Relents d’antisémitisme : cette nouvelle tempête politique qui ébranle la tête du parti travailliste britannique<!-- --> | Atlantico.fr
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Le parti travailliste britannique a suspendu ce dimanche sa députée Diane Abbott.
Le parti travailliste britannique a suspendu ce dimanche sa députée Diane Abbott.
©ISABEL INFANTES / AFP

Labour

Le Parti travailliste britannique a suspendu sa députée Diane Abbott en raison d’une lettre qu’elle a écrite sur le racisme. Dans ce texte publié par le journal The Observer, Diane Abbott suggère que les Juifs, les Irlandais, les gens du voyage sont "sans aucun doute victimes de préjugés" mais "ne sont pas soumis toute leur vie au racisme", contrairement aux personnes noires.

simone rodan

Simone Rodan-Benzaquen

Simone Rodan-Benzaquen est Directrice Générale d'AJC Europe.

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Atlantico : Diane Abbott, dirigeante des travaillistes au Royaume-Uni, s'est vu retirer le poste de "whip", après des propos antisémites. Que lui reproche-t-on exactement ?

Simone Rodan-Benzaquen : Dans une lettre à l’Observer, la députée travailliste de Hackney North et Stoke Newington a nié que "les Irlandais, les Juifs et les gens du voyage" pourraient "souffrir de racisme". Seuls les Noirs, a-t-elle suggéré, peuvent en être victimes.

Les Blancs peuvent peut-être faire face à une forme de préjugé, comme celui qui est dirigé contre certains "roux" a-t-elle écrit.

Plus loin, elle cite "l'Amérique d'avant les droits civiques" comme exemple de racisme, mais s'en sert ensuite, de manière grotesque, pour nier l'antisémitisme et d’autres formes de racisme : "Les Irlandais, les Juifs et les gens du voyage n'étaient pas obligés de s'asseoir à l'arrière du bus".

Pourtant en Europe, les Juifs voyageaient aussi….Enfin, pas tant dans des bus que dans des trains et wagons à bestiaux. Excusez-moi du sarcasme macabre, mais ses paroles sont bien évidemment abjectes et d’un antisémitisme  et révisionnisme crasses.

Après le tollé qui s'en est suivi, Mme Abbott a publié une déclaration insistant sur le fait que la lettre ne reflétait en aucun cas ses véritables sentiments, mais qu'un "brouillon initial" avait été envoyé par erreur au journal. L'idée qu’elle aurait pu écrire un brouillon qui dit le contraire de ce prétend vouloir dire, semble pour le moins, étrange.

La réalité est que Diane Abbott est depuis longtemps une figure de proue d'une partie de la gauche qui minimise ou, dans certains cas, promeut activement l'antisémitisme. En tant que "shadow" ministre de l'Intérieur sous Jeremy Corbyn, elle a été une ardente défenseure d'un projet politique hostile envers les Juifs. Non seulement elle n'a pas cherché à y mettre fin, mais elle a également été l'une des plus ferventes à nier que l'antisémitisme était un problème au sein du parti travailliste.

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Dans quelle mesure ces propos de Diane Abbott font-ils écho à d’autres affaires impliquant le parti travailliste britannique et ses liens troubles avec l’antisémitisme ?

Ce n’est effectivement pas la première fois que des cadres du parti travailliste tiennent des propos pour le moins dérangeants. Ce fut notamment le cas de l’ancien maire de Londres, Ken Livingstone, qui avait affirmé que « Hitler était sioniste »  pour ensuite insister sur le fait que les Juifs brandissent toujours l’accusation d’antisémitisme pour faire taire les détracteurs d’Israël. C’est d’ailleurs ce que l’universitaire David Hirsch a ensuite théorisé sous le nom de “formule de Livingstone”, l’idée selon laquelle, plutôt que de procéder à une remise en question face à l’antisemitsme, cette gauche préfère toujours répondre par le « circulez, il n’y a rien à voir » ou la dénonciation d’une « instrumentalisation ». 

Mais au delà des nombreux affaires au sein du parti, ce qui a été longtemps véritablement en question était la position de Jeremy Corbyn et sa gestion de l’antisémitisme au sein du parti.  Celui-ci   a fini par être tellement gangréné par l’antisémitisme, qu’une dizaine de députés et nombreux militants juifs ont préféré le quitter. Tout cela a résulté en  un rapport accablant de la Commission pour l’égalité et les droits de l’homme contre Corbyn et sa gestion de la question de l’antisémitisme.

Comment expliquer cet antisémitisme d’une partie de la gauche britannique ?

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Cette gauche, que certains en Angleterre ont appelé « la gauche régressive » est une gauche qui se veut  anti-impérialiste, et qui n’est plus une gauche de raison, mais de posture.  L’antisionisme est central dans cette posture.  Israël y est assimilé à une puissance d’oppression dont  il faudrait se libérer. Cette vision, qui n’est pas nouvelle - on se souvient que c’est la même rhétorique utilisée dans les années 2000 au moment de la conférence de Durban par ces mêmes  militants “anti-impérialistes et « anti-racistes » est en réalité  un recyclage de stéréotypes antisémites que l’on retrouvait déjà chez les Soviétiques, avec « Les Protocoles des Sages de Sion ».  Cela  explique d’ailleurs aussi la réticence dont le parti afait preuve pour adopter la définition de l’antisémitisme de l’Alliance pour la Mémoire de l’Holocauste (IHRA) qui proposait dans ses exemples de qualifier d’antisémite le fait d’imputer à l’ensemble du peuple juif la responsabilité des actions menées par le gouvernement israélien par exemple.

