Physique ou psychologique, quelle douleur préférez-vous ? De la réponse naît la différence entre le cerveau d’un champion et celui d’un sportif amateur<!-- --> | Atlantico.fr
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Le cycliste Marcel Kittel sur le sprint final de l'épreuve du Tour de France du Touquet-Paris-Plage à Lille.
Le cycliste Marcel Kittel sur le sprint final de l'épreuve du Tour de France du Touquet-Paris-Plage à Lille.
©Reuters

Un peu de nerfs !

Mondial de football, Tour de France, Grand Chelem de tennis... Les champions arrivent à surmonter des douleurs intenables que le commun des mortels n'arriverait pas supporter. Voici ce qui leur permet de faire la différence.

Bernard Calvino

Bernard Calvino

Bernard Calvino est un biologiste français spécialiste de physiologie. Il a longtemps étudié les mécanismes de la douleur. Il est notamment l'auteur de Apprivoiser la douleur paru en 2004 aux éditions Le Pommier.

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Atlantico : A en croire leur visage, leurs témoignages ainsi que les côtes et les kilomètres qu'ils parcourent, les cyclistes du Tour de France, à l'instar de nombreux autres sportifs, semblent souffrir dans leur activité physique. Le sport est-il donc indissociable de la douleur et du dépassement de cette douleur ?

Bernard Calvino : Il est vrai que les sportifs de haut niveau, pour atteindre un certain degré de performances, doivent s'entraîner parfois jusqu'à en éprouver de la douleur. Ils utilisent d'ailleurs l'expression "se faire mal" pour parler de ce dépassement de soi dans ses performances et donc de la douleur ressentie lors de ce dépassement. Il est donc logique que l'on puisse lire sur leur visage ces fameuses traces de douleur : ils vont au-delà de leurs limites, ou du moins ils essayent. Certains sportifs n'hésitent d'ailleurs pas à tricher pour repousser leur seuil de tolérance à la douleur en utilisant des hormones ou des molécules. Fort heureusement, le sport n'est pas toujours associé à la douleur. Il s'agit quand même d'une discipline de plaisir pour la plupart des gens.

La douleur peut-elle jouer un rôle de stimuli ? Peut-on y trouver une forme de plaisir ?

Lors d'une pratique sportive, le cerveau sécrète effectivement des endorphines qui sont liées à la satisfaction et au bien-être de l'organisme. On cite souvent comme exemple les coureurs de longue distance qui, au bout d'un certain temps, trouve un certain plaisir dans la pratique sportive. On parle même de dépendance. Mais en soi, ce n'est pas la douleur qui engendre cette sécrétion d'endorphine mais bien l'exercice, le fait de mobiliser son corps, ses muscles et son cerveau.

Une chose également est essentielle, et j'insiste là-dessus, dans l'acceptation de cette douleur au profit du sport : la motivation. Le sport est finalement très psychique et la douleur, multisensorielle. Avec assez de motivation, on est capable de dépasser les frontières largement. On peut prendre en exemple Mohammed Ali qui en 1973 a réussi à tenir un match de 4 heures avec la mâchoire cassée. Ou encore Michael Jordan en 1997 qui, contre avis médical du fait d'une forte fièvre qui lui fit perdre plusieurs kilos, alla jouer le match des 5 finales NBA. Pendant ces minutes de match, les deux sportifs se concentraient probablement plus sur l'objectif de gagner, leur motivation première, plutôt que sur leur douleur et n'ont donc rien ressenti.

Il existe un autre cas particulier : la recherche du plaisir dans la douleur lors d'une pratique sportive. Mais ce type de recherche, proche du masochisme, reste anecdotique.

Par ailleurs, une étude de l'Université d'Heidelberg menée par le Professeur Jonas Tesarz en 2012 a constaté que les sportifs de haut niveau étaient beaucoup plus tolérants à la douleur physique. Quel est le processus neurologique d'un tel phénomène ?

