'une visite aux Mureaux en février 2018.
Emmanuel Macron et Valérie Pécresse lors d'une visite aux Mureaux en février 2018.
©LUDOVIC MARIN / POOL / AFP

Réformes

Les stratèges de la campagne macronienne semblent vouloir faire de la suppression des fonctionnaires le boulet de Valérie Pécresse et la plomber comme François Fillon l’avait été avec la polémique sur les petits et gros risques en matière de santé.

Jean-Philippe Feldman

Jean-Philippe Feldman

Jean-Philippe Feldman est agrégé des facultés de droit, ancien Professeur des Universités et maître de conférences à SciencesPo, et avocat à la Cour de Paris. Il est vice-président de l’Association pour la liberté économique et le progrès social (A.L.E.P.S.).

Dernier ouvrage publié : Exception française. Histoire d’une société bloquée de l’Ancien Régime à Emmanuel Macron (Odile Jacob, 2020).

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Atlantico : Quelle est la réalité du nombre de fonctionnaires dans notre pays ? Comment se répartissent-ils selon les secteurs ? Quelle part d’entre eux est plus « administrante » qu’autre chose ?  Comment se situe la France par rapport à d’autres pays européens sur le sujet ?

Jean-Philippe Feldman : A vrai dire, L’État n’a jamais su dans son histoire, même avec les progrès de la statistique et de l’informatique, livrer le nombre exact de ses fonctionnaires. Cela dit, les chiffres officiels donnent 5,7 millions de fonctionnaires partagés entre les trois fonctions publiques : presque la moitié pour la fonction publique d’État, environ 2,5 millions ; un tiers pour la fonction publique territoriale, presque 2 millions ; et 20 pour cent pour la fonction publique hospitalière, plus d’un million.

Il est difficile de donner des chiffres précis pour ce qui a trait à la répartition des postes, mais l’on sait qu’environ un tiers des postes dans nos hôpitaux publics sont occupés par du personnel qui ne soigne pas, tandis qu’en Allemagne le taux est inférieur de dix points.

Selon le Rapport annuel sur l’état de la fonction publique de 2020, le nombre d’agents civils de la fonction publique varie énormément suivant les départements, d’un facteur 1 à 10. La catégorie hiérarchique des fonctionnaires varie également considérablement suivant les fonctions publiques avec beaucoup de postes de catégorie A dans la fonction publique d’État, beaucoup de postes inférieurs dans les collectivités locales et des profils bigarrés dans les hôpitaux.

Nos fonctionnaires représentent plus de 20 pour cent de la population active. Nous ne sommes pas le pays le plus fonctionnarisé d’Europe, car certains pays du nord approchent ou dépassent les 30 pour cent. Mais notre niveau est élevé ou très élevé par comparaison avec nos principaux concurrents : 18 pour cent environ en Angleterre, 16 aux Etats-Unis, 15 en moyenne O.C.D.E. et même 10 en Allemagne. Les comparaisons sont toujours délicates parce que les chiffres ne recouvrent pas toujours des concepts identiques, mais nous pouvons en conclure que le fonctionnarisme en France règne. Il s’agit d’ailleurs d’une constante dans l’histoire de notre pays. Je me permets de renvoyer à cet égard à mon dernier ouvrage Exception française. Histoire d’une société bloquée de l’Ancien Régime à Emmanuel Macron (Odile Jacob, 2020) et particulièrement à son chapitre 10 intitulé « Un peuple de fonctionnaires ».

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Ajoutons qu’au sens large, il existe environ 7 millions de fonctionnaires en France en comptant notamment les salariés des entreprises publiques, près d’un million, et les auxiliaires de l’administration. Le total apparaît énorme.

Quelles sont les leçons de la sociologie sur la fonction publique, lorsque celle-ci devient trop lourde ? A quel point cela peut-il être nocif ? Les thèses de Michel Crozier sur la fonction publique qui tourne trop sur elle-même sont-elles toujours d’actualité ?

C’est vers 1780 que le terme de « bureaucratie » fait son apparition dans notre langue avant que la période révolutionnaire, puis surtout le Premier Empire, puis plus encore le Second Empire soient successivement nommés l’ « âge d’or » de la fonction publique. Bureaucratie, système tentaculaire, gabegie, inefficacité, lourdeur, tous ces mots ont pu décrire notre fonction publique.

