Réduire la dépense publique sans affaiblir l’Etat ni tuer la croissance, c’est possible et voilà comment<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et son exécutif espèrent dégager 10 milliards d’euros de coupe budgétaire.
Emmanuel Macron et son exécutif espèrent dégager 10 milliards d’euros de coupe budgétaire.
©Ludovic MARIN / POOL / AFP

Faire des économies

Emmanuel Macron et son exécutif espèrent dégager 10 milliards d’euros de coupe budgétaire, en s’attaquant notamment à la justice, l'écologie, le développement et les mobilités durables, l’aide au développement ou la cohésion territoriale.

Nicolas Marques

Nicolas Marques

est directeur de l'Institut économique Molinari

Docteur en économie (Université d’Aix-Marseille) et diplômé en gestion (EM Lyon), il a débuté sa carrière en enseignant l’économie, avant d’exercer des responsabilités marketing et commerciales dans de grands groupes de gestion d’actifs français.

Chercheur associé depuis la création de l’IEM, en 2003, il est devenu Directeur général de l’institut en 2019. Il est l’auteur de plusieurs travaux sur les enjeux fiscaux, les finances publiques, la protection sociale ou la contribution des entreprises et membre de la Société du Mont Pèlerin.

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Marc de Basquiat

Marc de Basquiat est consultant, formateur, essayiste et conférencier. Fondateur de StepLine, conseil en politiques publiques, il est chercheur associé du laboratoire ERUDITE. Il préside l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence (AIRE) et intervient comme expert GenerationLibre. Il est diplômé de SUPELEC, d'ESCP Europe et docteur en économie de l'université d'Aix-Marseille. 

Son dernier ouvrage : L'ingénieur du revenu universel, éditions de L'Observatoire.

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Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Quel sera l’effet de telles coupes sur notre économie ? N’est-on pas en train d’affaiblir sciemment la puissance de l’Etat ?

Nicolas Marques : Le gouvernement est dans l’affichage. Il a fait voter un budget prévoyant 685 milliards d’euros de dépenses pour 2024, financées par 538 milliards de recettes et 147 milliards de déficit. Quelques semaines plus tard, il réalise que la conjoncture est moins bonne que ce qu’il pensait et organise 10 milliards de gel de dépenses. Cela représente à peine 1,5 % des dépenses, soit une anecdote. Sa démarche est, il faut bien le dire, particulièrement brouillonne. Le gouvernement vient de faire adopter un budget, il devrait s’y tenir sauf aléa majeur. Naturellement, il est nécessaire et possible de faire des économies, mais ce n’est pas en votant des budgets structurellement déséquilibrés puis en rabotant à la marge quelques lignes de dépenses qu’il rétablira la situation. Pour 2024, le budget prévoit que l’Etat dépensera 27 % de plus que ce qu’il va encaisser. Il devrait épuiser ses ressources de l’année le 14 octobre et vivre ensuite 78 jours à crédit. Réduire – à la marge – les dérapages n’est pas une démarche à la hauteur des enjeux. En refusant de de se doter des moyens permettant de remettre en ordre structurellement les finances publiques et en cherchant des « petites économies » à court terme, l’Etat ne rend service à personne. Décider de geler 10 milliards d’autorisations de dépenses votées, sans revoir le périmètre d’intervention de l’Etat et surtout son organisation, c’est prendre le risque d’arriver à un résultat contre-productif. Bien sûr, le budget de l’Etat sera moins déficitaire que prévu à la fin de l’année, mais l’approche strictement comptable constitue la pire des façons de faire des économies. Pour réaliser des économies durables, il est nécessaire de redéfinir les priorités de l’Etat et surtout sa gouvernance financière. 

Marc de Basquiat : Alors que la France fête cette année – sans joie – le cinquantième anniversaire du dernier budget en équilibre, il est plus que temps de retrouver le chemin de la raison. Ne parlons pas de rigueur, mais seulement de saine gestion. Les économistes keynésiens (de gauche) nous ont habitué à considérer la dépense publique comme investissement dans un cycle vertueux de consommation-production. En économie ouverte, et alors que le déficit commercial français dépasse largement les 100 milliards d’euros, c’est folie que de continuer à financer ainsi par l’impôt et la dette la consommation de produits venus de Chine. L’objectif gouvernemental de dégager 10 milliards d’économies recherchées est indiscutable.

