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L'Armée de terre américaine envisage la mise au point d'une super-armure visant à décupler la puissance de ses soldats.
L'Armée de terre américaine envisage la mise au point d'une super-armure visant à décupler la puissance de ses soldats.
©Allociné

L'armée du futur

L'Armée américaine a récemment émis un appel d'offre visant à la mise au point d'une armure protégeant au mieux ses soldats lors des pérations de terrain. Depuis quelques jours, plusieurs vidéos ont été postées sur Internet révélant certaines caractéristiques de cette super-protection. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle s'apparente à celle d'un super-héros !

Philippe Chapleau

Philippe Chapleau

Philippe Chapleau est Journaliste au service Politique de Ouest-France. Il suit les questions de défense et la politique étrangère, après avoir été basé en Afrique du Sud comme correspondant jusqu'en 1992.

Il est l'auteur de Mercenaires SA (1998), Sociétés militaires privées. Enquête sur les soldats sans armées (2005), Les mercenaires de l'antiquité à nos jours (2006), et de l'essai  Les nouveaux entrepreneurs de la guerre, qui traite de l'externalisation en matière de défense en France.

 

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Atlantico: L'Armée américaine a récemment commissionné plusieurs groupes de chercheurs du MIT afin de concevoir une super-armure qui rendrait ses soldats invincibles. Sur le plan matériel et technologique, comment cela se concrétise-t-il ?

Philippe Chapleau : Il convient tout d'abord de rappeler qu'il ne s'agit pas là d'une nouveauté. En 2011, la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) avait lancé le projet Warrior afin de doter les soldats américains d'un exosquelette visant à les rendre plus forts. Le projet Talos a d'ailleurs utilisé des images du projet Warrior. Avec ce nouveau projet, l'idée est bel et bien de donner aux forces spéciales américaines des capacités de protection et de projection accrues afin que les soldats soient plus puissants, mieux protégés et aussi moins nombreux car tel est l'un des objectifs de Talos.

Deux phases caractérisent déjà ce projet : au mois de mai, une RFI (Request for Information) été lancée, dans laquelle les grandes lignes du projet ont été formulées. Un appel d'offre a suivi en septembre, destiné aux chercheurs afin qu'ils puissent fournir un Livre blanc sur le projet. L'échéance butoir de production de ce document a été fixée à l'automne 2014. Il n'est donc pas encore question à ce stade de production.  Ce Livre blanc sera examiné par les autorités militaires américaines et notamment par la DARPA, afin d'étudier la faisabilité du projet en termes de coût. Le montant maximal pour le développement des produits proposés a été fixé à 2 millions de dollars, ce qui est absolument ridicule, tandis qu'il a été demandé aux équipes travaillant sur le projet d'être capables de produire ce démonstrateur en douze mois. Au regard de ces contraintes, il ne faut donc pas espérer obtenir de produits tout à fait novateurs et encore moins de révolution.

Même si cette super-armure n'épargne pas au soldat sa présence sur le terrain, celle-ci constitue une enveloppe protectrice redoutable. Ce projet ne s'inscrierait-il pas dans cette nouvelle logique militaire de distanciation entre le soldat et le terrain, qui culmine avec les drones ?

Deux éléments sont à considérer. Tout d'abord, il y a une vue de l’esprit de certains développeurs américains influencés par le lobby des équipementiers. Ces derniers ont tout intérêt à ce que le projet Talos voit le jour pour des raisons économiques. En effet, la mise au point de cet exosquelette va nécessiter également le développement d'équipement connexes: véhicules, hélicoptères etc. afin de pouvoir transporter les soldats ainsi équipés. Il y a donc énormément d'argent en jeu, à terme.

De l'autre côté, si l'on écoute les opérateurs des forces spéciales, ces derniers restent très perplexes sur les capacités de ces équipements. Ils mettent en avant le temps de développement, la fragilité de l'équipement... Ils insistent surtout sur la nécessité de prendre en compte certains éléments: la mise au point de protections balistiques très légères (et qui ne pèsent plus donc 13 ou 16 kilos), et de sources d'énergie pour ces équipement qui durent. Ceci est parfaitement observable en France avec le projet Félin, dont l'une des limites est précisément cette question de l'énergie ; ceci explique le besoin des soldats équipés du Félin d'avoir accès à des VBCI (Véhicule Blindé de Combat d'Infanterie) pour recharger leur batterie. On peut donc avoir de très bons soldats très bien équipés, mais qui peuvent se retrouver hors-jeu si les batteries de ces équipement lâchent sur le terrain.

Pour revenir sur le parallèle opéré dans la question avec les drones, rappelons qu'effectivement, à la différence de ces derniers, le soldat doté de l'armure Talos est bel et bien présent sur le terrain. Ce ne seront pas des robots présents dans la zone de combat, mais bel et bien des hommes-soldats, en contact direct avec l'ennemi. Le soldat restera un acteur direct de l'opération même s'il est bardé d'écran et de capteurs qui ne réduiront pas la distance vis-à-vis de son ennemi, à la différence du drone.

