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Pourquoi l'objectif de "mixité ethnique" est dépassé par la dure réalité des milieux populaires précarisés
©Capture d'écran

Bonnes feuilles

La bourgeoisie triomphante du XIXe siècle a disparu. Ses petits-enfants se fondent désormais dans le décor d'anciens quartiers populaires, célèbrent la mixité sociale et le respect de l'Autre. Fini les Rougon-Macquart, bienvenue chez les hipsters... Pendant ce temps, dans la France périphérique, les classes populaires coupent les ponts avec la classe politique, les syndicats et les médias. Extrait du livre "Le crépuscule de la France d'en haut" de Christophe Guilluy, aux Editions Flammarion (2/2).

Christophe Guilluy

Christophe Guilluy

Christophe Guilluy est géographe. Il est l'auteur, avec Christophe Noyé, de "L'Atlas des nouvelles fractures sociales en France" (Autrement, 2004) et d'un essai remarqué, "Fractures françaises" (Champs-Flammarion, 2013). Il a publié en 2014 "La France périphérique" aux éditions Flammarion et en 2018 "No Society. La fin de la classe moyenne occidentale" chez Flammarion.

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"La solution, ce serait la mixité sociale et d'origines dans tous les quartiers, mais ça fait trente ans que la France essaye et n'y arrive pas. » L'auteur de cette phrase est le maire socialiste de la commune multiculturelle de Sarcelles, François Pupponi. Ce constat symbolise la distance entre une vision irénique et/ou idéologique de la classe dominante et une réalité populaire en tout point contradictoire. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il est impossible de réaliser un diagnostic raisonnable des politiques publiques, et singulièrement de la politique de la ville en banlieue. Si, techniquement, les opérations urbaines sont une réussite, au vu de l'objectif de « mixité sociale » (lire : ethnique), elles ne pouvaient qu'être un échec. L'objectif de « mixité ethnique » est dépassé par la réalité de milieux populaires précarisés et qui cherchent prioritairement à préserver un capital social protecteur.

Ainsi, l'objectif de la politique de la ville qui était de faire revenir les « Blancs » dans les quartiers majoritairement « arabes » ou « noirs » n'a eu aucun effet sur le processus d'ethnicisation de ces territoires. Les opérations de rénovation urbaine ne modifient en rien l'équilibre éthnoculturel des quartiers. Ce qui, d'ailleurs, ne veut pas dire que la mixité sociale y est inexistante, au contraire. Ces quartiers produisent en effet de la « classe moyenne» (des jeunes diplômés aux ménages en ascension sociale). Si une partie de cette classe moyenne quitte ces territoires, certains restent, d'autres accèdent parfois à la propriété à proximité de leur quartier ou commune d'origine. Quand des opérations d'accession à la propriété sont lancées dans les quartiers de la politique de la ville, les logements sont le plus souvent achetés par des habitants du quartier qui ont le même profil ethnique et/ou culturel. Ce constat est assez banal. Il confirme qu'en banlieue, comme dans tous les milieux populaires, les gens sont attachés à préserver un réseau de solidarités familiales ou amicales en choisissant de vivre dans un environnement qui favorise le lien social.

Spécialiste du logement social et de la rénovation urbaine, Christine Lelévrier a montré que, « contrairement à l'image souvent véhiculée, l'ancrage local est une ressource pour ces ménages ». Ces quartiers ne sont pas, ou pas seulement, des lieux de relégation, mais aussi des lieux de promotion et d'opportunités. Car, quels que soient les bénéfices induits (une simple adaptation du logement ou une véritable promotion résidentielle), le quartier dans lequel ils résident a été et reste une ressource en « réseaux sociaux et en avantages résidentiels ». Rappelons du reste que la « mixité sociale » n'a jamais été un objectif des classes populaires. Hier, les quartiers ouvriers n'étaient pas « mixtes », cela n'empêchait pas l'intégration économique et l'ascension sociale d'une part minoritaire de ces classes populaires. Ce qui est fondamental, en revanche, c'est de préserver un capital social et culturel qui favorise le lien social et éventuellement l'entraide. Cela implique de vivre avec des populations qui partagent des revenus et un capital social et culturel à peu près équivalents.

Né aux États-Unis dans les années 1970, le concept d'empowerment vise à « donner du pouvoir aux habitants ». Ce concept permettrait de contrebalancer des politiques publiques très « jacobines » et de répondre au scepticisme des habitants peu engagés dans la vie publique. De quoi s'agit-il concrètement ? Essentiellement d'« offrir » la possibilité à des individus ou à des groupes de prendre des initiatives qui touchent à la vie sociale et économique, monter des associations, améliorer le cadre de vie. Tout cela est fort louable, mais s'inscrit comme toujours dans le cadre d'un pouvoir sous contrôle des collectivités et des politiques.

Peu réceptives à cette forme de démocratie participative, les classes populaires choisissent aujourd'hui un autre pouvoir, celui que leur confère leur identité. Un «empowerment identitaire » qui s'affranchit d'une gestion sociale et politique sous contrôle. En banlieue, cet «empowerment identaire » passe par la religion ; dans la France périphérique, il prend la forme d'une réaffirmation culturelle et d'un réinvestissement sur le « village ». Un processus commun qui n'interdit pas l'ouverture aux autres, car comme l'affirme le poète portugais Miguel Torga : « L'universel, c'est le local moins les murs. » Cet attachement territorial, ce « souverainisme d'en bas » touche l'ensemble des classes populaires, quelles que soient leurs origines.

Extrait du livre "Le crépuscule de la France d'en haut" de Christophe Guilluy, aux Editions Flammarion

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