Récession : mais pourquoi la France fait-elle partie du trio des pays les plus impactés économiquement par le Covid ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Bruno Le Maire Olivier Véran crise économique
Bruno Le Maire Olivier Véran crise économique
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Ravages de la crise sanitaire et économique

Dans son dernier rapport, l’OCDE estimait que la France, l’Italie et l’Espagne étaient les pays les plus touchés par la crise avec une chute estimée de plus de 11 points du PIB pour l’année 2020. La Commission européenne a revu ses prévisions de croissance pour 2020 en raison de la deuxième vague de la pandémie et table sur un recul du PIB français.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën est professeur émérite d'économie à l'Université PSL-Dauphine. Il est spécialiste d’économie internationale et a publié de nombreux ouvrages et articles sur la mondialisation. Il est également l'auteur d'un récit romancé (en trois tomes) autour de l'économiste J.M. Keynes : "Mr Keynes et les extravagants". Site : www.jean-marcsiroen.dauphine.fr

 

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Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Atlantico.fr : Pourquoi la France fait-elle partie du trio des pays les plus impactés économiquement par le Covid ? Quelles sont les principales explications liées au contexte et à la structure économique ? Quelle est la part de responsabilité du gouvernement ? 

Jean-Yves Archer : Tout d'abord, il est important de souligner que le taux de croissance de la France se dégrade de mois en mois. Si l'on se réfère à l'OCDE en juin 2020, elle estimait la chute du PIB à – 11%. Or dans sa communication du 14 Septembre 2020 l'OCDE créditait la France d'une prévision de – 13,8% et d'évidence, cette estimation va être tirée vers le bas du fait du deuxième confinement que notre pays traverse actuellement.

Certains conjoncturistes tablent désormais sur -15% loin des convictions du ministre Le Maire qui a daigné faire un geste : passant ainsi de -10% à -11%.

Cette actualisation des chiffres montre, clairement, que notre pays est atteint par la crise sanitaire dans des proportions significatives. La revue des chiffres de la Commission européenne publiés en novembre doit être comprise comme l'analyse de Bruxelles début Octobre. Donc, là encore prudence.

Ce qui vient du contexte, c'est la simultanéité d'un choc d'offre dû à notre sino-dépendance et d'un choc de demande : consommation en repli lors du premier confinement.  Quand une économie est confrontée à une panne chez ses fournisseurs ( et on connait le poids hélas important des importations en France ) et chez ses " clients " domestiques, il devient évident que la situation se dégrade promptement.

On doit évidemment classer dans l'analyse structurelle cette forte propension à importer. Mais je souhaite souligner deux autres variables d'importance.

En premier lieu, la France connait un crédit inter-entreprises très important et singulier par rapport à nos partenaires et concurrents européens. Ce crédit fournisseur fait l'objet de l'attention vigoureuse des Pouvoirs publics et nourrit la mission de Pierre Pelouzet qui doit prévenir les risques de transmission de crises de trésorerie.

En effet, si votre client reste à vous devoir des sommes importantes, sa santé est liée par ricochet amont à la vôtre. A cet égard, le dernier trimestre 2020 et le premier semestre 2021, dont on sait qu'ils seront le siège de nombreuses faillites, seront périlleux pour l'impact du crédit inter-entreprise.

En second lieu, le rapport Gallois de 2012 avait insisté sur la notion de filière. Pour ne prendre qu'un exemple particulièrement vif, des milliers d'emplois sont menacés chez les sous-traitants du succès industriel qu'a été, avant la crise, le Groupe Airbus. Cet effet domino de la crise va alourdir l'addition sociale et aggraver la déchirure du tissu productif.

Le Gouvernement de Jean Castex semble avoir un manifeste problème avec la gestion du temps.

Chargé du déconfinement, dont on sait qu'il a été " raté " comme l'a dit le Professeur Éric Caumes, Jean Castex s'est écarté de sa feuille de route ( liens maires – préfets ) pour se caler dans une optique très et trop jacobine.

De Mai à Septembre, l'État n'a pas été vigilant et pas davantage prévoyant.

Les Français ne comprennent plus les injonctions contradictoires d'un pouvoir central qui n'a pas anticipé la deuxième vague, qui impose des mesures hasardeuses et erratiques ( le petit commerce et les librairies ) qui ne sont que des pertes de temps éloignées du champ du combat contre la Covid-19.

Pour finir sur un point-clef, on s'aperçoit que près de 40 Mds additionnels vont être engagés ce mois-ci tandis que le trop fameux Plan de relance évolue sur un tempo en net retrait de ce qu'il faudrait déployer.

Le président Macron, candidat potentiel de l'élection faîtière de 2022, pourra se satisfaire d'un Plan de relance étiré dans le temps tandis que le pays va souffrir, début 2021, de la relative inertie publique.

Un vrai plan de relance doit avoir des vertus contra-cycliques incontestables : pas un calendrier poreux et une portée alors limitée.

Philippe Crevel : La Commission de Bruxelles a publié ses nouvelles prévisions le 5 novembre dernier en intégrant les dernières mesures prises par les gouvernements européens. Pour l’Union européenne, la contraction du PIB pourrait atteindre 7,4 % en 2020 et 7,8 % pour la seule zone euro. En 2021, le rebond s’élèverait à 4,1 % pour l’ensemble de l’Union européenne et à 4,2 % pour les dix-neuf pays de la zone euro. Au début de l’été, la Commission avait l’espoir d’un rebond de 6 points de PIB. Selon la Commission, le PIB européen ne retrouvera son niveau de 2019 au mieux fin 2022 et non comme initialement prévu fin 2021. La prévision retenue par Bruxelles pour la France est une contraction de 9,4 % du PIB en 2020 et un rebond de 5,8 % en 2021.  Pour l’Allemagne, la baisse du PIB serait de 5,6 % en 2020 suivi d’un rebond l’année prochaine de 3,1 %. Le pays qui devrait subir le plus violent décrochage économique cette année est l'Espagne, avec un PIB en baisse de 12,4 %.

