Pourquoi la gauche ne se résout pas à tuer Keynes<!-- --> | Atlantico.fr
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L'évolution du monde a mis Keynes et ses principes en échec dans toutes nos vielles démocraties.
L'évolution du monde a mis Keynes et ses principes en échec dans toutes nos vielles démocraties.
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Œdipe

Le temps de Keynes, celui des Trente Glorieuses, est terminé. Contrairement à ses voisins du nord, et même à ceux du sud, la France (gauche en tête) semble ne pas vouloir en prendre acte.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Pourquoi la gauche française n’a-t-elle toujours pas tué John Maynard Keynes alors que toutes les gauches européennes ont rangé au magasin des accessoires toutes les théories et les outils inspirés des travaux de Keynes ? Le résultat, c’est que l’Allemagne et toute l’Europe du Nord (Scandinavie) ont su gérer la crise sans trop de dégâts… Et que les pays du Sud, Grèce, Italie, Espagne et Portugal qui ont été obligés d’adopter des réformes structurelles fortes sont sur la voie du rééquilibrage.

Pourquoi, envers et contre tous nos partenaires, n’avons-nous pas abandonné les mythes budgétaires et inflationnistes, sous-produits de Keynes ? La gauche n’ose toujours pas le faire, mais disons qu'avant elle la droite au pouvoir n’avait pas été beaucoup plus audacieuse dans ce domaine.

John Maynard Keynes est un économiste né à Cambridge en 1883 et mort à Firle en Grande Bretagne en 1946. C’est sans doute le plus célèbre économiste de l’Occident d’après-guerre.

D’abord parce que Keynes était dans l’Angleterre de l’entre-deux-guerres une star de la politique mondaine. Ce professeur d’économie est rapidement devenu très riche par une activité spéculative qui ne le gênait aucunement. Il fréquentait les salons européens, il adorait l’opéra et ne détestait pas les danseurs classiques. Keynes a fait une carrière aux frontières de la recherche, de l’enseignement, du conseil aux entreprises et de la politique. C’est lui qui fut un des réformateurs du système monétaire international au lendemain de la guerre et qui négocia les accords de Bretton Woods.

Le coup de génie de Keynes est d’avoir développé une théorie de politique économique avec des outils qui permettront aux grandes démocraties d’échapper à la faillite de la Seconde Guerre mondiale et de mettre en route un modelé de croissance qui permettra un enrichissement historique pendant plus de trente ans. Les Trente Glorieuses.

L’équation proposée par Keynes dans sa théorie générale est très simple. Keynes explique qu'’il existe des besoins et des envies, qu'il suffit de solvabiliser cette demande potentielle pour donner aux entreprises un volume d’activité qui permettra de créer des richesses et des emplois. Les entreprises fabriquent ce que les clients achètent avec de l’argent emprunté, octroyé par l’Etat ou gagné par le travail. L’application de ces outils partout dans le monde à partir de 1946 facilitera la reconstruction d’abord et l’émergence des marchés de consommation de masse. Plus intéressant, ces outils permettront aussi aux socialistes de sauver le système menacé par la révolution marxiste. Le keynésianisme redonne a l’Etat un pouvoir régulateur considérable puisque c’est lui qui solvabilise les marchés. L’Etat reprend donc du pouvoir économique sans pour autant hypothéquer les grandes libertés individuelles que le marxisme anéantissait. Keynes offrait l’épanouissement économique pour le plus grand nombre sans les dérives et les inconvénients du communisme. Le rêve, en quelque sorte.

Ce système a parfaitement fonctionné pendant 30 ans. Tant que la croissance a dégagé des marges de financement suffisantes. Tant que le corps social a accepté une absence relative de concurrence et donc de l’inflation qui a grignoté les dettes. Tout était bien dans le meilleur des mondes possibles.

Tout était bien jusqu’au jour où les vielles démocraties se sont regardées dans la glace et se sont aperçues qu'elles avaient vieilli en faisant de la graisse. Le monde s’est ouvert, les consommateurs se sont mis à acheter des produits plus exotiques et moins chers ; la concurrence s’est installée. La révolution digitale a fait tomber les frontières et diminuer les frais de transport de l’information, puis des produits et des services. En l’an 2000, on a découvert que les modèles sociaux et les dépenses publiques, qui étaient dans la pure tradition keynésienne les instruments pour redistribuer de la richesse, étaient complètement ankylosés. Plus grave, on a vu les grands marchés occidentaux (l’automobile, l’équipement de la maison...) se saturer au point d’obliger les entreprises de ce secteur à regarder ailleurs et à se délocaliser pour vendre sur d’autres pays…

Bref l'évolution du monde a mis Keynes et ses principes en échec dans toutes nos vielles démocraties. Les endettements sont devenus de véritables bombes a retardement.

