Michelin veut un salaire minimum décent, Bravo ! Encore faut-il le définir et pouvoir le financer<!-- --> | Atlantico.fr
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Michelin qui a près de 150 000 salariés est un groupe international dont une très grande partie des fabrications sont localisées dans les pays émergents dont l’Inde.
Michelin qui a près de 150 000 salariés est un groupe international dont une très grande partie des fabrications sont localisées dans les pays émergents dont l’Inde.
©Nicolas Armer / dpa / AFP

Atlantico Business

En annonçant des hausses de salaires dans le monde entier, Michelin a raison et s’offre une campagne de com' à bon compte. Mais quand Michelin prétend que son système pourrait être généralisable, il envoie les autres dans le mur d’une organisation quasi-soviétique.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Beaucoup de patrons se sont frottés les yeux en apprenant la décision de Michelin de renouveler son système de rémunération. Le fabricant de pneus a en effet annoncé qu'il mettait en place pour tous les salariés du groupe dans le monde « un salaire décent » permettant de subvenir aux besoins essentiels d’une famille de 4 personnes et, en moyenne, ce salaire décent pour une famille moyenne va représenter entre 1,5 et 3 fois le salaire minimum dans le pays concerné. Passons sur ce que Michelin annonce comme un salaire décent, passons sur la définition de ce qu'il appelle les besoins essentiels d’une famille moyenne de 4 personnes, passons même sur les considérations de Michelin sur les insuffisances du SMIC.

D’abord reconnaissons que les montants de salaires qu'il met en place sont très intéressants et tous les salariés de France et de Navarre voudraient bien appartenir à Michelin. Le salaire décent de Michelin serait donc de 39 638 euros bruts annuels à Paris, mais 25 356 euros à Clermont-Ferrand, alors que le SMIC n’est que de 21 203 euros. Au Brésil, le salaire décent Michelin serait de 37 347 reals, deux fois le salaire minimum ; en Chine, Michelin paie 3 fois le salaire minimum. L’idée de Michelin est de considérer que le montant de la décence dépend du lieu où on travaille et du cadre de vie. La vie coute plus chère à Paris qu’à Clermont Ferrand, le salaire décent à Paris doit donc être plus élevé à Paris qu’à Clermont .. Logique.De même que le salaire minimum et décent verse à Clermont sera supérieur au salaire décent, verse à New Dehli.

Alors, personne ne regrettera le niveau de la politique salariale de Michelin, et surtout pas les salariés du groupe ou tous ceux qui cherchent à y travailler. À une époque où le marché de l'emploi est tendu, Michelin se fabrique une marque-employeur particulièrement attractive. Un fois de plus, Michelin a raison... Mille fois bravo...

Mais là où la communication dérape et risque d’être toxique pour les autres, c’est quand Michelin s'installe comme mentor du patronat ou modèle et reproche d’un côté aux entreprises de ne pas faire le même effort, et s’étonne de l'insuffisance du niveau de salaire minimum... ce qui est évident mais ce n’est pas son rôle de reprocher, in fine, aux syndicats de ne pas faire leur métier. Parce que en définissant un salaire décent chez Michelin, il démontre aussi que le Smic actuel verse dans les autres entreprises est indécent .Ça n’est pas forcément très habile d’un point de vue politique parce que ça occulte les contraintes et les difficultés que rencontrent beaucoup d’entreprises. Trois remarques 

1erremarque, il fait évidemment être capable de verser un salaire minimum beaucoup plus décent que le Smic. C’est-à-dire disposer d’un modèle économique qui le permette. Michelin a une productivité et une compétitivité qui lui permet un partage de valeur plus favorable. Michelin n’est pas la seule entreprise française a verser des niveaux de salaires supérieurs aux minima, il faut regarder les grilles dans l’industrie du luxe, dans l’Energie, dans l’agro-alimentaire (par forcement dans tous les groupes, mais certains très connus le font) d’assurance ou dans la banque. Alors Michelin peut expliquer que ce choix d’un salaire décent relève d’une volonté politique, morale, ou même religieux (la tradition religieuse chez Michelin n’a pas disparu ) mais Michelin pourrait aussi expliqué que si elle le fait c’est que ce groupe en a les moyens. Michelin ne peut pas parler pour toutes les entreprises qui paie au Smic parce qu’elles ne peuvent pas faire autrement : dans les services à la personne, la restauration, par exemple. En plus ces entreprises ne peuvent pas délocaliser.

2e remarque, Michelin qui a près de 150 000 salariés est un groupe international dont une très grande partie des fabrications sont localisées dans les pays émergents dont l’Inde. Alors quand Michelin annonce qu’il fixe un salaire décent en Inde très supérieur au smic local, il faut savoir que ce salaire Michelin en Inde restera encore 3 fois inférieur à celui qu’il fixe en France. Moralité cette politique-là encourage Michelin a encore et toujours délocaliser dans les émergents.

3e remarque, quand Michelin s'arroge la liberté de définir ce qu'est un salaire décent pour une famille moyenne, il prend une liberté qui peut être toxique . La famille idéale se composerait de 4 personnes avec un père qui travaille, une mère qui reste à la maison s'occuper des deux enfants dans une maison où chacun aura sa chambre. On n’oublie pas évidemment la voiture, etc., etc. Michelin va même jusqu’à définir un « socle de protection sociale universel » avec une couverture santé des salariés et de la famille, un congé de maternité de 14 semaines et un congé de paternité de 4 semaines, le tout rémunéré à 100%. Sans oublier le versement d'un capital décès pour permettre à la famille de vivre, et une rente éducation pour les enfants. Bon alors on a compris que le socle social était différent selon de cadre de vie ou le pays de résidence.

Sans caricaturer ou polémiquer, les dirigeants de Michelin rêvent finalement de restaurer une société soviétique où tout serait décidé et planifié… c’est évidemment inimaginable quand on sait que les facteurs de progrès sont surtout dans les mécanismes de l'économie de marché avec comme moteur la concurrence.

Le niveau de salaire dépend de la capacité de l'entreprise, de sa compétitivité, de ses prix, de ses innovations... et la fixation d'un salaire minimum, le SMIC, dépend des conditions macroéconomiques et des pressions sociales et inflationnistes. C’est un indicateur pour les salariés et pour les entreprises. On ne peut pas décemment obliger toutes les entreprises à pratiquer une politique salariale à l'image de celle annoncée par Michelin. Mais le plus grave c’est quand Michelin a la prétention ou l'arrogance de fixer le niveau de la décence en termes de niveau de vie : une famille de 4 personnes, etc., etc.

Les pays communistes ont essayé de planifier ainsi jusqu’à la vie privée, Fourier aussi au 19e siècle avec son utopie folle de proposer des phalanstères. On ne va pas imaginer que Michelin rêve de recréer des phalanstères à l'époque d'internet... mais on peut imaginer que certains y aient pensé.

La politique salariale de Michelin est formidablement intéressante pour ses salariés et en général, les entreprises qui se portent bien ont mis en place un management des relations humaines qui garantit la fidélité et l'engagement du personnel. C’est le facteur le plus important de leur succès. Mais en faire un outil de prosélytisme pour que le système tout entier s’inspire du modèle, il y a un pas qui serait plutôt contre-productif. Le système économique a surtout besoin de liberté pour renforcer ses performances économiques et de contre-pouvoirs pour protéger les conditions sociales.

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