Stanley Hoffmann et, dans un sens assez différent, Michel Crozier ont parlé de « société bloquée » pour décrire notre pays. Crozier décrivait en 1970 un système bureaucratique qui ne fonctionnait que grâce à un mécanisme de changement par crise. Le contexte était évidemment celui de l’après 1968. En réalité, il semble que ce système bureaucratique nécrosé ne se réforme même plus par le truchement de crises, comme cela avait eu lieu en 1958. En effet, l’existence d’une crise économique, sociale et/ou sanitaire provoque un interventionnisme accru, ainsi que l’ont montré les présidences de Valéry Giscard d’Estaing, de Nicolas Sarkozy ou encore d’Emmanuel Macron.

 Pour ne donner qu’un chiffre, le poids de la rémunération des agents publics dans le produit intérieur brut s’élève à environ 7 pour cent en Allemagne, moins de 10 en Angleterre et presque 13 en France. On comprend immédiatement la difficulté pour un gouvernement de faire bouger le « Mammouth »…

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Comment aider la fonction publique française à sortir de sa logique comptable, et notamment l’administration de la santé depuis les ordonnances Juppé ?

Comme toujours, nos gouvernants agissent sur les conséquences et non pas sur les causes. On n’a pas voulu dire que nos hôpitaux dépensaient trop car ils étaient mal gérés, alors on a tenté de fermer les vannes. Un système kafkaïen était chargé de réformer par le biais notamment de la tarification à l’acte. Les comparaisons avec le secteur privé étaient au demeurant peu reluisantes.

Cela dit, il est normal que le coût d’un service public se fasse au plus juste parce c’est toujours de l’argent des contribuables qu’il s’agit. Et ici pour une fois, les comparaisons peuvent clairement être opérées avec le secteur privé. Étrange tout de même qu’il y ait beaucoup  moins de non-soignants dans le secteur privé que dans le secteur public…

Mais surtout, il faut prendre la mal à la racine. Appartient-il à l’État d’administrer la santé ? La situation déplorable de nos hôpitaux publics à l’orée de la pandémie n’augurait rien de bon et tout le monde s’accorde à dire que la situation s’est aggravée depuis lors.

On ne réforme pas le socialisme, on le supprime.

Notre fonction publique a-t-elle tendance à trop chercher à se couvrir contre les risques et à produire de nouvelles normes de contrôle pour pouvoir véritablement aboutir à une possibilité de réforme ?

La pratique du « parapluie » est un grand classique dans l’administration et l’épidémie « précautionniste » n’a pas arrangé les choses… En fait, le problème n’est pas propre à l’administration, il faut le relever, il concerne tous les gros organismes. Mais le secteur privé, lui, peut à un certain moment réparer ses erreurs et il se trouve d’autant plus obligé de le faire que la concurrence est un aiguillon pour la réforme. En l’absence de concurrence, on sombre dans l’indolence et la facilité.

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Réformer et/ou dégraisser notre fonction publique comme le prévoit Valérie Pécresse est-il impératif pour pouvoir réformer véritablement le pays ? Comment agir ? 

Valérie Pécresse est tombée dans l’erreur commise par Nicolas Sarkozy et plus généralement par la droite. C’est à qui voulait supprimer le plus de postes de fonctionnaires. Cette stratégie est non seulement vouée à l’échec, elle n’a aucun sens, comme le prouve d’ailleurs la promesse de 2017 non tenue du Président de la République de supprimer 120.000 malheureux postes de fonctionnaires...

Ce qui importe, c’est de limiter préalablement les fonctions de l’État. Celui-ci doit-il être chargé d’une fonction ? Alors, il n’est jamais assez fort, pour paraphraser Benjamin Constant. Il doit assurer la protection des citoyens et des individus qui vivent sur notre territoire. Il doit donc disposer de forces de police, de gendarmerie et d’armée substantielles et efficaces, ce qui n’est pas le cas. Au contraire, l’État ne doit pas être chargé d’une fonction ? Alors, il n’est jamais trop faible, il doit se désengager et les services doivent être rendus au secteur privé. Tiens : les privatisations, on en parle peu dans la présente campagne électorale ! Or, notre État intervient tous azimuts et il devrait faire l’objet d’une sérieuse cure d’amaigrissement avec le respect strict du principe de subsidiarité. En prenant le nombre de fonctionnaires au sens large, on se souviendra qu’il existe environ 1.500 entreprises publiques en France. Qui y fait référence ?

Pour réformer notre pays, ce qui est urgent, il convient d’avoir un projet de réforme global car tout se tient. La baisse du nombre des fonctionnaires n’est qu’un élément du puzzle. Mais pour cela, il faut avoir des principes alors que la plupart de nos hommes politiques se revendiquent d’un pragmatisme mal entendu. De là, notre société bloquée.

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