Pékin 2008 : des Jeux Olympiques forcément démesurés<!-- --> | Atlantico.fr
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La police paramilitaire patrouille à l'extérieur du stade national, mieux connu sous le nom de Nid d'oiseau, en 2008 à Pékin.
La police paramilitaire patrouille à l'extérieur du stade national, mieux connu sous le nom de Nid d'oiseau, en 2008 à Pékin.
©FREDERIC J. BROWN / AFP

Bonnes feuilles

Richard Wawrzyniak a publié « Histoire(s) des Jeux olympiques » chez Mareuil éditions. Véritable miroir des époques, ce rendez-vous quadriennal est une formidable caisse de résonance de notre société. Découvrez les trente-trois éditions olympiques par des anecdotes et histoires méconnues, qui ont pourtant fait l'Histoire. Extrait 2/2.

Richard Wawrzyniak

Richard Wawrzyniak

Ancien journaliste sportif, Richard Wawrzyniak, a côtoyé avec passion les plus grands champions français. Aujourd'hui spécialisé dans la communication, il oeuvre au sein du ministère de l'intérieur à l'organisation des grands événements sportifs internationaux comme la Coupe du monde de rugby 2023 ou les Jeux olympiques de Paris 2024.

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Dans sa quête pour tendre vers toujours plus d’universalité, le CIO ne pouvait indéfiniment laisser de côté une nation rassemblant près d’un quart de l’humanité. Toronto, Paris et Istanbul ne font pas le poids face à la candidature de Pékin, archifavorite lors du scrutin final pour l’organisation des Jeux de 2008. La Chine attendait ses Jeux après l’échec face à Sydney pour les JO de 2000, et les obtient enfin, preuve que l’empire du Milieu fait officiellement son entrée en puissance sur la scène internationale, symbole de réussite de la politique défendue par les autorités communistes depuis trois décennies. Satisfaisant largement les attentes sur le plan financier et commercial, les représentants chinois vont jusqu’à promettre, pour réunir les suffrages des membres du CIO, de réaliser de nets progrès en matière de politique intérieure. Dick Pound, vice-président du CIO, explique dans la conférence de presse à l’issue du vote de juillet 2001 : « Une partie de la présentation des Chinois a consisté à reconnaître la préoccupation de nombreux pays à l’égard de leur bilan en matière des droits de l’homme, en suggérant que l’attribution des Jeux permettrait de progresser sur ces questions. » Des propos appuyés par le maire de Pékin Liu Qi : « Je tiens à dire que les JO de Pékin de 2008 auront la caractéristique suivante : ils aideront à promouvoir nos progrès économiques et sociaux, et ils renforceront le développement de notre promotion des droits de l’homme […]. Nous ne voulons pas seulement promouvoir le développement de la ville, mais le développement de la société, y compris la démocratie. »

Alors que les travaux sont menés tambour battant partout dans Pékin, la question des droits de l’homme en Chine prend de plus en plus d’ampleur à mesure que l’événement approche. Un an avant le début des Jeux, en août 2007, les débats font rage partout dans le monde, à tel point que Hein Verbruggen, membre du CIO, dénonce l’action des militants des droits de l’homme « qui veulent politiser les Jeux ». Le sujet est particulièrement vif en France, où une dizaine de grandes organisations de défense des droits de l’homme, dont Amnesty International, Reporters sans frontières, la Ligue des droits de l’homme ou encore Ensemble contre la peine de mort, parviennent à mutualiser leur action et créent le collectif Chine JO 2008. Leur but n’est pas de politiser les Jeux mais de profiter de son impact médiatique colossal pour sensibiliser l’opinion publique mondiale et faire pression sur le gouvernement chinois. Le collectif émet huit revendications à ce dernier : libérer les personnes emprisonnées depuis la manifestation de la Place Tian’anmen de 1989 et tous les prisonniers d’opinion ; mettre fin au contrôle de l’information sur Internet ; suspendre les exécutions sur tout le territoire chinois en vue d’aboutir à l’abolition de la peine de mort ; supprimer la détention administrative ; mettre un terme à la pratique systématique de la torture ; permettre la constitution de syndicats libres et indépendants ; supprimer l’article 306 du Code pénal qui permet la répression des avocats ; et mettre fin aux expulsions forcées des citoyens de leur logement ou de leurs terres. Ces revendications resteront sans réponses du côté de Pékin. Mais l’histoire des Jeux olympiques a plus d’une fois montré que la visibilité sans équivalent offerte par l’olympiade au pays organisateur est à double tranchant, sa situation endogène étant inévitablement mise en évidence sous les feux des projecteurs. Le début de l’année 2008 va vite devenir extrêmement compliqué pour l’image de la Chine. Alors que le pays est un partenaire majeur du Soudan, se fournissant largement en pétrole dans le pays africain, la guerre du Darfour qui s’y déroule jette une première ombre sur le gouvernement chinois. De nombreuses voix s’élèvent pour reprocher la passivité et l’immobilisme de la patrie communiste alors qu’un véritable génocide s’y produit, engendrant la mort de plus de 300 000 personnes et générant plus de 2,7 millions de déplacés.