Il n'y a pas réellement de processus neurologique, ou du moins le terme est ambigu. Ce qui est certain est que les sportifs de haut niveau, par l'entrainement, arrivent progressivement à repousser leurs limites. Un sauteur en longueur arrivera à gagner quelques centimètres, au même titre qu'un sprinter arrivera à gagner quelques secondes et ce, au prix de nombreux efforts douloureux. Ils vont aller au-delà de ce que l'organisme pourrait spontanément accepter. Et ce qui leur permet d'aller dans cet au-delà, c'est la volonté, la motivation. Donc une fois de plus, c'est finalement le cerveau qui va permettre d'apprivoiser cette douleur par la motivation.

Les sportifs de haut niveau sont-ils nécessairement plus résistants à la douleur ? Cette résistance est-elle liée à des caractéristiques innées ou peut-elle se développer au fil du temps ?

Il est difficile de répondre à cette question précisément étant donné qu'on ne sait pas d'où ils partent. Chacun d'entre nous a un seuil de tolérance à la douleur qui est différent. Une chose est sûre est qu'une fois qu'ils ont acquis cet apprentissage lors de l'entrainement où ils apprennent à leur corps et à leur cerveau à repousser les limites, leur organisme s'y adapte.

De plus, on peut également prendre en compte l'éducation du sportif lorsqu'il était enfant. Une éducation qui dédramatise les pleurs de l'enfant permettra de forger une nature, un caractère qui aura une influence importante sur le seuil de tolérance à la douleur chez l'adulte.

Il faut tout autant prendre en compte les caractéristiques physiques de départ de l'individu. Tout le monde ne peut pas être un sportif de haut niveau. Chacun a ses qualités propres, et ces qualités ne sont d'ailleurs pas les mêmes d'un sportif à un autre. Un sprinter n'aura pas les mêmes caractéristiques physiques qu'un coureur de fond par exemple. De plus, la masse musculaire n'est pas la même chez tout le monde. J'en veux pour preuve que tout le monde ne devient pas champion olympique !

Finalement la douleur physique n'est-elle pas plutôt une alerte envoyée au corps qui subit trop de pression ?

Tout à fait ! Dès lors qu'il y a une lésion, une douleur aigue se fait ressentir. Pousser à bout son corps au-delà de ses limites physiologiques peut être considérée comme une forme de lésion dans la mesure où, certes il n'y a pas de blessure physique, mais le muscle se retrouve saturé en acide lactique, les articulations et les tendons sont mobilisés à outrance, etc. La combinaison de ces différents abus physiques met le corps en état de souffrance.

C'est d'ailleurs probablement pour ces raisons que les sportifs de haut niveau prennent leur retraite plus tôt. Ils vont en effet au-delà de ce que leur corps peut leur permettre et ils subissent par conséquent un vieillissement physique prématuré. Leur organisme est allé trop loin. Cependant, le vieillissement n'est pas le même d'un sport à l'autre.

Une autre étude menée par Naomi Eisenberg de l'Université de Californie a permis de montrer que la douleur morale de la défaite activait la partie du cerveau responsable de la douleur physique, à savoir le cortex cingulaire antérieur. De plus, les chercheurs ont constaté que cette partie était autant stimulée lorsque l'on faisait mal aux individus, lorsque l'on s'apprêtait à leur faire mal et lorsqu'on leur montrait quelqu'un à qui on faisait mal. Y a-t-il une confusion cérébrale entre le stimulus, l'anticipation et la représentation mentale de la douleur ?

Il faut faire très attention avec ce type de travaux. Ils reposent sur une technique que l'on appelle Imagerie par Résonnance Magnétique fonctionnelle (IRM fonctionnelle). Or, malgré la rigueur des protocoles expérimentaux et l'attention des chercheurs sur ces protocoles, on remet d'ailleurs beaucoup en question de nombreuses études effectuées à partir de cette IRM fonctionnelle.

En l'occurrence, les résultats de cette étude s'expliquent par le simple fait que c'est la mémoire de l'individu qui activera le cortex cingulaire antérieur. C'est-à-dire qu'on a tous déjà vécu un moment de douleur comme un doigt coincé dans une porte. Sur le moment, c'est cette partie qui va être activée. Si l'on menace le même individu ou si on lui montre des images de la sorte, la même partie du cerveau sera activée de par la représentation mentale de ce que l'individu a vécu auparavant.

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