Evidemment, cela ne fait plaisir à personne car toute économie budgétaire risque de fragiliser la structure qui y est contrainte. Alors que le gouvernement doit peser des arbitrages ardus, il est impossible de construire un semblant de consensus, car chaque citoyen ressent différemment la pertinence de ces choix. Dans cette circonstance, il nous est demandé un effort collectif : respecter la responsabilité que tente d’exercer ce gouvernement.

C’est le moment de se rappeler cette parole de Saint Exupéry : « Être homme, c’est précisément être responsable ».

Alexandre Delaigue : Il y a effectivement un affaiblissement de la puissance de l’Etat, mais celui-ci ne résulte pas d’une volonté affirmée ou affichée comme telle. Ce que l’on constate, néanmoins, c’est que les choix évoqués concernent des secteurs nécessitant une certaine dose de stabilité, notamment dans les programmes budgétaires. C’est particulièrement vrai pour la défense, également concernée par les coupes budgétaires. La situation est d’autant plus surprenante que l’on a préalablement annoncé, à grands renforts de déclaratifs concernant une supposée “économie de guerre”, que les choses allaient changer. Des annonces, concernant le budget de la défense et sa prochaine augmentation, ont eu lieu. Désormais, cela ne tient plus. Forcément, cette situation impacte les industriels, qui doivent construire et donc maintenir leur outil de production pour pouvoir satisfaire la demande. C’est une perspective de long terme que l’on vient de saper de ce côté. Comprenons-nous bien : il n’est pas ici question de montants mais de stabilité. L’effet d’annonce, à cet égard, est assez catastrophique. C’est vrai aussi du côté du ministère de l’Education et de la recherche, où l’on a besoin de voir long. 

Force est de constater également, par ailleurs, que ce sont souvent dans les ministères où les budgets sont serrés depuis longtemps que l’on opère le plus de coupes budgétaires. Si l’on prend le cas de l’école, on érige de nouvelles priorités, que l’on accompagne ensuite de coupes budgétaires qui vont à l’encontre de l’objectif long terme. C’est pourquoi il apparaît assez clairement qu’il s’agit d’annonces visant à répondre à une espèce d’urgence mais qui peuvent s’avérer peu efficace, sinon négatives, sur le plan macroéconomique et sur le long terme. Il ne s’agit pas de juger de la pertinence du choix ici réalisé mais bien de comprendre que, méthodologiquement, ce manque de stabilité dans la décision est problématique.

Ces premiers points posés, il faut rappeler le contexte macro-économique dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui. La France fait face à un fort ralentissement de son activité et la politique de la Banque centrale européenne a été restrictive. Un nombre conséquent de nos partenaires, dont la Grande-Bretagne pour ne citer qu’elle, sont confrontés à une récession. On peut donc légitimement penser que ce n’est pas nécessairement le moment de procéder à de pareilles coupes budgétaires, qui pourraient potentiellement avoir un impact plus tard. Naturellement, il ne suffit pas de rogner légèrement les effectifs de l’Education nationale pour changer dramatiquement les perspectives de croissance en France, mais la désorganisation dont font preuve nos ministères est préjudiciable à la relance économique.

Dans quelle mesure est-il possible, à court terme, de réduire la dépense publique française sans pour autant affaiblir l’Etat et ses secteurs clefs ? Comment préserver, également, la croissance française ?

Marc de Basquiat : Après trois années de « quoi qu’il en coûte », un sevrage est inévitable. Apprécier quelles missions restreindre, décaler ou supprimer laisse la place à un arbitraire dont le gouvernement porte la responsabilité légitime. On a cependant noté une prudence dans les propos du ministre de l’Economie et des Finances le 18 février, une insistance sur le fait que ce plan se ferait sans incidence sur les ménages, sans toucher à la Sécurité sociale ni aux collectivités locales, sans aucune hausse d’impôt ni de taxe. On entend presque : l’Etat va économiser 10 milliards sans que cela n’ait aucune incidence sur la population.