Le 10 mars, jour du 49e anniversaire du soulèvement tibétain de 1959, des manifestations pacifiques de moines tibétains sont organisées à Lhassa, capitale de la région autonome du Tibet, réclamant la libération de moines emprisonnés depuis 2007. Quatre jours plus tard, les manifestations dégénèrent en émeutes, faisant suite, selon les rumeurs, au passage à tabac de 2 moines bouddhistes par les forces de l’ordre chinoises. La répression du mouvement est rapide et violente. Le gouvernement tibétain en exil fait état d’au moins 80 Tibétains tués, alors que les médias chinois mettent en exergue les agressions et les destructions des émeutiers, présentés comme des « séparatistes ». Le 19 mars, la région autonome du Tibet est totalement fermée aux journalistes et aux touristes. Le sceau du silence règne ainsi durant trois mois, jusqu’au 26 juin. L’émotion est de mise partout dans le monde, où un élan de soutien à la cause tibétaine laisse craindre le pire pour les prochains Jeux. Menaces de boycott des Jeux, de la cérémonie d’ouverture, de nombreux représentants politiques expriment leur indignation.

En France, l’idée que le président de la République boycotte la cérémonie d’ouverture prend de plus en plus corps, mais n’a rien d’évident. Nicolas Sarkozy ne s’est-il pas en effet rendu en Chine quelques mois plus tôt, en novembre 2007, pour y signer environ 20 milliards d’euros de contrats ? Comment prendre une position aussi symbolique quand la France a vendu à la Chine 2 réacteurs EPR pour 8 milliards d’euros, 160 Airbus pour 17 milliards de dollars ou encore un contrat de 750 millions d’euros signé par Alcatel avec China Mobile ? Le 24 mars, le président Sarkozy demande au président chinois Hu Jintao « de la retenue et la fin des violences par le dialogue au Tibet » et annonce le lendemain que « toutes les options sont ouvertes » quant à un éventuel boycott de la cérémonie et qu’il graduera « sa réponse en fonction de la réponse qui sera donnée par les autorités chinoises ». La diplomatie du carnet de chèques mise en œuvre par les autorités chinoises se transforme en un levier de pression hors norme pour la Chine face à cette vague de contestations.

Hasard du calendrier, la flamme olympique est embrasée à Olympie le 24 mars, en pleine polémique tibétaine. Elle doit parcourir 137 000 km sur les cinq continents en cent trente jours, avec comme thème « Un voyage en harmonie ». À peine le feu est-il allumé, que trois membres de l’association Reporters sans frontières surgissent, brandissant des drapeaux où les cinq anneaux olympiques sont remplacés par cinq menottes. La suite du parcours ressemble à un chemin de croix. De Londres à Paris, en passant par San Francisco, Buenos Aires, mais aussi Islamabad ou Séoul, à chaque fois les incidents se multiplient sous les caméras au passage de la flamme. Le monde découvre également « l’unité de protection de la flamme sacrée » du comité d’organisation chinois, qui se montre particulièrement antipathique et violente dans sa protection permanente de la flamme. Comme si celle-ci n’était plus le symbole si cher à l’olympisme mais celui de la défense du succès chinois dans son entreprise médiatique. Ces hommes, en survêtement bleu et blanc orné des anneaux olympiques, décident de tout, aussi bien de changer de parcours à la dernière minute que d’éteindre la flamme à leur guise. David Douillet, un des relayeurs, est même surpris de voir l’un de ces hommes surgir pour se saisir de son flambeau et l’éteindre manu militari devant la presse mondiale. Désabusé, le champion français commente : « Je comprends qu’ils aient peur de tout mais là c’est ahurissant : ils éteignent une flamme alors qu’il n’y a aucun risque, ils le voient, ils le savent… Ça ne se passe pas comme cela devrait se passer. Si l’organisation des Jeux est de cette teinte-là, on n’est pas sûr d’avoir des Jeux qui vont bien marcher, ce n’est pas possible ! »

