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Simplification : le divorce par consentement mutuel … du plus fort
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Certains sont plus égaux que d'autres...

Lors d'un colloque qui se tiendra les 10 et 11 janvier à l'UNESCO, Christiane Taubira se verra remettre un rapport préconisant de "transférer au greffier juridictionnel le divorce par consentement mutuel, sans qu'il y ait lieu de distinguer en fonction de la présence d'enfants ou de la consistance du patrimoine". L'objectif affiché est d'alléger la charge de travail des juges.

 Koz

Koz

Koz est le pseudonyme d'Erwan Le Morhedec, avocat à la Cour. Il tient le blog koztoujours.fr depuis 2005, sur lequel il partage ses analyses sur l'actualité politique et religieuse

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Il faut aimer le monde. Mais, tous les amoureux et tous les parents le savent, l'amour, ça cause bien des soucis.

Et, de même que certains ne veulent plus tomber amoureux pour avoir trop souffert, d'autres ne veulent plus se soucier de ce monde. Trouver leur petit camp à eux, s'occuper de leurs enfants, laisser filer ce monde puisqu'il le veut, ou semble le vouloir.

Comme l'on serait plus détendu si l'on pouvait répudier cette communauté nationale, n'être engagé par rien ni personne, n'être impliqué par le choix d'aucun autre et surtout jamais soucieux du bien des autres. Il est des jours où le bilan énergétique de l'optimisme voire de l'espérance ne plaide pas en leur faveur.

Enfin... On en connait d'autres qui ont tant aimé le monde qu'ils en ont souffert, et pas de la plus belle des manières.

Ce matin, nous voyons resurgir un projet de réforme du divorce. L'esprit n'est pas inédit, les modalités sont justes différentes de celles que nous avons connu il n'y a pas si longtemps. Fin 2007, au début du quinquennat Nicolas Sarkozy, il avait été envisagé d'introduire un divorce sans avocat et sans juge, uniquement devant notaire. Cette fois, il s'agit d'un divorce sans juge et devant greffier1.

Le loup l'emporte et puis le mange... sans autre forme de procès

Évoquons, donc, ces modalités et les raisons pratiques de couper une fois encore la tête de l'hydre.

Le divorce concerné est le divorce par consentement mutuel, régi par les articles 230 et suivants du code civil. Soulagement, donc, puisque c'est ce cas dans lequel le divorce se passe à merveille. Les époux sont d'accord, sur le principe du divorce et sur ses modalités. Ils ont consulté un avocat et en ont même pris un seul, tant ils sont d'accord sur tout. D'ailleurs, même les enfants dansent la sarabande. Pourquoi, dès lors, leur mettre des bâtons dans les roues et réfréner leurs ardeurs dissolutives ?

Il se trouve que la pratique, observée à la fois par les avocats et par les juges est bien différente de ce tableau irénique.

Le principe même du consentement mutuel est trop souvent douteux. Il y a celui qui rend la vie insupportable à l'autre. Celui ou celle qui craque et "consent". Celui qui a un ascendant sur l'autre, celui qui gueule le plus fort, celui qui menace2. Et puis à quoi bon, puisque de toutes façons au bout du compte le divorce sera prononcé...

Le consentement est ainsi trop souvent influencé par la méconnaissance de ses droits ou la simple volonté que cela se finisse au plus vite.

Les modalités ensuite. Le couple trouvera un avocat. Soit que tout se passe effectivement bien, soit que l'un des époux s'illusionne, soit que l'autre ait un ascendant psychologique, ils en prendront souvent un seul (ça fait des économies, en plus). Et, parfois, ce sera l'avocat habituel de l'un des deux. Il n'est même pas impossible qu'il ne soit rémunéré que par l'un des époux. Que ma profession me pardonne de ne pas faire aveuglément crédit à un confrère de sa neutralité, mais en tout état de cause, aucun avocat ne recommanderait de prendre un avocat unique, et encore moins en l'absence de juge.

Il faudra ensuite s'atteler à des éléments très pratiques, qui vont de la pension alimentaire au sort des impôts à payer et celui des enfants (sans parler du chien). Là encore, la convention qui sera soumise au juge cache bien des litiges potentiels et, là encore, le consentement est soumis à bien des influences.

Or, précisément, l'office du juge est de vérifier ces points. C'est l'article 232 du code civil :

 Le juge homologue la convention et prononce le divorce s'il a acquis la conviction que la volonté de chacun des époux est réelle et que leur consentement est libre et éclairé.  Il peut refuser l'homologation et ne pas prononcer le divorce s'il constate que la convention préserve insuffisamment les intérêts des enfants ou de l'un des époux.

L'office du juge est ainsi réduit, limité au contrôle des éléments fondamentaux. Il reçoit fort brièvement chacun des époux séparément et s'assure de leur consentement autant qu'on peut le faire en quelques minutes. Enfin, il portera spécialement son attention sur la garde des enfants. Car les modalités retenues par les époux coïncident peut-être avec leurs impératifs personnels mais peuvent s'avérer particulièrement déstructurantes pour l'enfant.

Voilà donc ce qu'il conviendrait de supprimer. Plus de juge pour opérer ce contrôle minimum, déjà réduit comme peau de chagrin. Plus de juge, plus de "procès". Il est regrettable que la protection de la partie faible ait ainsi déserté l'esprit des gouvernants, pour des considérations de boutiquiers.

Il est sidérant également de lire que le transfert du divorce par consentement mutuel est expressément prévu "sans qu'il faille distinguer selon la présence d'enfants [ou de patrimoine]...", au lieu de considérer que cette circonstance justifierait au contraire de ne pas faire l'économie du rôle du juge.