C’est évidemment impossible. Lorsque le gouvernement diminue d’un milliard le budget de MaPrimeRénov’ les ménages concernés vont soit accepter de payer plus cher, soit renoncer à leur projet, ce qui diminuera le chiffre d’affaires des entreprises prestataires dans ce secteur. De même les changements de règles sur le compte personnel de formation vont probablement induire une baisse de la demande de formation, ce qui impactera les revenus des prestataires du secteur. Ainsi la diminution des interventions de l’Etat aura probablement pour conséquence d’obliger certaines entreprises à se réorienter vers une clientèle privée, plutôt que de dépendre de la commande publique. Est-ce un drame ?

Sur le fond, nous payons par l’inflation et le dérèglement du marché du logement les excès d’intervention de l’Etat. A un moment, il faudra accepter de laisser le marché s’ajuster vers des équilibres macro- et micro-économiques qui ne soient plus perturbés par cet interventionnisme massif et permanent. Si ceci passe par une diminution de la consommation de produits importés, est-ce si grave ?

Parmi les critères qui guident les choix du gouvernement, affirmons comme Patrick Martin, le président du Medef, la priorité donnée à la bonne marche des entreprises. La concurrence des européens avec les Etats-Unis et la Chine est sévère. Pour faire court, il est acceptable de freiner la consommation (souvent importée) mais pas la production et encore moins l’investissement. 

Alexandre Delaigue : Il est effectivement possible, sur le court terme, de réduire la dépense publique française mais l’équation est complexe si l’on souhaite préserver la puissance de l’Etat ou la croissance. Les ajustements possibles ne sont pas très nombreux. Force est de constater, cependant, que nous avons revalorisé les retraites sur la base de l’inflation en début d’année et que cela génère un coût d’environ quinze milliards d’euros pour les finances publiques. Certains équilibrages, c’est un fait, sont coûteux et il aurait été possible de diminuer pour partie cette charge en procédant à une indexation progressive, par exemple. Les individus employés par Bercy sont, la plupart du temps, plutôt efficaces pour trouver de telles solutions. Ce n’est pas nécessairement la panacée, mais cela a le mérite d’exister. Du reste, n’oublions qu’en France, la dépense publique c’est avant tout et majoritairement la dépense sociale. Que l’on soit favorable ou non à la réduction de celle-ci, il est important de ne pas procéder en catimini ainsi que cela a pu être fait. Dans tous les cas, il faut rappeler qu’il existe, de fait, un certain nombre de marges d’ajustements. Le problème, ici, est la volonté politique.

Nous ne cherchons pas à faire ce qui s’avèrerait le moins pénalisant pour notre économie mais bien ce qui s’avère être le moins pénalisant politiquement parlant. La démarche n’a alors rien à voir.  Les choix faits relèvent d’arbitrages politiques dont la priorité ne consiste objectivement pas à assurer le bon fonctionnement de notre économie ou l’assainissement de nos finances publiques. Si ce sont toujours les mêmes ministères qui sont frappés, c’est bien parce qu’il s’agit de ceux qui disposent d’un pouvoir de nuisance assez faible ; à la différence, par exemple, de celui dont jouissent les agriculteurs. Il n’y a pas craindre, en tant que gouvernant, de fronde. Ce choix engagé par l’exécutif est guidé par la seule volonté d’éviter les nuisances et il faut évidemment en sortir.

On pourrait aussi penser à la réduction du nombre de fonctionnaires, une piste qui est souvent évoquée. Seulement, il faut bien réaliser où se trouvent l'essentiel des effectifs : au sein de l’Education nationale et à la Défense. C’est là que l’on trouve le plus de postes qu’il est théoriquement possible de supprimer ou de ne pas renouveler. Malheureusement, il s’agit de deux domaines dans lesquels la France est confrontée à des problèmes conséquents. En revanche, si l’on s’éloigne de la seule question de l’Etat, on peut aussi aborder celle du millefeuille administratif, qui concerne en premier lieu les communes, les départements, les régions et les métropoles de la nation. A chaque fois, cela génère une administration qui recrute un grand nombre de personnels, chargés de traiter les mêmes dossiers. Là encore, rappelons-le, il s’agit d’un choix politique qui a été fait dans les années 1990-2000 pour assurer la paix sociale en créant un grand nombre d’emplois publics. Hélas, la situation semble s’être enracinée aujourd’hui et je ne suis pas sûr qu’il soit aisé de démanteler pareille millefeuille.

