Milei, le fou argentin ? Ce que ne comprennent décidément pas les analystes « mainstream » aux attentes des électeurs tentés par le populisme<!-- --> | Atlantico.fr
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Javier Milei dans un bureau de vote à Buenos Aires lors du second tour de l'élection présidentielle du 19 novembre 2023.
Javier Milei dans un bureau de vote à Buenos Aires lors du second tour de l'élection présidentielle du 19 novembre 2023.
©Luis ROBAYO / AFP

Argentine

Le nouveau président argentin n’a pas été élu malgré ce que certains apparentent à de la folie. Mais grâce à la mise en scène de cette folie.

Pierre Clairé

Pierre Clairé

Pierre Clairé est analyste du Millénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques diplômé du Collège d’Europe

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Atlantico : Javier Milei a remporté l’élection présidentielle argentine lundi 20 novembre, avec 55,6% des voix contre 44,3% pour son adversaire, le centriste Sergio Massa. Cet « anarcho-capitaliste », libertarien, promet de s’attaquer « à la tronçonneuse » aux problèmes de l’Argentine. L’élection d’une personnalité aussi clivante est-elle rendue possible à cause des nombreux problèmes rencontrés par le pays depuis plusieurs décennies ?

C'est exactement cela, et il est impossible de comprendre le phénomène Milei sans se replacer dans le contexte argentin et la situation de ce pays d'Amérique latine depuis certaines années. Ces derniers jours, les comparaisons entre Javier Milei et Donald Trump se sont multipliées dans les médias, alors que ces deux hommes politiques ne sont pas semblables. J'ai l'impression que les médias aiment les raccourcis simplistes, comme on l'a vu lors d'autres élections, par exemple quand Giorgia Meloni était caricaturée en Marine Le Pen italienne.

L'Argentine a souffert du péronisme, populisme de gauche caractérisé par un étatisme fort et qui a amené à une catastrophe économique. De nombreux hommes et femmes politiques se sont réclamés de cette pensée politique imagineé par Juan Perón, on peut citer Néstor Kirchner et sa femme Cristina Fernández qui se sont partagés le pouvoir durant de longues années 21ème siècle (Fernández est l’actuelle vice-présidente). Pour Javier Milei, cette pensée est néfaste et a causé la catastrophe connue par le pays. Sur ce point il n'a pas tort et c'est grâce à cette opposition au système péroniste qu'il a réussi à émerger politiquement jusqu'à être élu. Son opposant, Sergio Massa, est l'actuel ministre de l'économie du pays et se réclame de cet héritage. Alors que le pays a enregistré une inflation de 143% lors du dernier mois, le ministre a constitué une cible facile pour Milei. Les Argentins se sont dit qu'ils ne pouvaient plus continuer ainsi et faire une nouvelle fois confiance à ceux qui les ont mis dans cette situation calamiteuse, ainsi le discours de Milei a pu plaire. En effet il a émergé sur le tard, n'est élu que depuis 2021 et préconise de faire table rase du passé et prendre des mesures fortes pour que l'Argentine relève la tête économiquement (dollarisation de l'économie, fin de la Banque Centrale, moins de ministères et de dépenses…).

Javier Milei a créé de très nombreuses polémiques lors de la campagne, notamment en s’attaquant au Pape, intouchable en Argentine. On pense aussi à la légalisation de la vente d’organes ou à son discours sur la suppression totale de plusieurs ministères. C’est en utilisant des discours transgressifs / populistes qu’il a pu conquérir le pouvoir ?

Se montrer transgressif est le meilleur moyen de monter vite en politique et de se faire connaître, c'est notamment la stratégie utilisée par les populistes ou les nouveaux arrivants. Milei, comme Trump avant lui, n'a pas usé de moyens "traditionnels" pour parvenir au sommet mais s'est plutôt focalisé sur son potentiel de nuisance et sur un discours choc pour exister. Comme Trump, il s'est fait connaître par le biais de ses apparitions télévisuelles et ses prises de position parfois choquantes mais toujours mémorables. C'est comme cela qu'il a pu faire monter son mouvement libertarien et se faire élire député en 2021. C'est aussi grâce à ses vues transgressives qu'il a pu dominer les différents sondages d'opinions cette année, avant de sortir largement en tête de la primaire du mois d'août. On peut dire que Milei, comme d'autres avant lui, montre qu'en politique il n'y a pas de mauvaise publicité, d'autant plus si, comme lui, on parle à une population qui demande du changement et est tentée par de nouvelles recettes face à l'échec des anciennes.

