Berlusconi vs Soros : petit bilan de deux stratèges majeurs des guerres idéologiques des dernières décennies <!-- --> | Atlantico.fr
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George Soros lors d'une conférence de presse.
George Soros lors d'une conférence de presse.
©FABRICE COFFRINI / AFP

Milliardaires activistes

Le hasard aura voulu que Silvio Berlusconi meure au même moment que celui choisi par George Soros pour annoncer qu’il cédait les rênes de sa fondation à son fils.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : George Soros a annoncé qu’il cédait les rênes de sa fondation à son fils. Comment George Soros a-t-il, par sa fondation et ses relations, promu sa vision du monde ?

Alexandre Del Valle :A 92 ans, George Soros sent qu’il est proche de la mort et passe les rênes à son fils, Alexander, qui a baigné toute son enfance dans une idéologie très politiquement correct et fortement anti-souverainiste, sans frontiériste et anti-populiste. Il a donc été formé pour répandre la vision non pas « gauchiste » mais la plus libérale-libertaire et mondialiste du modèle des démocraties occidentales à économies de marché, et il n’y a rien de péjoratif là-dedans puis Alexandre Soros, encore plus nettement que son père, professe lui-même ouvertement et avec u,ne certaine cohérance idéologique et géopolitique, sa vision occidentaliste-wokiste faite de sociétés ouvertes, d’internationalisme, de sans-frontiérisme, d’immigrationnisme, de lutte contre la Russie et toutes les autocraties anti-atlantistes et d’européisme supranationaliste. Un modèle foncièrement universaliste et opposé aux ordres traditionnels et nationaux, qui, avant d’être répandu dans le monde non-occidental du « Sud Global », de l’Afrique et de l’Asie sino-confucéenne, a vocation à devenir hégémonique surtout en Occident, Etats-Unis, Union européenne, Europe centrale et orientale, Canada, et Amériques latines, c’est-à-dire là où le couple démocratie libérale et américanisation « Mc Word rencontrent le moins de résistences et ont un fort pouvoir d’attraction. Alexandre Soros veut d’ailleurs lutter prioritairement aux Etats-Unis contre un retour de Donald Trump et pour cela aider par tous les moyens et son influence les démocrates « internationalistes », pour reprendre une expression très prisée par Joe Biden lui-même. L’idée est que le souverainisme isolationniste trumpiste, comme le modèle de la démocratie « illibérale » portée par la droite israélienne ou Victor Orban, est un danger extrême qui risque de faire barrage au projet « globaliste » des interventionnistes américains et européens qui veulent voir évoluer l’Occident en une sorte d’avant-garde et de terrain d’essai d’un projet de « gouvernance mondiale » qui serait le stade suprème de l’évolution de l’humanité et de la démocratie libérale.

Dans une interview récente accordée au « Wall Street Journal », Alexander Soros explique ainsi qu’il va gérer des milliards de dollars de l’empire de son père, notamment les réseaux d’Open Society, pour poursuivre ce projet de grande envergure. Alexander Soros veut rendre impossible le retour de Donald Trump et faire barrage à tous les « populismes souverainistes » d’Occident.

Wokiste très zélé et encore plus ouvertement « lgbtiste » que son père, Alexander est détesté par tous les ultra-conservateurs et les populistes du monde, et il est aussi radical qu’eux en sens inverse. Toutefois, il ne faut pas sombrer dans la diabolisation réciproque, car en réalité, comme je le montre dans mon dernier essai co-écrit avec l’ancien patron de la Sorbonne Jacques Soppelsa, La Mondialisation dangereuse, cette opposition entre sorosiens et  »populistes » illustre une vraie fracture qui oppose vraiment deux Occidents incompatibles et dont celui des deux qui l’emportera sur l’autre décidera de l’évolution et de la pérennité ou non des deux modèles : celui de l’Occident dit « identitaire » ou « civilisationnel de Trump, Orban, Meloni ou Netanyahou, et celui de Obama, Biden, Soros, Trudeau et de l’atlantisme et du wokisme, de l’Occident-Monde, globaliste, anti-traditionnel, et anti-identitaire. Et il y a une vraie part de « sincérité » dans ces deux modèles.