Nicolas Marques : Vu le caractère défaillant de la gouvernance financière de l’Etat, la réduction des embauches de fonctionnaires constitue une des rares variables d’ajustement susceptible de générer des économies d’un point de vue comptable. Ce n’est guère étonnant, car l’Etat n’a pas su construire ou faire émerger en son sein des gouvernances respectueuses des enjeux financiers. Or, ces gouvernances sont indispensables pour remettre en ordre les finances publiques et restaurer le rapport qualité/prix des services publics.

Au regard de la façon dont l’Etat est organisé, mais l’on devrait dire désorganisé, rationner les lignes budgétaires et les embauches est un des rares leviers qui existe. Seulement, la réduction des embauches n’est pas un gage de bonne gestion. Elle peut engendrer des problèmes significatifs dans les secteurs sous tension ayant besoin de monter en puissance. Dans le domaine de la justice, par exemple, il faut s’attendre à des encombrements et à des durées de procédures qui augmentent. Dans le domaine de la santé, prétendre faire des économies en réduisant la prise en charge des affections de longue durée par l’Assurance maladie est un non-sens. La dépense sera reportée sur les complémentaires du privé, sans qu’elles aient à ce stade les leviers pour améliorer le service rendu aux malades. De même, revenir sur la politique de baisse de charges, présentée à tort comme des « aides aux entreprises », affaiblira encore plus la croissance, ce qui pénalisera l’emploi et les finances publiques.

Peut-on parler de problème managérial au sommet de l’Etat ? Sait-on seulement comment manager pour réduire la dépense publique ? 

Nicolas Marques : Il y un problème de gouvernance de l’Etat, qui s’avère incapable de faire sa mue et de remettre en ordre les finances publiques, structurellement déficitaires depuis 40 ans. La priorité du ministère des Finances ne devrait pas être de chercher quelques milliards d’économies, mais de faire en sorte qu’émerge des gouvernances à la hauteur des enjeux.

De bonnes gouvernances sont un prérequis si l’on veut optimiser le rapport qualité/prix des dépenses publiques et mettre un terme aux dérapages financiers. Les retraites du privé en fournissent un bon exemple. L’Etat – qui n’a pas fait le nécessaire pour éviter que les retraites de ses personnels soient un gouffre financier – a été tout aussi imprévoyant s’agissant du régime général du privé qu’il contrôle. La CNAV et le fonds de solidarité vieillesse sont déficitaires les deux tiers du temps depuis des décennies. L’Etat ne les a ni dotés d’une gouvernance les obligeant à rechercher l’équilibre financier, ni des outils permettant de l’atteindre. Une erreur que n’ont pas fait les partenaires sociaux du secteur privé. Depuis 1947, ils cogèrent l’Agirc-Arrco qui distribue des pensions sans jamais générer d’endettement. Les syndicats de salariés et associations patronales ont su mettre en place une vraie gouvernance financière, chose que l’Etat n’a pas réussi à faire. Et ironie de l’histoire l’Etat, au lieu de les imiter, leur met des bâtons dans les roues.

Pour s’en sortir, l’Etat a besoin d’apprendre à traiter les enjeux aux bons niveaux. Certains sujets doivent être traités au niveau central, d’autres de façon déconcentrée ou décentralisée en faisant confiance aux acteurs de terrain.

Les retraites des fonctionnaires sont l’exemple du sujet qui devrait être traité de façon centralisée. L’Etat – contrairement à certaines administrations responsables comme le Sénat ou la Banque de France – a refusé jusqu’à présent de provisionner les promesses de retraites qu’il fait. Or, s’il capitalisait comme le Sénat, l’Etat aurait économisé 29 milliards d’euros par an et aurait réduit son déficit de 30 % en moyenne sur les 15 dernières années. S’il était aussi prévoyant que la Banque de France, avec un provisionnement intégral des retraites des fonctionnaires, il économiserait encore plus, entre 50 et 60 milliards par an. L’Etat, qui contrôle le Fonds de réserve pour les retraites, dispose de tous les outils nécessaires. Il faut qu’il assume ses responsabilité et l’utilise pour provisionner les retraites des fonctionnaires. Le potentiel d’économies est sans rapport avec les 10 milliards de gels de crédits annoncés.

