Nathalie Goulet : « Il est urgent de revoir la méthodologie du financement des associations »<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Qatar agit comme un pompier pyromane. D'un côté, il finance le terrorisme et dans le même temps, il aide à libérer les otages détenus par le Hamas.
Le Qatar agit comme un pompier pyromane. D'un côté, il finance le terrorisme et dans le même temps, il aide à libérer les otages détenus par le Hamas.
©Karim JAAFAR / AFP

Lutte contre le terrorisme

Le financement des associations d’aide aux migrants s’est invité au cœur du débat sur le projet de loi immigration.

Nathalie Goulet

Nathalie Goulet

Nathalie Goulet est sénatrice de l'Orne depuis 2007. Elle a publié « L’Abécédaire du financement du terrorisme » aux éditions du Cherche Midi en 2022.
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Atlantico : Le financement des associations d’aide aux migrants s’est invité au cœur du débat sur le projet de loi immigration. Les chiffres seraient sous-estimés. Cela représenterait en réalité plus d'un milliard d'euros. Est-ce qu’une partie de ces sommes sont détournées et financent le terrorisme ? 

Nathalie Goulet : Il y a un financement du terrorisme lié au trafic d'êtres humains dans le monde. Comprenez-moi bien. Je n’accuse pas les associations d’aide aux migrants mais les chiffres mondiaux sont effarants : 40 millions de personnes touchées dans le monde, dont 25 millions en situation de travail forcé. 150 milliards de dollars de revenus tirés du trafic d’êtres humains (évaluation 2018), dont 5,5 à 7 milliards par an pour le trafic de migrants.

Je reviendrai sur la question du financement des associations.

Parlons du financement du terrorisme :

Une réunion spéciale du Comité de lutte contre l'aide financière au terrorisme dans les pays du Golfe était récemment organisée à Riyad. Ce phénomène prend de plus en plus d’importance. Le numéro deux du Trésor américain, Wally Adeyemo, a fait monter la pression autour de ses alliés européens. Selon lui, la lutte contre le financement du terrorisme devient une priorité absolue. 

La donne a changé pour un certain nombre de pays au Moyen-Orient qui maintenant peuvent être visés par le terrorisme. L'Arabie saoudite a fait d'énormes progrès en matière de lutte contre le financement du terrorisme. 

Tout blanchiment d'argent n'est pas obligatoirement du financement du terrorisme, mais tout terrorisme passe par le blanchiment d'argent. Donc la lutte contre le blanchiment, la fraude et l'évasion fiscale est essentielle. Le financement du terrorisme passe par la délinquance financière. 

La France n’est pas du tout assez armée pour lutter contre le financement du terrorisme. Il y a de nouveaux modes de financement. Il n'y a pas suffisamment de volonté et d’efforts entrepris pour venir à bout de ces pratiques et pour s’en prémunir. 

Le financement des associations en France et en Europe est tout à fait lacunaire. 

Cela fait longtemps que j’alerte avec d’autres sur les financements qui manquent de discernment de l’Europe et de certaines institutions internationales financements d’associations directement liées avec les Frères musulmans. Il est absolument urgent de revoir la méthodologie du financement des associations à la fois pour le financement direct mais aussi concernant le financement via les défiscalisations et les collectes de fonds. 

De ce point de vue-là, nous sommes vraiment extrêmement naïfs.

Des grandes entreprises peuvent même, d'une façon ou d'une autre, coopérer avec le terrorisme, comme est présumé dans l’affaire Lafarge. Une procédure est ouverte contre ce grand groupe pour avoir contribué au financement de Daech. 

La France est aussi très faible en matière de lutte contre la délinquance financière, sur les paradis fiscaux et sur les ports francs.  

Quelle est la réalité du financement du terrorisme, au-delà des associations ? Les crypto monnaies par exemple sont utilisées pour financer le terrorisme…

Il y a 1001 moyens, Le financement du terrorisme passe également par le trafic d'êtres humains, qui est totalement effrayant, par la contrefaçon, la piraterie, les cryptomonnaies, les cartes prépayées. Il y a donc une véritable galaxie du financement du terrorisme. 

Certains financements, par les Etats, sont beaucoup plus importants. Sur ce sujet, il est urgent de revoir nos relations avec le Qatar notamment. Il faut lutter contre un triptyque mortifère d’organisations qui sont le Hezbollah, le Hamas et les Frères musulmans. Cette galaxie est hébergée, nourrie et logée au Qatar. Nous ne sommes pas encore prêts à nous attaquer au financement de ces organisations par Doha et l’Iran.

Quel est le montant des sommes d’argent qui sortent de France chaque année ? Via notamment les circuits plus opaques ? 

On sait quelle est la part de la contrefaçon, du trafic de drogue, de la traite des êtres humains de la piraterie dans l'économie mondiale. Cela représente des sommes colossales. Une partie finance le terrorisme.

La femme d'une des victimes franco-israéliennes du 7 octobre a décidé de saisir le parquet antiterroriste. Elle a demandé à ce que l'enquête soit étendue au financement du terrorisme. Elle veut savoir comment ces opérations ont été financées.