Il y a encore quelques mois, l’ancien leader travailliste, accusé de laxisme face à l'antisémitisme, Jeremy Corbyn s’affichait aux côtés de Danielle Simonnet et Danièle Obono de LFI pour les soutenir pour les législatives. Dans quelle mesure y-a-t-il également dans une partie de la gauche française, une complaisance à l’égard de l’antisémitisme ?

Si le Rassemblement national avait convié David Duke (suprémaciste blanc et ancien chef d’une branche du Ku Klux Klan), ou même Steve Bannon, tout le monde aurait été, à juste titre, vent debout.

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Interpellés, les responsables LFI ne font jamais aucune introspection mais rejettent d’emblée l'idée qu'il puisse y avoir un problème. Danielle  a répondu par la « formule Livingston » , expliquant qu’on l’empêchait de critiquer Israël. 

La réalité est que la gauche britannique type Corbyn est assez proche d’un certain courant au sein de l’extrême gauche française. Jean-Luc Mélenchon lui-même ne voit pas le problème qu’il y a à reprendre une rhétorique qui fait la part belle aux stéréotypes antisémites les plus éculés. Quand il parle de «génuflexion devant les ukases arrogants des communautaristes du CRIF », cela renvoie bien sûr à l’imaginaire du pouvoir des juifs arrogants  donnant des ordres.  Ce passif de Mélenchon est un point important à avoir en tête : si la venue de Corbyn – et la question du rapport de la France Insoumise à Corbyn – a suscité tant de réactions, c’est qu’elle s’inscrit justement à l’intérieur d’un problème plus vaste qui concerne la France Insoumise, dont la promptitude à soutenir Corbyn n'était qu’un élément. Elle participe de la même vision du monde anti-impérialiste, complaisante à l’égard de l’islamisme et dans laquelle Israël semble toujours incarner le mal absolu.

Ce phénomène  se traduit  par ailleurs aussi dans les études d’opinion. Dans la radiographie de l’antisémitisme que nous avons menée avec la Fondapol, nous avons observé des 2014, que les proches du Front de gauche se situaient au même niveau en matière de stéréotypes antisémites que ceux du Front national. En 2022, 29% des sympathisants LFI étaient d’accord avec l’affirmation que « les juifs ont trop de pouvoir dans les domaines des médias », contre 27% chez les sympathisants RN et 24% en moyenne globale. 34% d’entre eux sont d’accord avec l’idée que « les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance », contre 33% au RN et 26% en moyenne. 47% des sympathisants LFI estiment également que « les juifs utilisent aujourd’hui dans leur propre intérêt leur statut de victime du génocide nazi pendant la Seconde Guerre mondiale », contre 39% chez les sympathisants RN et 30% en moyenne.

Pourtant cette gauche là se veut toujours être le parangon de la lutte contre le racisme et de la supériorité morale que peut conférer la défense des plus faibles.  Il serait pourtant si important de faire un vrai travail d’introspection, comme tente de le faire EELV (on verra si cela sera productif et fructueux). Car tant  qu’elle continuera à se voiler la face et à utiliser l'antisémitisme de l'extrême droite comme une diversion pour esquiver son propre examen de conscience, son combat contre l'antisémitisme sera entaché, inachevé et hypocrite.

Plus largement, à quel point l’histoire des gauches européennes, passée et présente, entretien-t-elle des liens troubles avec l’antisémitisme ? Comment l’expliquer ?

Historiquement, les gauches modérés européennes entretenaient un lien fort avec Israël, lui-même fondé par un parti de gauche. Mais une certaine gauche ne voyait pas les choses ainsi à partir de la fin des années 60. Son cadre de référence était la lutte anticoloniale - au Vietnam, en Afrique du Sud et dans bien d'autres endroits. Son icône sacrée n'était pas le soldat des Brigades internationales qui avait combattu Franco en Espagne, mais Che Guevara. L'anticolonialisme a également influencé une myriade de causes, des Black Panthers américains dans les années 1960 à la révolution bolivarienne d'Hugo Chávez..

Depuis les années deux mille, la gauche radicale n’arrive plus à endiguer un antisémitisme militant dont l’antisionisme virulent est souvent le faux nez.

La conviction que les États-Unis et Israël sont donc aujourd’hui les principaux oppresseurs du monde, perçus comme des extensions de l'impérialisme occidental, a conduit à une évolution majeure de la gauche qui, autrefois, se revendiquait du marxisme-léninisme et de l'anti-impérialisme. Aujourd'hui, cette gauche là avance sous le drapeau du décolonialisme, de l'antisionisme radical et d'un "pseudo-antiracisme islamophile", selon les termes de Pierre-André Taguieff.

Cette même gauche considère les Juifs comme l'incarnation de l'establishment, blanc et privilégié, parfaitement aligné avec les nouvelles théories "Woke". Ils ne peuvent soudainement plus être des victimes et deviennentdes oppresseurs. La lettre de Diane Abbott s'inscrit par ailleurs parfaitement dans ce sens.

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