L’image de l’olympisme semble ternie par ces polémiques, tant le parcours de la flamme tourne au fiasco et les conflits impliquant la Chine interrogent. Le 10 avril à Pékin, sous la pression internationale, le président du CIO, Jacques Rogge, prend la parole devant les représentants des 205 comités nationaux olympiques, pour un exercice d’équilibriste : « Avant l’attribution des Jeux, les représentants chinois ont dit – et je les cite de mémoire car je ne le sais pas par cœur : “accorder les Jeux à la Chine ferait avancer la question sociale, notamment les droits de l’homme”. C’est ce que je qualifierais d’engagement moral plutôt que juridique. Nous demandons absolument à la Chine de respecter cet engagement moral […]. Il y a une crise, il n’y a pas de doute. Mais le CIO a traversé des tempêtes bien plus grosses. » Et de commenter quelques jours plus tard dans les colonnes du Figaro : « Les gens ne se rendent pas compte que le CIO n’est pas les Nations unies du sport. Nous ne devons pas entrer dans des domaines politiques. Si nous le faisions, nous nous aliénerions la possibilité de ce trait d’union entre tous les peuples. » Le climat se détend petit à petit, notamment par l’entremise du Prix Nobel de la paix de 1989 et chef spirituel du bouddhisme tibétain, le dalaï-lama, qui s’exprime dans un communiqué de presse : « Je soutiens l’organisation des jeux mondiaux par les Chinois parce que la Chine est la nation la plus peuplée, la plus ancienne […]. Les Chinois méritent vraiment les JO, malgré les événements malheureux du Tibet. » Le 12 mai, un violent séisme touche la région du Sichuan, au centre de la Chine, d’une magnitude comprise entre 7,6 et 8 sur l’échelle de Richter. Le bilan est catastrophique : plus de 70 000 tués, 18 000 disparus, 374 000 blessés et d’innombrables constructions détruites. La communauté internationale est touchée par le drame et une solidarité se met très vite en place pour apporter son aide, laissant de côté les polémiques et les critiques.

L’image renvoyée par la Chine sur les questions du Tibet, du Darfour, des droits de l’homme et de la flamme est désastreuse. Le régime communiste va alors s’évertuer à mettre en exergue l’avancée de ses travaux démesurés dans Pékin. Les chiffres des dépenses par l’organisation chinoise donnent le vertige : 17 milliards d’euros de travaux pour les transports, 1,9 milliard d’euros pour la construction d’un nouveau terminal de l’aéroport de Pékin, 2 milliards d’euros pour la construction de trois nouvelles lignes de métro, et plus de 6 milliards d’euros dédiés à lutter contre la pollution permanente de Pékin. Un village olympique démesuré de 66 hectares et 9 000 chambres sort de terre. Plus de 100 000 policiers et militaires sont mobilisés à Pékin, 70 000 volontaires chargés de porter assistance aux athlètes et au public, 300 000 autres volontaires chargés de sillonner les rues de la ville hôte pour « veiller à la sécurité », ou, en d’autres termes, suivre avec insistance les moindres faits et gestes des locaux et des étrangers.

Les Jeux s’ouvrent le 8/8/08 à 8 h 08 par une cérémonie agrémentée de feux d’artifice éblouissant les 91 000 spectateurs présents au stade olympique, le fameux « Nid d’oiseau ». Le spectacle olympique de deux semaines qui débute n’est pas retransmis en direct mais en léger différé, le régime chinois privilégiant ainsi le contrôle absolu des images de l’événement, pour lequel le moindre incident peut être amplifié devant 4 milliards de téléspectateurs, se laissant ainsi une marge de manœuvre pour censurer éventuellement ce qui ne devrait pas être vu. Deux cent quatre nations s’engagent dans l’olympiade, dont 4 novices : les îles Marshall, les Tuvalu, le Monténégro et la Serbie. 10 642 athlètes sont présents, dont 4 637 femmes.