Pour faire des écolonomies, il faudra aussi accepter de sortir du micro-management. Force est de constater que l’Etat a tendance à désinvestir les managers de terrains, à ne pas leur donner les moyens de découvrir les gisements de gains de productivité. C’est quelque chose que l’on observe dans l’ensemble des domaines. La question de l’autonomie des universités est abordée depuis des décennies déjà. Si les universités avaient davantage le contrôle sur leurs moyens, leurs recrutements et la façon de motiver leurs personnels, elles afficheraient des résultats tout aussi bons que leurs homologues étrangères. L’analyse vaut aussi pour les hôpitaux publics, dont les dirigeants sont prisonniers d’une multitude d’injonctions paradoxales. Ils sont censés faire des économies mais n’ont en main que des leviers comptables, les postes et investissement étant la seule variable d’ajustement. Bilan les personnels se découragent, le rapport qualité/prix des prestations se dégrade et les plans d’urgence se multiplient. La méthode descendante, que l’on aime tant en France, ne fonctionne pas. Au lieu de décréter les économies de façon descendantes, au risque de faire plus de mal que de bien, la mission de l’administration centrale devrait être de donner les moyens aux managers de terrain d’identifier et d’exploiter les gisements d’économies. Les entreprises l’ont bien compris, lorsqu’on veut faire des économies dans un service, la meilleure façon d’arriver au résultat est souvent celle qui consiste à donner les clefs du camion aux équipes concernées, en créant la structure d’incitation permettant d’atteindre le résultat recherché.

Enfin, il faut que l’Etat se dote de bons outils de pilotage. Là encore, l’Etat a été défaillant. Les projets de loi de finances sont toujours votés par les assemblées selon une logique annuelle de comptabilité de caisse, alors que cette méthode est inadaptée. Une vraie comptabilité en droits constatés intégrant une vision patrimoniale à long terme est indispensable si l’on veut penser et réaliser des économies durables. Elle existe depuis les années 2000, mais elle est produite après coup, ce qui est une anomalie.

Alexandre Delaigue : La question du management public est un vrai problème de notre Etat, qui se répercute à de nombreux niveaux. Force est de constater qu’il existe, en France, un certain nombre de domaines dans lesquels nous faisons preuve d’une réelle efficacité. C’est le cas, entre autres, du domaine du recouvrement de l’impôt pour lequel nous avons prouvé notre efficacité. Mais il est aussi de nombreux ministères qui ne sont pas bien gérés. Certains d’entre eux affichent un turn over extrêmement important, ce qui ne saurait être efficient. D’autant que le management public, en France, est connu pour sa tendance à l’autoritarisme et sa grande difficulté à planifier sur le long terme. L’Etat, il faut bien le reconnaître, n’est pas un employeur en mesure de dégager de grands gains de productivité de la part de ses agents et cela résulte très largement de ce fonctionnement managérial que nous avons décrit, reposant sur le conflit plutôt que sur la confiance.

La gestion publique est donc très peu efficace et l’Etat insiste pour en faire le plus possible, partout. La France, rappelons-le, est championne dans tous les domaines de dépense. Nous sommes le pays le plus dispendieux d’Europe sur la question des retraites en proportion du PIB, de même que pour la culture, la défense… ce qui n’est pas sans traduire une réelle absence de choix économique. Il n’est pas possible de tout faire, d’être les meilleurs en tout, ce que l’Etat peine à comprendre et c’est pour cela qu’il ne se fixe pas des priorités. Au risque d’en arriver à une situation qui n’est pas viable.

Marc de Basquiat : Il faut reconnaître les bons bilans d’élus qui ont su assainir des situations financières difficiles. Par exemple Valérie Pécresse a fortement réorienté l’effort financier de la région Ile-de-France depuis 2015 : nombre de dépenses approximatives ont été remplacées par des investissements améliorant réellement le cadre de vie des habitants. En 2007, Nicolas Sarkozy a annoncé la règle du « non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite », qui a permis la seule diminution du poids de la fonction publique depuis 50 ans. Ce sont malheureusement des exceptions, le dernier livre de Franz-Olivier Giesbert, Tragédie Française, décrivant une longue succession de promesses non tenues.