Son père George Soros a consacré toute sa vie à deux choses : faire fortune dans la finance et la bourse, et mettre une partie de son argent dans la promotion de tout ce qui peut affaiblir les Etats nations souverains, y compris et surtout occidentaux, est-européens et israélien. Ce point est important car la détestation de Soros dans les mieux de la droite israélienne et du sionisme décomplexé montre que Soros n’est le défenseur d’Israël et des Juifs comme les antisémites-antisionistes le croient à tort, mais le promoteur d’un « post-nationalisme » que le sionisme de droite met en danger puisque son postulat repose sur la reductio ad hitlerum de la Nation souveraine occidentale judéo-chrétienne. Soros a ainsi créé dans les années 1980 le réseau de fondations (Open society foundation ou OSF) qui finance toutes les causes libérales-libertaires et « globalistes » : des réformes de l’économie et de la justice, aux droits des minorités sexuelles ethniques et religieuses, des réfugiés et immigrés clandestins à la liberté d’expression (à sa manière) et à la lutte contre l’extrême droite ou pour le communautarisme et le voile islamiste tout étant proche de tous les milieux antireligieux. Le paradoxe n’est d’ailleurs qu’apparent, car le trait d’union des combats multiples et « intersectionnalistes » tantôt apparemment tiersmondistes-gauchistes, tantôt capitalistes et tantôt libéraux et anti-religieux, a pour objectif une « déconstruction » de tout ordre traditionnel, préalable à la construction de « l’homme nouveau » post-identitaire et post-national. Son postulat, d’ailleurs très sincère et cohérant, si on prend la peine de lire ses écrits, est que si la prospérité économique passe par l’ouverture des frontières douanières et de la libre-circulation des capitaux, des biens et des hommes, alors la démocratie, son pendant politique, passe par le globalisme et une gouvernance mondiale, phénomène qu’il distinguer de la mondialisation « neutre ». Mon intuition, selon laquelle Alexander sera encore plus idéologique et donc intolérant envers le souverainisme occidental que son père, est qu’il n’a pas besoin de se battre pour faire de l’argent mais est une création idéologique pure de son père et de l’aile la plus globaliste des démocrates américains et du projet du globalisme, qui est une idéologisation de la mondialisation, une version anti-frontiériste et anglosaxonne, qui s’oppose à la mondialisation des pays multipolaristes, à commencer par le tandem russo-chinois. Dans une interview également récente au Wall Street Journal, Alexander Soros a d’ailleurs reconnu lui-même qu’il est encore plus politique et idéologique que son père.

A quel point sa vision du monde, et la manière de parvenir à ses fins, était-elle pensée chez George Soros ?

Ce n’est pas du complotisme que de dire que Soros a une conception idéologique de la société, de l’économie et de la politique dite « ouverte-globaliste », car Soros, père et fils, sont fort cohérents. George Soros, l’homme qui assimile la globalisation occidentale libertaire et libérale à l’antifascisme, a expliqué noir sur blanc sa vision, d’ailleurs intellectuellement assez logique - et même en partie vraie, mais en partie seulement ! - selon laquelle l’ouverture des nations sur le plan économique et des transports et communication finit par aller de pair avec une ouverture identitaire aux autres et avec une acculturation globalisée. Il a en partie tort, comme nous l’expliquons dans notre livre, car ce parallélisme ne fonctionne que dans le monde restreint de l’homme « blanc-libéral-atlantiste » des démocraties occidentales, que Samuel Huntington, le professeur de Harvard anti-Soros, avait qualifié de « microcosme de Davos », soit 12 % de l’Humanité… Soros déteste par-dessus tout le souverainisme, surtout « blanc-occidental-judéo-chrétien », et sous toutes ses formes, car, pour lui, le monde doit évoluer peu à peu vers une « gouvernance mondiale », un « état de conscience planétaire, et il sait que le pouvoir d’attraction de ce projet n’est puissant que dans les sociétés occidentales ou occidentalisées (Corée du Sud, Japon, etc) largement acculturée par la culture et le consumérisme anglosaxons (« McWorld »). Le moyen de parvenir, selon lui, à la « suprasociété » mondiale (pour paraphraser son autre antithèse, le dissident anti-soviétique Zinoviev), est d’étendre par tous les moyens la conception libérale-libertaire de la démocratie partout dans le monde mais avec une importance supérieure accordée à l’Europe de l’Est - dont il est originaire - et dont il craint que l’aspiration nationale identitaire très ancrée dans ces pays ex-communistes les conduise à « communiquer » leur souverainisme identitaire au reste de l’Europe, notamment au sein de l’UE, d’où l’importance des fonds envoyés aux pays de l’Est et en faveur du double projet d’extension de l’OTAN et de l’UE vers l’Est depuis les années 1090 dans le double but de 1/ d’y préparer de nouvelles élites mondialisées et 2/ de réduire l’influence de la Russie voicine, jugée comme le pire obstacle à l’extension du modèle libéral-libertaire et globaliste à l’intérieur du monde « blanc-chrétien » visé en particulier.