Très rapidement à partir des années 1990-2000, les pays de l’Europe du Nord ont changé leur politique économique. Ils ont enterré les préceptes keynésiens pour s’intéresser aux politiques de l’offre. Ils ont ressorti les outils de Joseph Schumpeter et de ses disciples.

Joseph Schumpeter est un économiste contemporain de Keynes, mais complètement occulté par ce dernier, qui a d’ailleurs tout fait pour le boycotter et le censurer. D’une famille de militaires, J. Schumpeter était Autrichien, donc très austère ; il ne fréquentait guère les salons en ville. Il travaillait sur les processus de croissance. Et lui d'expliquer que la création de richesse était le fait des entreprises et des chefs d’entreprise. "Ce sont les chefs d’entreprise qui, par l’originalité de leur offre produit ou service, vont trouver des clients et par conséquent vont créer les emplois." Pour réussir, le chef d’entreprise à besoin de compétitivité, il doit assumer et vaincre la concurrence, il doit être sans cesse meilleur. Pour gagner, le chef d’entreprise doit être libre, mobile, souple, adaptatif, innovant. Il lui faut aussi un environnement favorable, et stable. Une fiscalité acceptable et des conditions sociales qui n’étouffent pas son initiative.

La plupart des grandes économies modernes, l’Allemagne en tête, mais pas seulement, ont adopté des logiques d’offre. Elles ont systématiquement dopé la compétitivité (baisses des charges, accord de flexibilité, baisse de la fiscalité). La plupart de ces grandes économies ont retrouvé le chemin d’un début de croissance.

La France, elle, a collectivement refusé ces logiques d’offre.

1) D'abord, l’appareil d’Etat à beaucoup de mal à abandonner ses prérogatives au profit des entreprises. L’Etat et les collectivités locales ont du mal à maigrir. Or, un euro économisé dans la sphère publique, c’est un euro récupéré pour l’investissement et l’emploi privé.

2) Il est évident que le modèle social français s’est mis à coûter beaucoup trop cher comparé aux ressources disponibles. Il aurait fallu couper dans ces dépenses publiques. La discussion budgétaire montre que la gouvernance actuelle en est incapable.

3) L'ensemble du corps social est paralysé par des avantages acquis et des habitudes impossibles à abandonner. D'où par exemple, la difficulté aujourd’hui, 15 ans après l’Allemagne, de négocier des accords de modération salariale et de flexibilité. Le corps social français a une préférence collective pour un chômage indemnisé plutôt que pour un emploi créateur de valeur.

La droite française n’a guère reformé depuis 1974. La gauche n’a pas réformé davantage (hormis la période Bérégovoy qui a dérégulé en partie le système financier, ce qui lui aura été beaucoup reproché). Plus grave, le pays s’est replié dans le mythe d’instruments keynésiens qui sont devenus inopérants. On a continué sous la gauche à penser que l’on pouvait soutenir l’activité en perfusant la demande. On n’a jamais rien soutenu d’autre que l’activité de la grande distribution et les usines de Shanghai. Plus grave, on a continué de s’endetter alors que les risques de la crise étaient passés. On n’a jamais réussi à dégraisser le mammouth de l’Etat en diminuant les dépenses publiques et sociales. Plus grave, on a opéré les ajustements nécessaires en augmentant les impôts pour financer les endettement, c’est-à-dire qu'on a siphonné les entreprises, les investisseurs et les épargnants. Bref, tous ceux qui pourraient faire de la croissance si on les laissait respirer.

Keynes lui-même n’aurait jamais pensé aller aussi loin dans la protection publique de l’économie privée. S’il vivait encore, il découvrirait que David Cameron fait aujourd'hui campagne pour attirer les chefs d’entreprise français. "Opération tapis  rouge." Il pourrait très bien demander l’asile politique en France sauf qu’il ne pourrait plus jouer en Bourse pour cause de fiscalité. Joseph Schumpeter, lui, doit savourer sa réhabilitation intellectuelle en Europe du Nord, puis en Italie, en Espagne et au Portugal. En France, on ne le connaît toujours pas.

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