Même si je suis convaincu que c'est ce discours transgressif et extrême qui a pu lui permettre de se faire un nom politiquement, il faut reconnaître qu'il a bien failli lui jouer des tours. Alors qu'il était en tête des derniers sondages réalisés avant le premier tour, il s'est fait dépasser par Massa le jour de l'élection et a obtenu moins de 30% des voix. Les observateurs ont montré que les causes principales de cela étaient son discours clivant et la promesse d'un électrochoc économique, qui ont pu effrayer certains électeurs. Mais en mobilisant ses troupes et en discutant avec Patricia Bullrich, candidate malheureuse de centre droit, il a pu se refaire une santé et séduire au-delà de son électorat du premier tour. Ainsi le discours transgressif vous permet d'exister mais pas de triompher en politique, pour conquérir le pouvoir il faut rassembler et non cliver.

Comment expliquer cet attrait pour de tels discours ?

Un tel discours peut plaire dans certains cas et il est possible de généraliser pour obtenir les principales raisons de sa réussite.

Tout d'abord ce discours a un échos certain quand il y a un désir de changement fort dans le pays. En cas de stagnation ou de crise, alors que le mécontentement de la population est au plus haut, des figures transgressives peuvent émerger en promettant un renouveau.

Deuxièmement, des figures transgressives peuvent réussir dans des pays où le rejet du personnel au pouvoir, des normes ou conventions est fort. Ce genre de discours plaît aux personnes se sentant aliénées ou lésées (par exemple quand la pauvreté est importante).

Un homme politique transgressif est vu comme authentique car rejetant le discours édulcoré classique. Tout cela peut être rafraîchissant et plaire à beaucoup, surtout, les transgressifs sont vus comme les portes paroles des incompris ou laissés pour compte.

Les personnalités transgressives captent l'attention, surtout des médias traditionnels qui parlent souvent d'eux. Ainsi ils sont bien connus des citoyens car ils occupent l'espace médiatique et peuvent mieux faire passer leur message. 

Enfin, les transgressifs sont passés maîtres dans l'art de jouer sur les émotions des électeurs, en provoquant de fortes réponses émotionnelles dans la population. Elles peuvent être positives ou négatives, qu'importe, car leurs défenseurs sont fanatisés et plus engagés et leurs détracteurs les rejettent profondément. Ainsi, ils font parler d'eux ce qui multiplie leur impact…

In fine, existe-t-il une forme de rationalité à penser que seul un individu radicalement différent, voire « dingue » pourrait enfin changer les choses dans des systèmes enlisés dans les mêmes contraintes depuis des décennies ? La folie peut-elle devenir une force en politique ?

Faire un lien entre la radicalité d'un personnage et sa réussite électorale est risqué pour moi. Si c'était le cas, Marine Le Pen ne chercherait pas à normaliser son parti pour arriver au pouvoir et le simple discours extrême de son père aurait dû suffire à les mener au pouvoir. Je pense que tout est question de dosage mais surtout de se lancer au bon moment. Milei a profité de la situation calamiteuse du pays, miné par des années de péronisme. Bolsonaro a profité des ennuis de la Gauche brésilienne en matière de corruption pour se faire élire en 2018. Trump détonnait face aux hommes politiques américains au pouvoir depuis des décennies et offrait de l'espoir aux Américains de la Rust Belt par exemple, eux qui se sentaient oubliés.

La véritable folie n'est pas pour moi une force en politique car tôt ou tard les masques tombent et les paroles doivent se confronter à la réalité. Ainsi, malgré ses excès de langage, Javier Milei est un économiste reconnu capable de disserter durant des heures sur le libéralisme économique. Ses idées, bien qu'extrêmes sont basées sur un raisonnement cohérent ce qui a pu faire dire aux Argentins "Essayons, derrière ce style original se cache un expert de la chose économique et les politiciens que nous avons connu par le passé ont tous échoué". Les médias n'ont de cesse de se moquer de Donald Trump, mais il connaît mieux la politique traditionnelle que ses adversaires. Il joue de cette image de "fou" pour mieux faire parler de lui, mais en réalité sa stratégie est bien rodée. Ainsi une touche de folie en politique est nécessaire, mais il faut en user avec parcimonie. Je dirais que c'est la rationalisation de la transgression qui est nécessaire, il faut connaître son auditoire et ses forces pour réussir…

Pierre Clairé, directeur adjoint des Etudes du think tank Le Millénaire et spécialiste des questions internationales et européennes

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