Fort logiquement, les pays européens à forte activité touristique, France, Espagne, Italie, sont les plus pénalisés par la crise sanitaire. La France avec plus de 80 millions de touristes internationaux a vu fondre comme neige au soleil cette ressource. Le tourisme représente près de 9 % du PIB français.  Aux dépenses de transports, d’hébergement, de loisirs ou de restauration, il faut ajouter celles liées aux achats (luxe, alimentaire, cadeaux, etc.). Il faut également prendre en compte les activités culturelles liées au tourisme, les salons, les congrès, etc. Si nous avions un doute sur l’importance de ce secteur pour la France, maintenant il est levé. C’est environ 3 millions d’actifs qui travaillent pour ce secteur. Paris est une ville qui aujourd’hui dépend du tourisme. Il n’est pas étonnant que ce soit la Corse où le tourisme représente plus de 30 % du PIB et l’Île de France qui soient les deux régions les plus touchées.

La France a connu une forte désindustrialisation depuis le début du siècle mais a su maintenir son rang au niveau de la construction aéronautique. La vente d’avions à l’étranger limite sans les compenser le déficit commercial du pays. La remise en cause des commandes est évidemment préjudiciable pour Airbus et l’ensemble de la filière. Au-delà de l’aviation, l’ensemble du secteur des transports est touché. Même si l’automobile a perdu en importance ces vingt dernières années, l’arrêt des ventes durant le confinement a été durement ressenti.

La France est, en outre, un pays de consommation. Les dépenses totales des ménages en biens et services s’élèvent à plus de 1500 milliards d’euros (source INSEE). Quand la consommation est aux abonnées absentes, le PIB chute. Ce fut le cas entre mars et mai avec un recul sans précédent. La consommation de biens au cœur du confinement s’est contractée de près de 40 %. La France ne peut guère compter comme l’Allemagne sur les exportations pour atténuer la fermeture des commerces. Le rebond du troisième trimestre n’a pas permis de compenser les pertes du deuxième. Le nouveau confinement devrait faire perdre deux à trois points de PIB supplémentaires à la France. Les ménages français traditionnellement inquiets épargnent une part importante de leurs revenus, de manière subie mais aussi par précaution.

Absence de touristes internationaux, secteurs industriels très exposés à la crise, panne de la consommation et confinements longs et relativement stricts expliquent la chute abyssale du PIB. Les tergiversations des pouvoirs publics en créant une psychose n’ont pas contribué à décrisper la situation. La France semble tétanisée face à la crise et aux défis qu’elle impose. Les débats sur la production de masques, sur la fermeture des commerces de détail occupent beaucoup les esprits en lieu et place de la mobilisation technologique, scientifique pour lutter contre l’épidémie et pour s’adapter à une nouvelle donne. La France risque de figurer parmi les grands perdants en se reposant sur les subsides publiques qui servent certes à limiter l’ampleur de la casse sociale mais qui ne garantissent en aucun cas des lendemains qui chantent. 

Jean-Marc Siroën : Le choc négatif a été plus important en France et en Italie qu’en Allemagne et dans la zone euro, mais plus modéré qu’en Espagne et au Royaume-Uni.

La crise économique est la conséquence des mesures sanitaires adoptées pour lutter contre la diffusion du virus et qui ont pu varier selon les pays en fonction de la gravité de la situation et de leur arbitrage entre la protection sanitaire des citoyens et le maintien de l’activité économique.

La France ayant été un des pays les plus touchés par le virus, les mesures de confinement adoptées en mars ont été plutôt plus sévères que dans d’autres pays européens ce qui a contribué à ralentir davantage l’activité économique.

Par ailleurs, le choc en France a été d’autant plus important que comparativement à d’autres pays comme l’Allemagne (a fortiori la Chine) la production est davantage orientée vers les services qui ont beaucoup plus souffert des contraintes sanitaires que l’industrie en général. On pense notamment au transport, notamment au transport aérien et au tourisme. Même nos fleurons industriels, comme la construction automobile ou aéronautique, ont été davantage heurtés par la crise que l’industrie dans son ensemble qui a plutôt bien résisté.

Par ailleurs la France étant moins exportatrice que l’Allemagne, elle n’a pu compenser la chute de sa demande intérieure par une demande étrangère restée relativement dynamique, notamment en Asie.

D’un point de vue macroéconomique, la politique du « quoiqu’il en coûte » a permis de limiter la perte de pouvoir d’achat sans pour autant stimuler la demande. Le confinement et les mesures sanitaires ont limité la possibilité même de consommer et gonflé une épargne « forcée » à laquelle s’est ajoutée une épargne de précaution liée aux incertitudes économiques. Par ailleurs on ne peut attendre des plans de relance qu’ils aient des effets immédiats d’autant plus que l’essentiel des sommes prévues n’a pas été encore engagé.

Il est toutefois trop tôt pour tirer des conclusions définitives. Les pays qui ont le plus chuté au premier semestre sont aussi ceux qui, à la grande surprise des économistes, ont connu la croissance la plus forte au troisième trimestre, 18 % pour la France contre 8 % pour l’Allemagne, ce qui permet aux deux pays de se situer aujourd’hui à peu près au même stade de rattrapage par rapport à la période pré-covid.

C’est donc moins le taux de croissance qui serait différent entre les pays que l’ampleur des fluctuations, plus élevées en France et en Italie que dans les autres pays européens.

On peut craindre toutefois que les mesures prises pour lutter contre la deuxième vague génèrent un nouveau cycle économique dépressif.

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