Pédophilie : ces aveuglements et tabous qui continuent à alimenter les défaillances<!-- --> | Atlantico.fr
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De nombreux prédateurs sexuels sont déjà identifiés comme tels par la police.
De nombreux prédateurs sexuels sont déjà identifiés comme tels par la police.
©Reuters

Failles du système

De l’enlèvement de Berenyss aux scandales pédophiles au sein de l’Education nationale, de nombreux prédateurs sexuels avaient déjà été identifiés comme tels par la police, laissant entrevoir de graves insuffisances dans leur suivi judiciaire et psychiatrique.

Jean-Pierre Bouchard

Jean-Pierre Bouchard

Jean-Pierre Bouchard est psychologue et criminologue spécialiste des agresseurs et des victimes. 

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Atlantico : Ce jeudi 30 avril doivent être rendues les conclusions dans les affaires révélées de pédophilie dans l'Education Nationale. On a appris également que l'agresseur présumé de la petite Berenyss avait déjà été condamné pour agression sexuelles sur trois proches, dont ses deux nièces. Comment expliquer le nombre grandissant d'affaires de pédophilie rendues publiques récemment ? 

Jean-Pierre Bouchard : Déjà, par pédophilie, il faut entendre la déviance sexuelle d'un adulte qui est attiré érotiquement par les caractéristiques prépubères propres aux enfants.

Il y a en fait beaucoup plus de cas de pédophilies que ceux dont on entend parler. C'est ce qu'on appelle le chiffre noir des affaires : on ne connait pas la réalité d'un phénomène puisque beaucoup de cas sont cachés, les victimes ne portent pas toujours plainte. Ce chiffre est potentiellement très important. Les affaires de pédophilie ne sont pas forcément plus nombreuses qu'avant, en revanche on en parle plus dans les médias, ce qui génère un effet loupe, qui peut inciter d'autres victimes à porter plainte également.

Surtout, les affaires de pédophilie ne se résument pas aux cas rocambolesques avec enlèvement, qui sont très médiatisés : ce sont surtout des affaires de famille, ou concernant des personnes de l'entourage proche de la victime. Dans ces cas-là, il est encore plus difficile de porter plainte.

De quel type de peines écopent en général les pédophiles ? Sont-ils souvent remis en liberté plus tôt que prévu ou sans mesure de surveillance?

Tout dépend de l'infraction commise. Les attouchements sexuels sont un délit, et donc jugés en correctionnelle, alors que le viol, caractérisé par une pénétration, est un crime examiné en Cour d'Assise. Plus que les homicides, ce sont d'ailleurs les viols qui sont le plus fréquemment jugés en Cour d'Assise, composés de jurés, souvent sensibilisé à ces questions. Si une personne a commis plusieurs infractions, sa peine sera modulée en conséquence.

A l'instar de toutes les autres personnes incarcérées, les délinquants sexuels bénéficient parfois d'aménagements ou de remises de peines. Ces types de détenus ont pour particularité de généralement mieux se comporter en prison que les autres, ce qui explique parfois leur libération anticipée. En effet, la plupart des délinquants ont un comportement agressif, antisocial et irrespectueux des règles. Les prédateurs sexuels, en général, ont une sorte de double vie : une façade lisse de bon voisin, irréprochable, cachant une grave déviance sexuelle. Les proches sont d'ailleurs souvent très étonnés quand ils découvrent qu'une personne avec pignon sur rue était en fait un pédophile.

Dans le cas de la petite Berenyss, l'agresseur présumé avait déjà été interpellé pour agression sexuelle. Faut-il y voir une défaillance de la justice ? 

C'est tout le problème de la praticabilité de la dangerosité des individus. Certaines personnes passent à l'acte dans un contexte donné, alors que ça n'aurait pas été le cas si elles avaient été plus encadrées, ou si elles avaient eu une vie différente. C'est un vrai problème posé aux psychiatres en charge des expertises aux Assises. Si défaillance il y a, elle se situe dans le manque de formation et de préparation de ces experts pour évaluer les risques, à la fois avant la sentence, et avant la remise en liberté. Je milite activement en faveur d'une réforme visant à améliorer la formation de ces experts.

Il faut aussi se méfier des allégations mensongères de victimes qui n'en sont pas. Bien que très rare, ces cas existent. L'affaire Outreau est un bon exemple, ou encore l'affaire Christian Iacono, le maire accusé d'actes pédophiles par son petit-fils, qui s'est ensuite rétracté des années plus tard. Dans certains cas, c'est parole contre parole, avec souvent des conflits familiaux cachés.

La Justice n'est pas parfaite, elle aura toujours des ratés. L'exposition médiatique peut aussi être tout aussi traumatisante que l'agression pour les victimes.

Les affaires sont-elles jugées avec plus de sévérité s'il s'agit d'agissements dans la même famille ? A l'école ?

Tout dépend de la juridiction en charge de l'affaire, mais un lien de parenté ou d'autorité est une circonstance aggravante en cas de viol, qui plus est sur mineur. La force du tribunal est de prendre en compte tous les éléments, puisque chaque affaire est unique. Il évaluera notamment si les violences ont été répétées dans le temps, dans les cas d'inceste par exemple. Dans le système judiciaire français, les jurés ne siègent qu'en cour d'assises, et sont en général très sévères avec les affaires de pédophilie.

Certains pédophiles ont le syndrome du pompier pyromane : c'est pour cela qu'ils cherchent à exercer des activités où l'on côtoie des enfants. Pour ce qui concerne les récents cas de pédophilie au sein de l'Education Nationale, où un enseignant déjà condamné pour actes pédophiles continuait à enseigner, cela révèle un grave manque de transmission des informations entre la Justice et l'Education nationale, un dysfonctionnement entre les différents services de l'Etat.

Il y a-t-il  un tabou typiquement français autour des affaires de pédophilie ? Ce type de crime est-il géré de la même manière socialement et judiciairement dans d'autres pays ?

Auparavant, il y avait de nombreux tabous, surtout pour les affaires impliquant des personnes au rang social élevé, ou au sein d'une même famille. Aujourd'hui, les victimes portent plus plainte qu'avant. Si tabou il y a en France, cela concerne la pédophilie féminine. Au cours de ma carrière, j'ai rencontré de nombreux hommes, adultes, ayant subi des attouchements durant leur enfance par des femmes adultes, souvent la mère d'ailleurs, ou une tante.

J'ai l'impression que ce type de crime est géré plus ou moins de la même manière dans les autres pays occidentaux, aussi bien juridiquement que socialement. En revanche, sur d'autres continents, comme l'Afrique ou l'Amérique Latine, la pédophilie reste très taboue et peu de victimes portent plainte.

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