L'Iran, qui est ciblé par de nombreuses sanctions financières, utilise beaucoup les cryptomonnaies. De nombreux médias ont évoqué le fait que l’opération du Hamas à Gaza a été financée par l'Iran et le Qatar. Il y a des liens. Les circuits de la délinquance financière constituent les vecteurs du financement du terrorisme. 

Avec les discussions sur la loi de finance que nous allons abordée la semaine prochaine il faut absolument que le gouvernent accepte certains amendements pour beaucoup plus de contrôles sur le financement des associations.

Il faut aussi beaucoup plus de contrôles sur les financements étrangers qui arrivent en France et en Europe. Il faut être beaucoup plus sérieux sur le blanchiment d'argent et la fraude fiscale. Il faut être intransigeant sur les paradis fiscaux, sur les ports francs. Il faut vraiment être extrêmement sérieux et irréprochables sur toutes les questions de blanchiment parce que c'est le nerf de la guerre contre le financement du terrorisme. La France doit envoyer un signal. 

Le Qatar est-il un cheval de Troie dans le cadre du financement du terrorisme ? Faut-il revoir notre rapport avec le Qatar ?

Le Qatar agit comme un pompier pyromane. D'un côté, il finance le terrorisme et dans le même temps, il aide à libérer les otages détenus par le Hamas. On est en pleine schizophrénie. La France a une convention fiscale avec le Qatar qui fait de notre pays un paradis fiscal. Lorsque j'interroge le ministre de l’Economie pour savoir combien nous coûte la convention fiscale avec le Qatar, le ministre est incapable de répondre. Le Qatar ne paie quasiment pas d’impôts en France.

Comment jugez-vous les relations de la France avec le Qatar aujourd'hui ? 

Lorsque Bruno Le Maire était candidat à la présidence de la République, il voulait quasiment que la France puisse rompre ses relations diplomatiques avec le Qatar. Mais je crois qu'il a changé d'avis. Il faut que les choses soient beaucoup plus claires.

Il y a quelques années, le Qatar a été boycotté par les autres pays du Golfe à cause de ses liens avec les Frères musulmans. Cela reste un sujet de préoccupation. Le Hezbollah, les Frères musulmans, le Hamas et ses menaces lancée hier au monde, tout cela doit cesser d’etre un sujet tabou.

La position du Qatar est est celle d’un pompier pyromane. Il faut se rappeler que c'est au Qatar que le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a serré la main des talibans qui avaient promis d'être inclusifs… les femmes afghanes ne nous disent pas merci ! 

Comment établir un dialogue de franchise avec le Qatar alors qu’on leur achète désormais plus de gaz suite à la crise avec la Russie, et alors que manifestement Doha est notre seul interlocuteur dans le monde arabe et avec lequel il est possible de négocier ?

Je ne suis pas d’accord, la France a de bons rapports avec les autres pays du Golfe. Je pense que l'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis notamment sont des partenaires sérieux et eux luttent activement contre les Frères musulmans. 

Bahrein a aussi sa place et a signé les accords d’Abraham dont on ignore s'ils résisteront à la guerre à Gaza…

La question du financement du terrorisme mérite un dialogue de vérité. Nous sommes face à une situation extrêmement grave. La réunion à Ryad sur la lutte contre le financement du terrorisme peut porter ses fruits. 

Mais le Qatar peut être une partie de la solution puisqu'il est une partie du problème. Des engagements doivent être pris afin que le Qatar ne finance pas en France et en Europe des associations qui sont contraires aux principes républicains.

La question vient de se poser pour le lycée Averroes de Lille financé depuis l’origine par le Qatar.

Qu’est-ce le gouvernement pourrait faire par rapport au Qatar et à la question du financement du terrorisme ? 

 Il faut avoir une meilleure vision des financements étrangers des associations. Dans le cadre de la loi de finances, je vais proposer des amendements en matière de lutte contre la fraude fiscale, contre le blanchiment, etc. J'espère que le gouvernement va prendre des mesures. Le ministre des Comptes publics a monté une espèce de comité Théodule sur la lutte contre la fraude fiscale. Gabriel Attal, à ce poste, avait fait des propositions très importantes et très intéressantes. Nous avons trop attendu. Le sujet devient d'une extrême urgence et d'une extrême actualité. Il faut agir dans le cadre de la lutte contre le blanchiment, contre la fraude fiscale et contre le financement du terrorisme, comme le demandent les Américains enfin ! C'est un sujet éminemment important qui est redevenu d'actualité avec les attaques du Hamas. 

La France n’est pas assez prudente en matière de financement du terrorisme. Il s’agit d’un grand sujet qui touche la délinquance financière. Tant que l'on n'aura pas mis le turbo sur la lutte contres le blanchiment, la fraude fiscale, la corruption, l'évasion fiscale, La France va rester dans des zones d'inconfort et d'insécurité.

Revoir notre convention fiscale avec le Qatar va-t-il nous obliger à revoir nos liens diplomatiques avec le pays ? 

Non ! Nous sommes dans le scketch de Coluche. Plus tu peux payer et moins tu payes !

Un dialogue doit avoir lieu. On a voté à l'OCDE des mesures spéciales afin de pouvoir réviser les conventions fiscales. La situation a changé. Il devrait être possible de revoir cette situation. Cela doit d’autant plus s’imposer à nous au regard de notre situation budgétaire qui est calamiteuse. 

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