Super-Mario Draghi appelé au chevet de l’Italie : mais au fait, quel risque politique représentent pour l’UE les pays qui n’ont plus les moyens de lutter contre la pandémie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Mario Draghi Italie pays en difficulté face à la crise du Covid-19
Mario Draghi Italie pays en difficulté face à la crise du Covid-19
©Alessandra TARANTINO / POOL / AFP

Sauveur ?

Le président italien Sergio Mattarella s'est tourné vers l’ancien dirigeant de la BCE, Mario Draghi, pour former un nouveau gouvernement afin d'extirper le pays de la crise politique. Plusieurs pays comme l’Espagne, l’Italie ou la Grèce risquent de ne plus être en mesure de soutenir les efforts face à la pandémie. Cela fait-il courir un risque d'instabilité dans certains pays de l’Union européenne ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico.fr : Pour résoudre la crise politique qui s’annonce en Italie après la démission de Giuseppe Conte, le président a fait appel à Mario Draghi. Aux Pays-Bas des émeutes ont eu lieu. L’appel à Mario Draghi est-il une solution de dernier ressort, marqueur d’une crise profonde ? Sous-estime-t-on trop les conséquences et le coût politique des mesures de lutte contre le Covid-19 ?

Christophe Bouillaud : Pour ce qui est de la crise politique en cours en Italie, il faut bien noter que celle-ci est entièrement due à une dynamique interne à la coalition au pouvoir jusqu’ici. Matteo Renzi, à la tête de son petit parti  tout personnel, Italie Vive (IV), issu d’une scission du Parti démocrate (PD), a décidé de faire tomber le chef du gouvernement, Giuseppe Conte, pour des raisons largement dues à ses ambitions frustrées depuis sa défaite au référendum constitutionnel de 2016 et à sa volonté de ne pas laisser son ancien parti, le PD, se rapprocher trop de l’autre allié, le Mouvement Cinq Etoiles (M5S), son tombeur de 2016. Du coup, l’appel à Mario Draghi, dont je ne suis pas sûr qu’il puisse déboucher en réalité sur un autre gouvernement vu l’état des rapports de force parlemenetaires, tient simplement au fait que Matteo Renzi et les siens, le PD et le M5S ne peuvent plus cohabiter dans un gouvernement et que le PD et le M5S n’ont pas assez de sénateurs à eux deux pour gouverner sans le très incommode troisième larron. Cela se serait passé même sans le Covid-19. Au contraire, c’est l’existence de cette pandémie qui a obligé Matteo Renzi à continuer de participer à cette alliance, qu’il avait acceptée à contrecœur à l’automne 2019.  Il rompt maintenant, parce qu’il pense que, vu le retour à une vie sociale presque normale en Italie où l’on rouvre les commerces et restaurants ces jours-ci, on peut revenir aux jeux politiciens ordinaires et que l’opinion publique italienne ne lui en voudra pas trop. Son parti, IV, fait 3% dans les sondages, donc mettre le désordre dans la politique italienne en espérant qu’il sorte quelque chose de bon pour lui et les siens de ce chaos est déjà une grande satisfaction pour lui.

Sur un plan plus général, à l’échelle européenne, la pandémie a surtout provoqué une glaciation des jeux politiques. Les rapports de force restent plutôt stables. Il y a certes des oppositions qui progressent, comme l’extrême-droite au Portugal, mais il y a aussi des oppositions qui déclinent, comme l’extrême-droite en Allemagne. Il y a des manifestations contre les mesures prises par les gouvernements pour lutter contre la pandémie, mais elles restent sporadiques et sans lendemain. De simples coups de gueule, et non pas des montées en puissance vers des insurrections populaires « à la Maïdan ». En fait, dans aucun pays, pour l’instant, la pandémie n’a vraiment changé profondément les rapports de force politiques, et surtout les rapports de force électoraux. Boris Johnson, malgré toutes ses erreurs, reste à la tête du premier parti en intentions de vote du Royaume-Uni, tout comme Emmanuel Macron reste dans les sondages l’un des deux finalistes inévitable de l’élection présidentielle de 2022.

A mon sens, les opinions publiques n’ont pas encore rendu leur jugement sur l’action de leurs gouvernants pendant la présente crise. Ce n’est que dans quelques mois que les choses se décanteront, et que l’on saura qui aura perdu ou gagné des soutiens au cours de cette crise. Cela résultera sans doute d’une comparaison par les citoyens de chaque pays de leur sort respectif pendant la pandémie. Si un ou des Etats donnent l’impression de s’en sortir vraiment mieux, et si la comparaison fait sens (France/ Allemagne par exemple), alors les gouvernants en place des pays qui s’en sortent mal, seront fortement impactés.  A ceci s’ajoutent bien sûr les aspects économiques : plus un pays dépend du tourisme de visiteurs étrangers, plus il va souffrir s’il ne prend pas le taureau par les cornes pour garantir un séjour « COVID-free » à ses visiteurs. 

