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Ne désespérons pas de Bruxelles
Ne désespérons pas de Bruxelles
©JOHN THYS / POOL / AFP

Le point de vue de Dov Zerah

Plus d'un an après le début de la pandémie, l’Union européenne apparaît comme la grande perdante de la crise sanitaire, notamment sur la question des vaccins. Un sursaut européen s’impose, tant sur le plan économique que politique.

Dov Zerah

Dov Zerah

Ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA), Dov ZERAH a été directeur des Monnaies et médailles. Ancien directeur général de l'Agence française de développement (AFD), il a également été président de Proparco, filiale de l’AFD spécialisée dans le financement du secteur privé et censeur d'OSEO.

Auteur de sept livres et de très nombreux articles, Dov ZERAH a enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), à l’ENA, ainsi qu’à l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC). Conseiller municipal de Neuilly-sur-Seine de 2008 à 2014, et à nouveau depuis 2020. Administrateur du Consistoire de Paris de 1998 à 2006 et de 2010 à 2018, il en a été le président en 2010.

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Tout a démarré en décembre 2019, à Wuhan en Chine. Le 5 janvier dernier, j’écrivais que l’Union européenne (UE) commençait l’année dans de mauvaises conditions. Trois mois plus tard, la politique vaccinale sur le continent accentue ses difficultés.

L’UE n’a pas de compétence sanitaire. Cela a été répété pour écarter toute responsabilité dans la gestion de la pandémie. Il n’en demeure pas moins qu’aux yeux d’Européens de plus en plus nombreux, elle apparait comme la grande absente de la pandémie. Cette crise sanitaire a révélé :

  • La vulnérabilité dans certaines chaines d’approvisionnement, notamment dans le domaine médical
  • La dépendance vis-à-vis de l’Asie à cause de lacunes industrielles
  • Le déclassement en matière de recherche vaccinale
  • Une réactivité insuffisante. Quels que soient les mérites et avancées institutionnelles du plan de relance « next generation » de 750 Md€ arrêté en juillet 2020, il semble déjà dépassé par les deuxième et troisième vagues de la pandémie. Avec le dernier plan de 1 900 Md$, les États-Unis en sont à leur 3ème plan, après les 2 200 Md$ et 900 Md$ de Donald TRUMP, et sans compter les 2 250 Md$ que Joe BIDEN espère injecter dans les infrastructures

N’ayant pas la compétence d’être une instance décisionnaire, la Commission européenne (CE) aurait pu être un lieu de coordination pour créer des synergies. Or, la politique vaccinale a été le dernier révélateur de toutes ses faiblesses.

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Le lent déclin européen

La campagne de vaccination a démarré le 21 décembre 2020 au Royaume-Uni, mais une semaine plus tard dans les pays européens les 27-29 décembre. Il faut attendre le 21 décembre 2020 pour que la Commission autorise la mise sur le marché du vaccin américain Pfizer, le 6 janvier 2021 pour l’américain Moderna, et le 29 janvier pour l’anglo-suédois AstraZeneca.

Sans insister sur les atermoiements relatifs à ce dernier vaccin, L’UE est en retard avec seulement moins de 7 % de la population vaccinée deux fois. De facto, elle sortira de la crise sanitaire après ses concurrents qui en profitent pour lui prendre des parts de marché ; cette évolution qui risque d’être irréversible entretient le lent déclassement présenté dans ma chronique du 5 janvier dernier.

Parallèlement, la crise accentue mécaniquement les écarts entre les pays européens, notamment par le biais de la dette publique. Avec le recours massif à la dette pour faire face à la crise, les disparités vont s’accroître entre ceux qui maitrisaient leur endettement et ceux qui subissaient son accroissement. Une partie de cet effet collatéral a été éliminé avec la plan de relance européenne et un début de mutualisation de la dette. Mais il fut lancé avant la seconde vague démarrée en novembre 2020 et celle-ci a entrainé une rechute alors que l’économie était en train de redémarrer. Ce second plongeon qui dure déjà depuis cinq mois va fragiliser un peu plus les pays endettés, et il est peu vraisemblable d’avoir une nouvelle prise en charge collective des dettes nationales.

N’oublions pas que l’intégration européenne passe par la convergence des économies. Inversement toute tendance à l’accentuation des disparités est un ferment de division.