L’olympiade est démesurée en termes de performances, avec 40 records du monde battus. En athlétisme, le Jamaïcain Usain Bolt est la star incontestable de ces Jeux. Il s’accorde le doublé 100 m et 200 m en battant à chaque fois le record du monde, respectivement en 9’’ 69’’’ et 19’’ 30’’’. Il remporte également une troisième médaille d’or avec le relais 4 × 100 m en battant un 3e record du monde, mais ce titre lui sera retiré par le CIO en 2017 du fait du contrôle positif d’un des relayeurs de l’équipe de Jamaïque. Jovial, attachant, Usain Bolt parvient à conquérir la planète sport par sa spontanéité et sa bonne humeur. À l’issue de la finale du 100 m, il exécute un geste qui devient vite légendaire, le « Bolting ». Bolt mime dans un immense sourire une flèche en direction du ciel, comme s’il était le seul et unique athlète à pouvoir aller toucher les étoiles. Il débute alors un règne sans partage sur les épreuves de sprint des championnats du monde : en 2009 à Berlin, 2011 à Daegu, 2013 à Moscou et 2015 à Pékin, totalisant 11 médailles d’or. « L’éclair » écrase encore la concurrence lors des JO de Londres et de Rio, et rejoint ainsi Carl Lewis et Paavo Nurmi au panthéon de l’athlétisme avec 9 médailles d’or. En natation, l’Américian Michael Phelps entre aussi dans la légende en battant le record de Mark Spitz aux JO de Munich 1972 en cumulant 8 médailles d’or. Entre le 10 et le 17 août, le nageur américain remporte une compétition par jour, battant au passage 7 records du monde lors des finales olympiques. Au cours de la quinzaine olympique, plusieurs nations inaugurent des performances jamais réalisées jusque-là. L’Inde décroche sa première médaille d’or individuelle avec Abhinav Bindra au tir à la carabine à air comprimé. La Mongolie obtient la première médaille d’or de son histoire avec Tuvshinbayar Naidan en judo masculin, tout comme le Bahreïn avec Rashid Ramzi au 1 500 m masculin, le Panama avec Irving Saladino au saut en longueur masculin et l’Afghanistan avec Rohullah Nikpai en taekwondo masculin. L’île Maurice, le Togo et le Tadjikistan ouvrent pour leur part leur palmarès olympique avec des médailles de bronze.

Pékin 2008 est aussi le théâtre d’immenses désillusions pour certains. Véritable héros national, Liu Xiang, champion olympique sur le 110 m haies à Athènes, représente la meilleure chance de la Chine de remporter une médaille d’or en athlétisme. Victime d’une douloureuse blessure, le champion est contraint à l’abandon, la mort dans l’âme. C’est un véritable mélodrame qui débute alors en Chine, obligeant Liu Xiang à se présenter devant les médias pour faire son mea-culpa : « Je souhaite remercier tous les gens pour leur soutien, je voudrais dire à tout le monde “excusez-moi”, “pardon” […]. Il y avait tellement de gens pour regarder la course, je suis désolé, je me suis dit : “je dois courir”, mais j’ai finalement abandonné. Quand les Jeux olympiques ont été attribués à la Chine, j’avais 18 ans. Depuis, je n’ai cessé de penser à ma participation à la compétition pour les JO de Pékin, je n’aurais jamais pensé que j’abandonnerais sans avoir participé aux qualifications, mais c’est comme ça. »

L’Américain Matthew Emmons souffle le chaud et le froid dans l’épreuve du tir à la carabine olympique. Après l’or à Athènes sur 50 m en position couchée, il obtient l’argent à Pékin dans la même discipline. C’est dans la catégorie trois positions que l’Américain vit une incroyable malédiction. Sur le point de remporter le concours à Athènes, il s’oublie et tire sa dernière balle, celle du titre… sur la cible d’un concurrent ! Bis repetita à Pékin alors qu’il est largement en tête, à une balle de l’or olympique, il commet une erreur de débutant. Son doigt glisse sur la gâchette et la balle se loge dans la bordure de la cible. Il est ainsi relégué de la première à la quatrième place. Ce n’est qu’à Londres en 2012 qu’il décroche enfin une médaille de bronze dans cette discipline.

Les Jeux de Pékin sont au final une belle réussite sportive et l’esprit olympique a perduré. L’une des images symboliques se déroule lors de la cérémonie du podium du tir au 10 m au pistolet à air comprimé féminin. Tandis que le conflit fait rage entre leurs deux pays en raison d’un différend frontalier, la Géorgienne Nino Salukvadze et la Russe Natalia Paderina tombent dans les bras l’une de l’autre à la remise des médailles. Paderina, deuxième, embrasse Salukvadze, troisième, et confie lors de la conférence de presse : « Si le monde pouvait tirer une leçon de ce que j’ai fait, il n’y aurait jamais plus de conflit. Nous vivons au XXIe siècle après tout.

Nous ne devrions jamais tomber si bas au point de nous faire la guerre. » Salukvadze ajoute alors : « Aucune haine ne devrait exister entre les athlètes, ni entre les peuples. Les politiciens devraient rectifier la situation tout de suite et s’ils ne le font pas il nous faudra nous en mêler. Quant au sport, nous demeurerons toujours amies et rien n’affectera notre amitié, même dans une discipline aussi effrayante que le tir. »

Ou quand le sport dépasse la politique internationale…

Extrait du livre de Richard Wawrzyniak, « Histoire(s) des Jeux olympiques », publié chez Mareuil éditions

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