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SNCF : faut-il vraiment envisager la concurrence au niveau du rail ou à celui des transports au sens large ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Viser large

Le gouvernement semble peiner à se décider sur la façon de mener sa réforme du système ferroviaire.

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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Le gouvernement semble peiner à se décider sur la façon de mener sa réforme du système ferroviaire. Se pose la question de l'ouverture de la concurrence. Faut-il vraiment envisager la concurrence au niveau du rail seulement ou à celui des transports au sens large (rail, aérien, route...)  ? 

Erwan Le Noan : L’objectif de la réforme, c’est d’assurer la modernisation de la SNCF pour qu’elle soit prête à se confronter à la concurrence d’autres compagnies de transport ferroviaire. Revoir le statut des cheminots, rationaliser les lignes et les coûts… : toutes ces réformes n’ont de sens que parce qu’elles doivent préparer la SNCF à proposer des offres aussi – voire plus – compétitives que les nouveaux opérateurs qui arriveront bientôt sur le marché. La concurrence immédiate, ce sont donc évidemment d’autres acteurs du transport ferroviaires, français ou étrangers. 

La concurrence peut aussi être envisagée de façon plus large, effectivement, en incluant le transport aérien, les trajets routiers (notamment collaboratifs), etc. Mais plus on élargit le champ des alternatives, plus la SNCF a intérêt à être compétitive en qualité et en prix !

Loïk Le Floch-Prigent : Le train a toujours été en concurrence avec la route et l'air. Et c'est en fait la seule concurrence réelle quand on regarde bien, puisque le rail est un monopole naturel. Et par conséquent il n'y a pas de possibilité technique de réaliser une véritable concurrence à partir d'un monopole naturel, dans la mesure où en plus c'est un monopole naturel subventionné, c'est-à-dire qu'au moins la moitié des dépenses réelles est supportée par le contribuable et non pas par le consommateur. 

Il n'existe pas aujourd'hui de système, dans le monde entier, concurrentiel à l'intérieur d'un monopole naturel.

Faut-il l'envisager dans des cas précis, pour les trains eux-mêmes, pour les réseaux, pour les petites lignes ou n'est-ce possible que si cela se fait de façon générale, systématique ?

Erwan Le Noan : Dans les réseaux de transport, pour schématiser, il y a plusieurs niveaux de mise en concurrence, puisqu’il faut distinguer le réseau (les rails) des services qui l’utilisent (les trains). Contrairement à ce que l’on entend souvent, la concurrence peut s’exercer à tous les niveaux.

Pour le réseau (les rails), on pourrait imaginer le segmenter (par exemple par zone géographique) et lancer des appels d’offres à échéance régulière : l’entreprise proposant la meilleure offre remporterait le monopole temporaire sur une zone ; à l’issue de son contrat elle serait remise en concurrence. L’Etat serait assuré ainsi de payer le meilleur prix pour le meilleur service : dans une zone, le contrat pourrait être attribué à une entreprise publique si elle est la meilleure, dans une autre à une entreprise privée.

Pour le transport (les trains), la mise en concurrence arrive. Demain, sur certaines lignes, le consommateur pourra avoir le choix entre un train SCNF ou le train d’une autre compagnie. Les transports régionaux par exemple sont déjà en concurrence et les régions utilisent la possibilité de choisir un autre opérateur que la SNCF, quand ils en trouvent un moins cher, plus efficace et performant. La région PACA le regarde. Xavier Bertrand fait de même dans les Hauts-de-France.

Enfin, pour les petites lignes, rien n’oblige au monopole de la SNCF. L’Etat pourrait très bien dire : « la petite ligne entre les villes A et B doit persister, car c’est une mission de service public et nous sommes prêts à payer pour l’assurer même si elle n’est pas rentable. Par contre, nous voulons être sûrs de la payer à son juste prix et pour un service performant, c’est pourquoi nous allons mettre les opérateurs en concurrence : le meilleur, privé ou public, remportera le monopole temporaire sur l’exploitation de la ligne et si, à l’issue de son contrat (ou avant) il n’a pas été bon, nous le remplacerons ».

Loïk Le Floch-Prigent : Ce qui est arrivé dans le passé, c'est de considérer qu'un certain nombre de destinations sont réalisées par quelqu'un d'autre. Mais si jamais on met plusieurs intervenants sur une même ligne, on doit payer un régulateur, et un régulateur de régulateur. Il vaut donc mieux que cela soit une compagnie et une seule qui soit maitre d'œuvre d'une ligne marginale. On peut dire que c'est de la concurrence, mais dans les faits cela n'en n'est pas vraiment. Lorsqu'on a cédé la gestion de la ligne Carhaix-Guingamp à une autre compagnie, ce n'est pas de la concurrence, c'est juste dire : "vous avez à gérer cette ligne". C'est toujours possible.

Mais à partir du moment où sur une même ligne vous voulez faire rouler plusieurs compagnies, vous devez avoir un régulateur et vous augmentez les coûts. Quand vous avez un sillon, il faut que celui qui exploite le sillon soit celui qui le gère. S'il y a plusieurs personnes sur le même sillon, vous multipliez les coûts par deux. C'est aussi bête que ça. 

La concurrence appliquée à la SNCF doit-elle nécessairement être synonyme de privatisation?

Erwan Le Noan : Non, pas du tout et d’ailleurs personne n’envisage la privatisation de la SNCF compte tenu de son état économique et social : personne n’aurait probablement envie d’acheter ses actions.

Le sujet ce n’est pas la privatisation, c’est, d’une part celui de la performance du transport ferroviaire en général, pour la partie "rentable" des lignes ; et c’est celui, d’autre part, du "service public" pour les lignes que l’Etat souhaite préserver et qui ne sont pas rentables. Et pour que ces lignes soient exploitées au meilleur coût, avec la performance optimale, il faut de la concurrence.

Loïk Le Floch-Prigent : Les économistes de la commission de Bruxelles ont considéré que les monopoles devaient être cassés pour laisser place à la concurrence. Ça a été le cas pour le téléphone : cela a plus ou moins marché. On s'aperçoit en fin de compte qu'il faut des oligopoles pour que cela marche. Et on en est même à dire qu'il est embêtant d'avoir quatre sociétés de téléphone en France, et qu'il en faudrait trois. Cela veut dire simplement que pour diminuer les coûts, il vaudrait mieux être en oligopole. Quel progrès ! En ce qui concerne l'électricité et le gaz, la moralité de la concurrence a été une augmentation des prix pour le consommateur. On peut continuer à faire ça au nom de l'idéologie de la concurrence, mais un jour le consommateur s'en rendra compte. 

En ce qui concerne le rail, c'est ce qui attend les consommateurs. C'est ce qui arrive aujourd'hui en Grande-Bretagne. Ceux qui disent que tout le monde est satisfait du train là-bas ferait bien de traverser la Manche.

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