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Covid-19 : la redistribution planétaire des cartes

Les différences entre pays relatives aux capacités d’endettement entrainent des inégalités entre les moyens d’intervention. Certains pays ont plus que d’autres les moyens d’agir. Or, la lutte contre la pandémie passe par des aides diverses et variées à des opérateurs ou activités ; compte tenu de l’urgence de la situation, elles sont peu contestées par la Commission européenne. Cela va accentuer les distorsions de concurrence et accroître les disparités. Le marché unique est mis à mal et l’UE pourrait devenir une zone à deux, trois ou quatre vitesses. L’attelage sera de plus en plus difficile à gouverner et les préoccupations nationalistes s’accentueront ; la solidarité sera de plus en plus difficile à défendre comme on l’a vu lors des débats sur le plan de relance…

Quatorze mois plus tard, la pandémie, l’UE apparaît comme la grande perdante de la pandémie dans la redistribution des cartes à l’échelle de la planète. Pour corriger la situation, il convient notamment de :

  • Tirer toutes les conséquences de l’amputation du Royaume-Uni. Réalisé en pleine crise sanitaire, le BREXIT a été quelque peu occulté par la chronique sanitaire. Le moment est venu de traiter tous les effets collatéraux de ce départ.
  • Adopter un plan coordonné d’utilisation des réserves des banques centrales. Il y a quinze jours, j’écrivais « … À un moment ou à un autre, lorsque le niveau de la dette deviendra insoutenable, les responsables politiques finiront par utiliser les bilans des banques centrales. Les présidents et gouverneurs de banques centrales sont aujourd’hui obligés de faire rempart face à un tel risque cataclysmique. La tentation sera cependant grande d’utiliser les réserves pour effacer les créances publiques portées par les banques centrales… ! »
  • Mettre en place une vraie politique de réindustrialisation avec un « european buy act », une ouverture des marchés publics européens avec réciprocité, la sécurisation des chaines d’approvisionnement…

Posons-nous la question de l’intérêt de continuer à participer à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui s’est transformée en « Société des Nations » incapable de faire face aux dumpings monétaire, social et écologique chinois, ainsi qu’aux coups de boutoir américains.

  • Aider les PME pour défendre notre tissu économique et contenir les phénomènes de concentration préjudiciables à un aménagement équilibré du territoire européen
  • Accompagner les activités de proximitéainsi que les activités culturelles pour sauver notre « european way of life » …

La mondialisation doit être un système gagnant-gagnant. Jusqu’à présent, le consommateur européen a été un grand gagnant ; en revanche, le non-respect de certaines règles a fait du producteur européen un perdant. L’UE doit s’affirmer face à la Chine et aux États-Unis. N’hésitons pas à défendre une indépendance européenne. À défaut, les peuples rechercheront leurs besoins de protections dans les indépendances nationales. Cela explique la résurgence des mouvements populistes et l’affirmation des positions nationalistes lors des débats européens.

Un sursaut européen s’impose tant dans une dimension économique que politique.

L’affirmation d’une indépendance européenne passe par une prise en charge de la défense du continent. 75 ans après la fin de la seconde guerre mondiale, l’Europe ne peut continuer à s’en remettre aux États-Unis. Posons-nous la question de l’utilité de l’OTAN. Cela exige un développement de nos industries d’armement qui pourrait être un pilier du modèle économique des prochaines années avec le « green deal » lancé par la commission européenne.

N’oublions pas que l’UE et ses 27 États comptent près de 450 millions d’habitants ; par la taille de la population, l’UE est le 3ème ensemblele plus peuplé après la Chine et ses 1 390 millions et l’Inde et ses 1 320 millions. L’UE se caractérise par un faible taux de croissance naturel, une population vieillissante et une durée de vie de plus en plus élevée. La faible pression démographique du continent en fait une terre d’attraction pour tous les migrants du Sud, politiques, économiques ou climatiques. L’UE doit enfin avoir une vraie politique en matière de migrants ! Cela exige d’avoir le courage de gérer l’expansionnisme d’ERDOGAN.

Dans le même temps, il faudra engager des stratégies ambitieuses avec nos voisins les plus proches, le monde arabe et l’Afrique subsaharienne.

Malgré la perte de suprématie entrainée par les deux conflits mondiaux, qui ne sont rien d’autre que des guerres civiles européennes, l’Europe a su se relever de ses ruines et se construire un avenir, entre élargissement et approfondissement. Mais celui-ci est remis en cause par la boulimie du joueur de go chinois et les coups du joueur de poker américain. Si l’Europe ne veut pas sortir de l’Histoire, elle devra vite faire des choix cruciaux. À défaut, elle ne sera qu’une zone de libre-échange ouverte à tous les vents.

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