Dans un certain sens, il est plus simple de gérer une entreprise qu’un service public : il « suffit » de vendre plus qu’on achète, la valeur ajoutée permettant de rémunérer les salariés et actionnaires ainsi qu’investir pour préparer les succès des années suivantes. Les contrôleurs de gestion sont équipés pour mettre en évidence les dépenses peu efficaces qui pèsent sur le résultat financier et appellent une correction rapide. C’est très différent pour les services publics, financés par l’impôt et généralement en position de monopole, qui ne disposent pas de mesure évidente de leur niveau d’efficacité. Alors qu’une entreprise durablement peu performante disparaît naturellement, un service public déficient absorbe toujours plus de financement.

C’est pourquoi la méthode de loin la plus efficace pour réduire la dépense publique consiste à en réduire le périmètre. En d’autres termes : privatiser toutes les missions qui n’ont pas de raison impérative d’être : [1] financées par l’impôt (parce que leur production n’a pas de valeur marchande ou que la démocratie décide que tous les citoyens doivent en bénéficier à égalité) ; [2] gérées par des responsables politiques élus par les citoyens.

On comprend que les militaires et policiers, les juges et agents des impôts soient sous l’autorité des ministres désignés par des instances sous le contrôle des citoyens ? Mais y a-t-il nécessité à ce qu’un million d’enseignants soient gérés par un ministre élu ? Les écoles privées sont-elles moins performantes que les écoles publiques ? Les cliniques que les hôpitaux publics ? Les transporteurs privés que les opérateurs publics ? Cette question mériterait d’être posée dans de nombreux secteurs aujourd’hui dominés par des opérateurs publics.

Quid des gaspillages, mainte fois identifiés et jamais adressés ?

Alexandre Delaigue : C’est une question importante, en effet, qui n’est pas sans rappeler celle des niches fiscales. Si ces gaspillages n’ont pas été adressés, c’est bien souvent parce que la niche cache un gros chien qui mord. Ces gaspillages ont des bénéficiaires qui jouissent également d’une capacité de nuisance forte et parviennent donc à assurer la pérennité de leur avantage. Il est évident que, dès lors que l’on entend réduire la dépense publique sans affaiblir l’Etat, s’attaquer à ces niches apparaît tentant. Mais généralement, c’est un combat complexe, dans lequel les personnes de pouvoir jouent un rôle de courroie de transmission des politiques publiques alimentant directement ces niches. Pour un nombre conséquent de ces acteurs, il ne s’agit pas de gaspillage à proprement parler, mais bien d’un atout indispensable.

Marc de Basquiat : Chacun le ressent, une dépense publique atteignant 58% du PIB est l’indice d’une gestion désastreuse. La comparaison avec la moyenne de la zone Euro qu’affiche ci-dessous la Cour des comptes est affligeante.

On peut identifier une profusion d’exemples de dépenses hors de proportion et à la performance douteuse. Trois exemples.

1 – Certains analystes ont pointé depuis longtemps la valeur ajoutée douteuse de nombreuses agences de l’Etat. Sans en citer aucune, on peut évoquer des structures publiant régulièrement de longs rapports généreusement imprimés dont la conclusion prudente invite systématiquement à lancer des études complémentaires. On se demande vraiment à quoi ça sert, à part faire avancer la carrière des auteurs de ces pensums.

2 – La complication extrême de nos institutions, les responsabilités diluées, les dispositifs fiscaux et sociaux incompréhensibles par les citoyens… tout ceci coûte cher. Une rationalisation courageuse de ces édifices progressivement raffinés et complexifiés depuis la dernière guerre mondiale est indispensable pour y voir clair. Personne ne sait optimiser l’incompréhensible. Ce gisement d’économie est peut-être le plus important, avec pour bénéfice complémentaire de rétablir la confiance des citoyens.

3 – Le premier ministre Gabriel Attal a annoncé l’extinction progressive de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) créée en 1984. Les économistes sérieux pointent depuis des décennies l’anomalie que constitue ce dispositif généreux, qui pèse sur les comptes d’une assurance chômage qui n’a pas vocation à servir des prestations de solidarité. L’ASS enferme beaucoup d’allocataires dans une activité réduite jusqu’à la retraite. Ajoutons que les bénéficiaires n’ont pas intérêt à se déclarer en couple, au risque de perdre cet avantage fragile. Cela fait quarante ans que ce dispositif exceptionnellement coûteux et incohérent aurait dû être supprimé, mais divers lobbys irresponsables le maintiennent en vie.

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