Plusieurs pays comme l’Espagne, l’Italie ou la Grèce ne vont plus véritablement avoir les moyens de soutenir l’effort face à la pandémie. Cela fait-il courir un risque d'instabilité dans certains pays de l’Union européenne ?

Pour l’instant, les dirigeants européens ont mis en place un « Recovery Fund » et la Banque centrale européenne s’affirme prête à continuer à soutenir les économies européennes par des taux d’intérêts bas et des flux de liquidité tant que cela sera nécessaire. Du coup, il me semble que nous sommes dans une situation très différente de la crise de la zone Euro en 2008-2012. A l’époque, une fois le plus dur de la crise passée, l’automne 2008 et le printemps 2009, les partisans de l’austérité ont repris le dessus, avec les conséquences qui s’en suivirent d’une seconde récession. Aujourd’hui, la crise est trop profonde, trop générale, trop pleine de multiples inconnues, pour qu’on se lance tout de suite dans ce genre d’exercice d’austérité. Et surtout, en dehors de quelques fanatiques de l’agitation autour des dettes publiques et des dépenses publiques qui ne serviraient jamais à rien, plus personne ne prend au sérieux le risque inflationniste. Dans le fond, tous les Etats de la zone Euro en sont arrivés à ce que la Banque centrale européenne les protège d’un défaut souverain ou d’un problème de financement comme si c’était leur propre banque centrale nationale. Le Royaume-Uni peut s’endetter et couvrir ses fins de mois grâce à la Banque d’Angleterre, et, bien finalement, même si ce n’est pas dans les traités européens, la France, l’Italie, et même la Grèce, aussi. Il ne vous a pas échappé peut-être que la Grèce est en train d’augmenter fortement son budget de la défense, et que l’industrie française de l’armement fait là de très bonnes affaires. Imagine-t-on que les autorités françaises s’amuseraient à pousser à de telles exportations si elles n’avaient pas la conviction que dans le fond la Grèce sera désormais toujours solvable ? Tout au moins autant que la France elle-même l’est grâce à ce mécanisme.  

Certes, la doctrine de la Banque centrale européenne pourrait changer de nouveau, en revenant sur ce qui ressemble fort à un financement purement monétaire des Etats de la zone Euro, mais il faudrait déjà qu’un risque d’inflation apparaisse de nouveau à l’horizon. C’est bien plutôt le contraire qui menace, une « japonisation » de toute l’économie européenne.

A l’heure actuelle, tant que la pandémie n’est pas maitrisée sur le continent européen, je vois mal en tout cas comment la BCE pourrait revenir sur cette doctrine. On remarquera d’ailleurs que, lorsque Christine Lagarde a semblé hésiter à maintenir ce cap, l’affolement sur les marchés financiers a été immédiat. Elle n’a plus jamais refait cette erreur.

Ces crises politiques localisées pourraient-elle avoir des conséquences plus graves sur l’Union européenne dans son ensemble ?

La difficulté de certains pays de se sortir de la pandémie peut effectivement déboucher sur à la fois des crises internes à certains pays et une crise plus large.

Si l’on admet que la seule façon de se sortir de la pandémie reste, en dépit de la montée en puissance des vaccinations,  la stratégie de la suppression du virus, ce qui est discuté dans les médias allemands sous le nom de « No Covid », il me semble que certains pays vont y arriver plus vite que d’autres. Ces pays, pour préserver leurs gains durement acquis, vont devoir se barricader pour ne pas réimporter des cas de Covid. C’est déjà le cas de la Norvège par exemple, un pays qui a eu très peu de décès jusqu’ici et qui n’entend pas en avoir plus. Avec les variants du virus, et maintenant les variants de variants qui sont découverts, les pays qui auront éradiqué le virus sur leur sol vont devenir d’autant plus stricts sur les entrées sur leur territoire.

Cette situation, où les uns sont déjà hors zone de risque et les autres en plein dedans, va finir par enrayer le bon fonctionnement du marché unique, pour ne pas parler du tourisme.  En tout cas, la contradiction entre la nécessité de distinguer des territoires infectés et des territoires libérés du virus va être très difficile à gérer. Ne serait-ce que parce que certaines régions ne peuvent pas fonctionner sans les flux humains transfrontaliers quotidiens. Le Luxembourg  par exemple serait immédiatement en panne si les travailleurs français ne pouvaient plus venir y travailler. Il va falloir faire preuve d’imagination, en créant peut-être des zones libérées/infectées du virus qui ne correspondent pas aux frontières nationales, mais aux frontière socio-économiques. Et pour le coup, cela serait une chance pour l’Union européenne que cette reconnaissance de cet état de fait.

Surtout, il y aura nécessairement un moment, où un ou plusieurs pays vont vraiment s’en sortir très mal. La France, avec sa politique actuelle de procrastination et de négation jusqu’au-boutiste  du risque de contamination via l’ouverture des écoles, collèges et lycées, me parait un bon candidat. Il peut arriver un moment où les Français seront vraiment très fatigués d’entendre dans les médias que d’autres pays s’en sortent mieux, que ce soit d’ailleurs en termes de lutte contre la pandémie ou de retour à une vie normale.

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