Quels sont ses relais ? Comment nourrissait-il son réseau ?

Il ne s’agit pas d’un seul mais de nombreux réseaux : Open society est un réseau de réseaux, qui entretient des ONG, des associations, des partis politiques (indirectement), des Think tanks, des écoles, universités et centres de formation dans le monde entier. Les relais sont multiples, associatifs, médiatiques, politiques et éducatifs. Le sorosisme « travaille au corps » les démocrates américains, les sociaux-démocrates européens,  et il appuie donc tantôt le centre libéral, tantôt la gauche, tantôt les milieux européïstes (UE), tantôt les lobbies ethno-religieux sépataristes, tantpot les régionalismes, et bien sûr les forces atlantistes toutes tournées contre la perspective de la pérennité des souvertainetés des Pays d’Europe.  D’où le fameux organigramme des centaines de députés européens « approchés » par les réseaux d’Open society depuis des années.

George Soros est-il le coupable idéal pour de nombreuses théories du complot, comment l’expliquer ?

Il y a une part de fixation et d’obsession d’un côté ; de théories du complot judéo-maçonnique et mondialiste, de l’autre, puis aussi une part de vérité, car la vérité n’est souvent ni blanche ni noire et les choses sont complexes. On peut fort bien dénoncer ou analyser de façon critique le « sorosisme » pour ce qu’il a de tourné contre l’Etat régalien légal détenteur du monopole de la force légitime (Max Weber), sans tomber dans les délires anti-mondialistes caricaturaux et complotistes des extrêmes. Il est stupide de voir Soros partout, car il y a beaucoup de « petits Soros » milliardaires ou millionnaires qui financent des ONG « gloabalistes » ou /et « immigrationnistes », comme par exemple celles qui aident les migrants clandestins à débarquer à Lampedusa en affrettant des navires fort couteaux, et ces financiers des ONG « sansfrontiéristes » poursuivent un projet « sincèrement mondialiste », qui n’est ni secret ni « diabolique », mais assez cohérent. Il est tout aussi stupide de voir Soros derrière tous les « coups tordus », des vaccins aux migrants illégaux en passant par la guerre en Ukraine, mais il serait tout aussi stupide de nier l’importance de ONG des réseaux de Soros et d’Open Society qui œuvrent selon leurs aveux et leurs ouvrages mêmes au « globalisme » libéral-libertaire dans un objectif de détruire l’Etat régalien et l’ordre occidental judéo-chrétien traditionnel au profit d’une gouvernance mondiale. En effet, pour les idéologues non secrets mais sincèrent qui n’ourdissent rien de façon cachée contrairement aux délires des complotistes, le postulat sorosien « cohérent » est la fin des traditions et des valeurs des sociétés blanches-judéo-chrétiennes classiques et donc du « souverainisme identitaire » jugé comme l’obstacle majeur à l’accomplissement du futur projet de supra-société cosmopolite dominée par McWord et l’aile démocrate du pouvoir américain. En ce sens, il n’y a AUCUN complot, car George Soros, son fils, et Open society confessent, publient et sont fiers de leur agenda sans-frontiériste et ne cachent rien.

Quelles réussites a-t-il eu ? Et quels échecs ?