Mais pourquoi donc un greffier ne pourrait réaliser ce contrôle ? A droit constant, ce n'est pas possible. Un greffier n'est pas chargé de l'appréciation du fond des dossiers et encore moins de rendre des jugements. Il conviendrait donc de réformer le statut des greffiers. Or, on ne confie pas à un greffier les missions d'un juge. Ce n'est pas son rôle, ce n'est pas non plus leur formation. A moins de créer des sur-greffiers ou des sous-juges. Des magistrats sans l'être. Sans les garanties d'indépendance attachées à la magistrature. Sans leur savoir-faire et sans leur expérience, car le juge qui exerce les missions prévues à l'article 232 du code civil a également l'expérience des situations contentieuses puisqu'il traite les contentieux postérieurs à ce divorce par consentement mutuel3.

"Il faut simplifier le divorce". Pourquoi ?

De façon périphérique, il est inquiétant de constater que l'Etat prend acte de son incapacité à remplir correctement ses missions essentielles et, en l'occurrence, une mission régalienne. Une fois encore, pour des raisons de moyens, nous sacrifions la nature même d'une mission de l'Etat. Déjà incapables de nous assurer que le contrôle de la réalité d'un "consentement libre et éclairé" et de la "préservation suffisante des intérêts des enfants ou de l'un des époux" fasse l'objet d'une audience de plus de dix minutes, nous envisageons non pas de rétablir cette exigence minimum, mais de supprimer l'audience.

Surtout, il s'agit une fois de plus de "simplifier le divorce". Dominique Bertinotti a encore considéré ce matin que ce serait "une bonne idée de simplification".

N'inversons pas le raisonnement : mon pied dans la vie n'est pas de compliquer la vie des autres, mais la proclamation de cet impératif peut être questionnée. De fait, on l'a dit, ce divorce par consentement mutuel peut être réalisé en ayant recours à un seul avocat, et ne prend que dix minutes de temps devant le juge. Qu'y-a-t-il donc encore à simplifier ? Lorsqu'il s'agit de régler non seulement les conséquences patrimoniales de la séparation mais encore de veiller à l'intérêt des enfants, ces misérables 10 minutes sont-elles encore de trop ?

Quel est donc ce mantra, "simplifier le divorce" ? Pourquoi certains en viennent-ils à souhaiter obsessionnellement qu'un couple puisse se séparer au plus vite et surtout sans formes ?

Et puis encore : pourquoi ne pas lâcher le mariage, un peu ? S'il faut absolument que la séparation soit simple, soyez responsables et cohérents, ne vous mariez donc pas, la séparation en sera d'autant plus aisée ! Ou alors, faites une sauterie dans un parc, avec une treille et un gars en costume comme dans les séries. Mais personne ne vous oblige à vous marier. D'ailleurs, près de 30% des personnes vivant en couple en France ne sont pas mariées.

Longtemps, une certaine partie de la population a dénigré le mariage, simple bout de papier dont leur amour pouvait bien se passer. Il y avait pourtant erreur sur la marchandise : le code civil n'a que faire de votre amour. Ce n'est qu'à l'église que les époux se reçoivent et se donnent mutuellement l'un à l'autre "pour s'aimer fidèlement tout au long de [leur] vie". Mais l'amour n'est ni une condition ni un engagement du mariage civil.

Mais sous cette influence, le mariage a été progressivement vidé de sa substance, et précisément réduit à ce bout de papier. Et après avoir réussi cela, il faut maintenant pouvoir le rompre au plus vite. Vidé de sa substance ? Il y a six ans, un de mes amis soutenait sa thèse sur "les devoirs conjugaux". Il soulignait à quel point le mariage était dépourvu de tout engagement. Les obligations du mariage ne sont plus sources d'aucun engagement. Comme l'on dit en droit, elles ne sont plus "sanctionnées". Violer une obligation du mariage n'entraîne pas un divorce pour faute. Tromper votre conjoint n'est pas une faute. Or, d'un point de vue juridique un engagement dont la violation n'emporte pas de conséquences n'en est pas un.

Nous avons donc un mariage civil réduit à une dimension superficielle. Faut-il encore le défendre ?

Bêtement, au lieu de me soucier de ma pomme, je m'acharne à le penser.

Parce que le mariage, tel qu'il devrait être et tel qu'il est encore confusément perçu voire rêvé, est un engagement dans la durée et parce que cette durée, c'est la stabilité pour les enfants.

Parce que la souffrance des enfants soumis à une instabilité parentale est déjà bien documentée, n'en déplaise aux prosélytes parmi les divorcés4. Qu'éviter cette souffrance est un motif suffisant. Mais que, s'il faut trouver un motif égoïste et pragmatique, l'instabilité familiale est aussi le germe de l'instabilité sociale.

Une société saine devrait valoriser l'engagement, et sur la durée, au lieu de poursuivre inlassablement une dissolution empressée. Or, non seulement aujourd'hui les époux ne s'engagent plus matériellement à rien mais ils prennent un engagement qui n'en est pas un. Un vœu peut-être, pas même pieux. Car dès lors qu'un engagement pourrait être rompu sans motif et sans plus aucune forme, ce n'en est plus un. Au final, la seule différence entre le mariage et le PACS ne résiderait plus que dans l'impossibilité de répudier unilatéralement son conjoint.

Peut-on vraiment encenser un jour, avec un air très concerné, les conclusions du rapport du Médiateur, qui pleure la perte du collectif et de l'engagement - "notre contrat social n’est pas un contrat de services mais d’engagement" - et dissoudre ce sens de l'engagement dans ce cœur le plus profond de la société qu'est la famille ?

Cet article a été précédemment publié sur le blog de Koz

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