Précisons enfin que le soldat Talos ne sera pas invincible. Premièrement, bien qu'équipé de cette armure, le soldat demeurera visible même s'il est doté d'une signature radar ou d'une signature infrarouge très réduite. Deuxièmement, c'est que, même si les équipements lui fournissent un surplus de force et de puissance, on ne fera pas faire 300 kilomètres à pieds à ces forces spéciales juste pour prouver qu'ils peuvent marcher longtemps. Il faudra donc mobiliser des véhicules terrestres et aériens qui présentent leur faiblesse : bruit, reconnaissance, etc. Il sera donc facile de mettre hors-d'état de nuire des forces spéciales équipées de l'armure Talos.

Le projet Talos est-il proportionnel aux nouveaux risques auxquels doivent faire face les soldats sur le terrain ?

Si l'on considère les directions données par les forces spéciales et la DARPA, on constate que cela fait écho à un retour d'expérience. Les guerres en Afghanistan et en Irak ont fait prendre pleinement conscience aux Américains de la nécessité de la protection. Une bonne protection balistique empêche ainsi d'être mis hors de combat, mais pas d'être tué.

Les aspects mobilité et agilité doivent aussi être pris en compte. Généralement, les soldats partent sur le terrain avec des charges de 40 à 50 kilos, parfois plus s'ils sont dotés d’armes collectives. L'idée est donc de réduire ces charges afin de gagner en agilité, en capacité de manœuvre, d'être félin comme on dit en France (sans lien avec le produit Félin précédemment évoqué). Le second enjeu se situe sur la fourniture d'énergie : les problèmes de stockage et de transport de l'énergie n'ont toujours pas été résolus. Ensuite, il convient de réfléchir à comment capter l'énergie : le solaire, la marche... en somme, des points qui ne relèvent en rien de la science-fiction, et qui ont bel et bien été expérimentés sur le terrain.

Bien que le coût de ce projet n'ait pas encore été annoncé, on peut s'attendre à un montant très élevé. Le contexte actuel de réduction des dépenses publiques, et précisément aux Etats-Unis, est-il propice à ce type d'initiative ?

Au regard du budget fédéral américain, la réponse est non, quand on songe en plus aux difficultés auxquelles est confronté même le Pentagone à l'heure actuelle. En revanche, on peut très bien lancer des études dans le contexte actuel, parce qu'on sait qu'elles ne vont pas aboutir avant plusieurs années. Ceci laisse donc de la marge à l'Etat fédéral, mais également au développement de certaines technologies ; il s'agit donc d'un projet de long terme.

Quant à son coût, aucun chiffre n'a été avancé bien que la DARPA ait sa propre idée. Certains parlent d'un coût compris entre 1 et 2 millions de dollars par soldat pour son développement, et quasiment autant pour sa production. On aurait donc des super-combattants très chers, d'où l'idée de réduire le nombre de ces combattants en accroissant leurs capacités. A terme, on imagine très mal toutes les forces spéciales américaines (entre 35 000  et 40 000 hommes) être équipées ainsi.

Ce projet pourrait-il susciter un écho auprès des États-majors européens ?

Il est possible qu'ils suivent ce qui sera fait. En tout cas, je pense que certains éléments présentés par les chercheurs vont intéresser beaucoup de gens, surtout si on arrive à produire des nouvelles protections balistiques très légères et très puissantes, ce que tout le monde cherche à développer mais sans résultats probants jusqu'à aujourd’hui. La question de l'énergie demeure également au coeur de toutes ces attentes comme il l'a déjà été expliqué.

Par la technologie utilisée, ses fonctionnalités et son apparence, cette super-armure est déjà abondamment comparée à celle du héros de comics américain, Iron Man. Le cinéma inspirerait-il les armées dans leur processus de modernisation ?

On peut effectivement se poser la question quand on voit les récentes animations postées sur Internet il y a peu. Je pense néanmoins que le résultat final sera très différent : nous n'irons pas vers une armure complète. On n'a pas encore inventé le produit qui permettra de protéger efficacement un soldat tout en lui offrant la capacité de se mouvoir très facilement comme s'il n'avait qu'une seule combinaison de tissu sur la peau. Il y a beaucoup de rêve et d'espoir, amplifiés par les animations que je mentionnais, et qui se rapprochent des films de science-fiction. On y arrivera peut-être un jour. Je suis sûr qu'en 1914, les soldats ne pouvaient imaginer être équipés avec les équipements d'aujourd'hui : gilets par balle, protection balistique, casque, optique...

Propos recueillis par Thomas Sila

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