Il a eu des réussites qui, d’une certaine manière ont été « extraordinaires », notamment en Géorgie avant 2008-2009 et en Ukraine entre 2004 et 2014 (« révolutions de couleurs), mais contrairement aux élucubrations simplistes des complotistes, Soros n’a été qu’un des éléments et des acteurs de ces projets d’occidentalisation-libéralisation de l’ex-« étranger-proche russe »,, et ces plans d’occidentalisation-démocratisation libérale et atlantisation » de l’Est a été opéré par plusieurs entités étatiques, internationales et associatives, parfois fort diverses, et toujours en collaboration avec les administrations américaines démocrates et « néo-cons », donc les plus interventionnistes du pouvoir américain. On peut citer les « succès » des opération contre l’Ex-Yougoslavie après les bombardements (« Otpor), en Ukraine-Géorgie (« Pora » et « Kmara »), dans lesquelles Soros n’a jamais agi seul ou n’a été le « patron », mais a agi dans le cadre d’une mouvance globaliste et atlantiste qui comprenait outre l’administration US, l’UE et la CIA, la Carnegie Foundation, nombre de figures intellectuelles et leaders politiques des démocraties-libérales occidentales, Endowment for democracy; Canvas, Albert Einstein Foundation; Voice of America ou encore USAID, etc.  Cette mouvance qui est autant une philosophie que des intérêts privés et publics parfois disparates et opposés dans d’autres domaines, ont convergé dans le cadre de l’expansion de l’interventionnisme occidental en Europe centrale balkanique et de l’Est face aux Russes et aux forces multipolaristes, sous les Administrations interventionnistes américaines Clinton et Bush fils, notamment. Et le même genre de convergence s’est vérifié ensuite dans les années 2010-2012 dans les pays arabes avec l’appui de l’administration Obama. La preuve que les choses sont complexes et qu’il n’y a pas un seul plan de type complotiste et secret ourdi de façon uniforme : les ultra-nationalistes polonais, ukrainiens, géorgiens, ou baltes, totalement opposés aux projets mondialistes-wokistes, ont été momentannément et tactiquement alliés aux forces globalistes anti-nationalistes et wokistyes sorosiennes face à l’ennemi commun russe post-sociétique, et parfois, des républicains aux aussi anti-wokistes ultra-conservateurs ont appuyé les opérations de révolutions de couleurs par anti-russisme mais pas pour épouser le globalisme anti-national et anti-identitaire de Soros.

Ce lundi, a aussi été marqué par la mort de Silvio Berlusconi. Y-a-t-il des parallèles pertinents à faire sur ces deux figures, notamment sur leur manière de mettre leur fortune au service de leur combat idéologique ?

La grande différence est que, si George Soros a mis une partie de sa fortune au service de la promotion du « cosmopolitiquement correct » - dans une logique "métapolitique" cohérente et indéniable - Berlusconi, le milliardaire jouissif de droite (mais ex-socialiste « Craxien) est très peu idéologue. Il a rarement mis sa fortune au service de l’idéologie supposée de son camp de « droite », mais plutôt au service de son électoralisme et de la défense de ses intérêts personnels et judiciaires face aux procès multiples : il n’a fait aucune action métapolitique vraiment contraire à la doxa sorosienne globaliste et il a promu une sous-culture américanisée anti-identitaire de facto puis trahi d’une certaine manière ses électeurs de droite en ne faisant aucune vraie réforme importante comme il en avait promis. Il a été parfois « courageux » face au politiquement correct et aux intellos communistes, en parlant tout le temp des « 100 millions de morts du communisme », mais il a toujours fait primer ses intérêts personnels sur son idéologie faussement de droite-conservatrice qu’il plus intrumentalisée électoralement que promus. Soros a une vraie cohérence d’idéologue qui l’incite à mettre énormament d’argent au service de la promotion des idées, tandis que Silvio Berlusconi, certes capable de provocations populistes et d’un certain courage intellectuel, comme l’union des droites, qu’il a réussi de la Ligue à Giorgia Meloni (FI), n’a rien fait d’envergure pour le combat des idées conservatrices-souverainistes et pour former des élites jeunes et capables de transformer la société : son action culturelle s’est limitée aux émissions américanisées avec des jeux tv débiles, des femmes pulpeuses aux décolletés énormes et vulgaires, dans le cadre d’un abrutissement intellectuel et de la religion commerciale du football...

Quelle a été la stratégie et les moyens mis en place par Berlusconi en ce sens ? Comment Berlusconi a-t-il durablement changé le cours de l’histoire italienne ?

Il a œuvré jusqu’au gouvernement de Giorgia Meloni et depuis les années 1990 à promouvoir l’union des droites. Certes, même si ses télés ont favorisé la promotion de la sous culture consumériste, son action politique a banalisé et légitimé - par les participations de la Ligue et de la droite dure (FI) aux gouvernements de ́"centre droite", comme on dit en Italie, la droite conservatrice identitaire qui règne maintenant à Rome.

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