Pouvoir d’achat : l’INSEE dément le ressenti des Français. Et s’ils avaient pourtant (au moins) partiellement raison…?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Une personne prend des billets en euros dans un portefeuille.
Une personne prend des billets en euros dans un portefeuille.
©INA FASSBENDER / AFP

Statistiques fiables ?

Les biais cognitifs qui affectent notre perception de la réalité sont solidement documentés. Mais les statistiques économiques sont-elles vraiment toujours un instrument inattaquable ?

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

Voir la bio »

Atlantico : Une enquête Odoxa-Groupama réalisée pour France Bleu publiée ce jeudi révèle que les trois quarts des Français (75%) estiment que leur pouvoir d'achat diminue. Les enquêtes de l’OFCE et de l’INSEE indiquent plutôt une augmentation du pouvoir d’achat de 1% par an sous Macron.  Dans quelles mesures, ce ressenti est dû à des biais cognitifs et dans quelle proportion a-t-il des vrais fondements ?

Don Diego de la Vega : Première règle : ne jamais regarder ce que les gens disent, mais ce qu’ils font. Quand on interroge les Français, une grande majorité se trouve drôle et considère qu’elle conduit mieux que la moyenne. Si l’on regarde ce qu’ils font avec leur portefeuille, on sait ce qu’ils pensent vraiment. Les Français se disent écolos mais achètent des SUV. Depuis les années 50, les Français ont le sentiment que leur pouvoir d’achat diminue. On le sait notamment grâce aux enquêtes d’Alfred Sauvy. Pourtant dans les années 40, 50, 60, il y a bien eu une hausse du pouvoir d’achat, ce n’est pas pour rien qu’on a parlé des trente glorieuses.

Là où réside le hiatus entre la version officielle de 1% par an et le ressenti des Français c’est sur ce que les termes recouvrent. Le gouvernement parle en fait de revenus et les Français eux s’en écartent et pensent pouvoir. Ce que les Français ont en tête, c’est leur marge discrétionnaire, leur marge de manœuvre, leur capacité à pouvoir dégainer la carte bleue.

Si le pouvoir d’achat augmente de 1% par an mais que cette hausse est préemptée par le paiement de taxes ou de crédits, le pouvoir d’achat discrétionnaire n’aura pas augmenté du tout. Donc il y a bien des biais cognitifs, des biais d’enquête mais aussi des problèmes de marge discrétionnaire.

À Lire Aussi

La pandémie aura changé la vie de 3 Français sur 5

Est-ce le pouvoir d’achat contraint qui n’est pas assez considéré ?

C’est le pouvoir d’achat qui n’est ni contraint par les taxes, ni par les crédits notamment ceux souscrits pour acheter une voiture et une maison. Et le contraint n’est pas aussi clair que l’on peut envisager. Il est par exemple difficile de vivre sans certains abonnements, Netflix par exemple. Au début, c’était un luxe, aujourd’hui quand tout le monde en dispose, c’est pratiquement une obligation. En particulier lorsque c’est perçu comme tel par les Français. Le standard de vie augmente, la perception est biaisée et le gouvernement ne parle que des revenus. Les Français ont fait jouer au maximum leur effet de levier et aujourd’hui ils sont très vite au taquet. L’augmentation du pouvoir d’achat de ces vingt dernières années a été préemptée par un achat dans la pierre, à crédit. Au moindre choc de revenus ou l’anticipation de ce dernier, les Français déclarent qu’ils perdent en pouvoir d’achat. Il y a une part non négligeable des Français, sans doute pas 75 % qui n’a pas plus de marge discrétionnaire qu’il y a 30 ans, même si leur revenu s’est effectivement amélioré entre-temps. Toutefois, avec un pouvoir d’achat qui augmente de 1%, le pouvoir d’achat non contraint doit augmenter un peu statistiquement pour plus d’un quart des Français.

Cette distinction apparaît-elle dans les chiffres officiels ?

Cette distinction entre contraint et non contraint est connue, les syndicats, certains instituts et même l’INSEE le prennent en compte. Tout dépend d’où se fixe le périmètre du contraint. Avoir un téléphone portable n’est plus une dépense discrétionnaire. Le périmètre évolue et selon la définition qu’on donne aux dépenses contraintes, cela ne résulte pas du tout dans les mêmes résultats en matière de pouvoir d’achat.

À Lire Aussi

EDF, gaz, pétrole : le gouvernement, coincé entre les écolos et les gilets jaunes, cherche à amortir l’explosion des prix, alors qu’il en profite. Pas simple

Comment corriger les perceptions erronées et être statistiquement plus fiable ?

Le biais cognitif le plus difficile à documenter est celui qui existe vis-à-vis du futur. Les gens sont inquiets. Ils savent, confusément, qu’il va y avoir une dette, ils sentent le poids de leurs crédits privés et des finances publiques.  Comme le disait Milton Friedman, ce qui compte c’est le revenu permanent, pas le revenu courant. On va lisser notre consommation en fonction de ce qu’on estime que vont être nos situations sur tout le reste de la vie. Le problème est qu’on anticipe que les choses seront pires. Pour corriger ces perceptions, il faudrait un évènement suffisamment marquant pour changer la donne, un tax cut par exemple, quelque chose capable de créer un vrai choc.

Le problème majeur, c’est le sentiment de dépossession des Français. Ils ont le sentiment de perdre du pouvoir. Le sentiment d’avoir une prise sur les choses a disparu. Donc quand on vous demande si votre pouvoir d’achat augmente, vous répondez que non car votre pouvoir lui est en chute libre.  Les statisticiens font leur travail correctement. Ils ont des difficultés car ils doivent travailler sur de l’infiniment petit. Ce n’est pas un problème de statistiques, c’est un besoin de retrouver une prise sur le monde, sur eux-mêmes et leur environnement dans un monde où les décisions sont de plus en plus prises ailleurs et par des gens non-élus.

Ensuite, si l’on veut vraiment s’attaquer au pouvoir d’achat, puisqu’on ne va pas améliorer le pricing power des salariés, il faut imaginer des choses nouvelles. Cela peut être l’allocation universelle, un renouveau de la participation, un quantitative easing pour le peuple, etc. Mais cela vient après.  

À Lire Aussi

Il y a quatre moyens d’augmenter le pouvoir d’achat, mais tous sont plus politiques que vertueux

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !