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Recherches à but non lucratif : peuvent-elles vraiment révolutionner le monde pharmaceutique ?
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L'or durcit les coeurs

Sera diffusé ce soir sur France 5 un reportage sur les recherches médicales à but non lucratif. Une initiative surprenante dans un milieu souvent taxé d'être mercantiliste et qui s'avère parfois plus efficace que la recherche médicale "classique".

Gérard Lafont

Gérard Lafont

Gérard Lafont est réalisateur de films documentaires. Il a notamment réalisé "La Pharmacie des malades oubliés" (2013)

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Atlantico : Dans votre documentaire "La pharmacie des malades oubliés", vous vous penchez sur l'action de "recherche à but non lucratif" dans le monde médical. Pouvez-vous nous décrire le fonctionnement de ces laboratoires atypiques ?

Gérard Lafont : Depuis une petite dizaine d'années, et tout particulièrement depuis cinq ans, on voit se créer des organismes que l'on nomme en anglais "PDP" (Projet de Développement de Produits) et que l'on retrouve déjà dans plusieurs secteurs de l'économie. Dans le domaine de la santé, la plus célèbre de ces structures est DNDi (Drugs for Neglected Diseases initiative/ Médicaments pour les maladies négligées), un organisme basée en Suisse qui travaille sur plusieurs pathologies et dont le principe de fonctionnement vise à dissocier toutes les activités de Recherche et Développement  de la production de médicaments. L'industrie pharmaceutique utilise l'argument des coûts élevés de recherche pour justifier la cherté de leurs produits quand ils les placent sur le marché, mais aussi pour légitimer le fait qu'ils ne traitent que très peu ce que l'on appellent les "maladies négligées" dont les débouchés économiques sont faibles.

C'est ici qu'interviennent les PDP pour tenter de pallier à ce déficit médical. A l'image du DNDi, leurs fonctionnement est le plus souvent coopératif : le principe est de demander à des instituts publics de différents pays de mettre leurs scientifiques à contribution pour développer sur un mode collégial des médicaments qui n'intéressent pas l'industrie pharmaceutique classique. Une fois que des molécules efficaces ont été isolés, ces PDP se mettent en partenariat avec une entreprise pharmaceutique classique pour tester le médicament en phase ultime. Un accord est ensuite scellé pour que le médicament ne soit pas "copyrightés" et qu'un prix maximum soit décidé, le but étant de maximiser l'accessibilité au médicament en question. Autrement dit, il s'agit d'un modèle coopératif qui n'est pas contradictoire à l'économie de marché. Cette démarche est rendue possible par des grands acteurs tels que la fondation Gates qui injectent des sommes conséquentes dans ces PDP.

Leurs champs d'expertises s'étend aussi aux "patients" négligées, autrement dit ceux qui ne peuvent se permettre d'acquérir des médicaments déjà développés pour certaines maladies. Ainsi, le SIDA est une maladie qui a fait l'objet de très nombreuses recherches scientifiques, notamment parce que cette maladie était très présente dans le monde occidental. On peut néanmoins trouver désormais des traitements anti-rétroviraux dans plusieurs pays d'Afrique alors qu'une telle chose était pratiquement impensable il y a dix ans. Il s'agit d'un cas assez similaire pour la tuberculose, puisque l'on trouve assez peu de médicaments modernes depuis les années 1960, et l'on possède assez peu d'outils de diagnostic pour détecter la maladie.

Pensez vous que ce système de recherches puisse s'implanter durablement dans un secteur tourné par nature vers l'activité marchande ?

Cela peut, selon moi, montrer la voie à ceux qui détiennent le pouvoir économique, à savoir les dirigeants des grandes entreprises pharmaceutiques, ces derniers collaborant déjà à la production de ces médicaments. De plus ces médicaments, en dépit de leurs faibles prix, peuvent s'avérer rentables de par la création de nouveaux marchés dans des pays émergents. Ainsi en Afrique, de nombreux pays ont une croissance à deux chiffres, ce qui favorisera à terme la montée de classes moyennes au pouvoir d'achat renforcé.

Comment expliquer par ailleurs que des sociétés comme FIND (autre PDP) puissent produire des médicaments et outils médicaux bien plus efficaces et bien moins couteux que ceux produits par l'industrie classique ?

Dans le cas de FIND, ces derniers ont effectivement réussi à produire un robot baptisé Genexpert, dont le système entièrement automatisé est capable de gérer l'ensemble du déroulement des tests moléculaires concernant la tuberculose. L'histoire de la conception de ce robot est d'ailleurs intéressante puisqu'il a été originellement pensé pour détecter aux Etats-Unis la présence du bacille de charbon (Anthrax) dans les courriers au lendemain des attentats du 11/09. Les personnes officiant à FIND, qui travaillait déjà sur la tuberculose à l'époque, se sont rendu compte que cette machine pouvait tout aussi bien être utilisée pour détecter le bacille de Koch, agent qui provoque cette maladie. FIND a alors commandité les créateurs de Genexpert et a, au moyens de subventions, développé un projet analogue pour la détection de la tuberculose, et ce de manière bien plus efficace qu'auparavant.

Le professeur Jean-Hervé Bradol, ancien président de Médecin Sans Frontières, s'inquiétait de l'impact de la crise économique sur le financement de ces PDP. Un coup d'arrêt est-il à craindre ?

Je ne pense pas qu'il y ait un "coup d'arrêt" bien que les subventions d'Etat occupent effectivement une part assez importante dans le financement de ces structures. Il est vrai cependant que depuis 2008-2009 les Etats ont tendance à couper le robinet bien que les derniers contrats signés (2010) le sont pour cinq ans. Il y a donc une crainte de voir d'ici 2015 les financements se réduire petit à petit, bien qu'une bonne partie des PDP pallient déjà à cette faiblesse en diversifiant leurs sources de revenus autant que faire se peut.

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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