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Salles de shoot : Pourquoi il faut absolument sortir du débat idéologique pour se concentrer sur les bienfaits médicaux
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Overdose d'idéologie

Marisol Touraine a indiqué Dimanche sur BFM TV qu'elle espérait lancer l'expérimentation des salles de consommation de drogue en France dès cette année.

Fatma Bouvet de la Maisonneuve

Fatma Bouvet de la Maisonneuve

Le Dr Fatma Bouvet de la Maisonneuve est psychiatre addictologue à l'hôpital Sainte-Anne, présidente de Addict’elles (www.addictelles.com), auteure de "Les femmes face à l’alcool. Résister et s’en sortir" aux Ed Odile Jacob .

 

 

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Atlantico : Marisol Touraine a indiqué Dimanche sur BFM TV qu'elle espérait lancer l'expérimentation des salles de consommation de drogue en France dès cette année. Que pensez-vous de cette initiative ? S'agit-il d'une banalisation de l'usage des drogues ou d'une mesure pragmatique qui a fait ses preuves en terme de santé publique ? 

Fatma Bouvet de la Maisonneuve : Autant, je trouve que Vincent Peillon a lancé  le débat sur la dépénalisation du cannabis de manière légère, autant je suis partisane des salles de shoots. Je pense qu'il faut placer le débat sur le plan médical et non idéologique. Aujourd’hui, ce sujet est malheureusement au centre de discussions idéologiques et les positions de chacun varient en fonction  de leur camp politique. C’est regrettable : la santé publique devrait être une préoccupation qui transcende les clivages politiques traditionnels. Cette polémique  me rappelle un peu les débats qu’il y avait dans les années 1970 concernant les traitements de substitution à la méthadone. A l’époque, on a perdu du temps avec les mêmes fondements idéologiques qu’aujourd’hui. On nous accuse de favoriser la consommation de stupéfiants et d’être des dealers en blouse blanche

On connaît davantage de nos jours l’efficacité des traitements de substitution : je pense donc qu’il faut être progressiste sur les thérapies d’autant plus que ces salles de shoot sont des réussites dans certains pays comme la Suisse. Donc, pourquoi pas en France ?  Il y a un conservatisme qu’il faut dépasser sur ces questions car les avantages liés aux salles de shoot sont assez évidents, surtout en termes de maladies infectieuses.

Autre point à ne pas oublier : la toxicomanie est une maladie, on parle de gens malades... J’ai entendu Bernard Debré parler du sevrage impératif des patients…Le problème c'est qu'en tant qu'addictologues, je ne suis bien placé pour savoir qu'il ne suffit pas de dire :  "quand on veut, on peut !"  Ce serait trop facile. L’envie de consommer est irrépressible, c’est précisément ça qui fait que c’est très dur de s’en sortir. On se drogue tout en sachant qu’on est dans l’autodestruction. Encadrer les injections, c’est offrir des structures adaptées aux toxicomanes qui ont recours à la drogue par seringues. Les complications, on les connait : elles sont infectieuses et font des dégâts très inquiétants, sans parler du risque réel d’overdose.

Dans une structure d’encadrement, on pourrait éviter des complications qu’on sait mortelles. Grâce à ces salles, les personnes viendraient dans un cadre médicalisé, l’encadrement serait médical, psychiatrique, social et psychologique. J'ai travaillé longtemps avec ces patients, beaucoup sont seuls et trouvent dans ces lieux thérapeutiques un vrai lieu de socialisation. Les salles de shoot peuvent être pour eux des lieux d’insertion sociale. Et puis, cela permet aussi qu’il n’y ait pas de shoots dans les halls d’immeubles et de seringue dans la rue.

Il s’agit d’un encadrement global, c’est ça le bénéfice !

Ces salles de shoot ne posent-elles pas un problème moral. Est-ce le rôle de l’Etat d'accompagner et d'encadrer la prise de drogue ?

Il faut vraiment placer ce débat sur le plan médical mais ça n’exclut pas le débat sur la lutte contre les trafiques de drogue. Nous sommes les premiers à lutter contre les dealers, on sait aussi qu’en sortant du centre de sevrage, les personnes toxicomanes peuvent trouver des dealers dans le coin. On sait qu’une guerre contre le deal est à mettre en place, mais on sait aussi que si les toxicomanes ne se shootent pas dans des salle encadrées, ils le feront ailleurs. La question c’est comment peut-on protéger au maximum les patients ? Je vous renvoyais tout à l’heure au débat des années 90 quand on disait exactement le même genre de choses sur la méthadone. On nous accusait de renforcer la toxicomanie, ce qui est faux. Il faut savoir que ces patients viennent aussi dans les salles de consommation de drogue pour s’en sortir, ils ne viennent pas uniquement pour consommer, mais également pour être aidés. Quand on est dans une démarche de soins, ce n’est pas pour persister dans une démarche pathologique. Un fort pourcentage des patients qui viennent dans ces salles ont envie de se sevrer. Je ne vois pas pourquoi on se priverait de structures de ce type.

Dans cette optique, pourquoi ne pas investir un maximum de moyens sur les structures de désintoxication ?  

En toxicomanie, notamment avec une drogue comme l’héroïne qui est très addictogène, le sevrage n’est pas facile,  ça se saurait. C’est d’ailleurs pour cela que les traitements de substitution existent. Avec l’héroïne, le taux de rechute est  très important. Il est  moins coûteux et plus efficace de mettre en place des salles de shoots et de prodiguer un accompagnement pas à pas. Le sevrage définitif d’un patient demanderait un nombre important d’hospitalisation et un encadrement très lourd, le tout pour un taux de réussite très discutable.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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