Mais qui mesure l’ampleur de la catastrophe économique que l’Europe s’est auto infligée depuis 2008 ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le siège de la Banque centrale européenne, à Francfort
Le siège de la Banque centrale européenne, à Francfort
©AFP / DANIEL ROLAND

Mal auto-infligé

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Dans quelle mesure l’Union Européenne, et plus particulièrement la France, a vécu une catastrophe économique depuis 2008 ? Dans quelle mesure cette tragédie aurait-elle pu être évitée ? 

Alexandre Delaigue : Si l’on veut parler d’une tragédie, cela concerne surtout la croissance qui s’est très fortement ralentie en Europe depuis la crise financière de 2008. Il n’y a quasiment pas eu de croissance depuis cette période-là. Ce phénomène a été spécifique à l’Europe. Cette situation s’est accompagnée d’un vrai décrochage par rapport aux Etats-Unis, même si les USA ont aussi subi la crise financière de 2008. Mais depuis, la croissance américaine, sans être mirobolante, a repris son cours normal. Un décalage important s’est donc établi entre l’Europe et les Etats-Unis. Ce décalage s’explique en partie à cause de la réalité de la zone euro. Le redémarrage de l’économie européenne, après la crise financière de 2008, a été beaucoup plus lent. Sur une longue période, jusqu’à 2016, la zone euro a été confrontée à des difficultés économiques et sans redémarrage.

La politique macro-économique n’a pas été la même non plus entre l’UE et les Etats-Unis. A partir de 2008 et ensuite à partir de 2016, un plan de relance relativement important a été mis en place et une politique budgétaire avec une forte baisse des impôts a été instaurée aux Etats-Unis. Il n’y a pas eu du tout le même genre de choses en Europe. Au contraire, les contraintes se sont appliquées sur les déficits.

Si nous devions chercher des responsables à cette crise, ou faudrait-il regarder ? 

Si l’on voulait chercher une explication à ces problèmes, il aurait été préférable que la crise de l’euro soit résolue plus rapidement. Cette crise a été le résultat de la situation politique telle qu’elle était en Europe. On peut déplorer les atermoiements et la longueur de la crise. La responsabilité se trouve plutôt du côté des politiques européens dans ce domaine. La résolution de la crise de la zone euro a été un processus long. Cette crise était complexe.

L’Europe n’est pas un pays dans lequel il y a un gouvernement comme aux Etats-Unis qui peut décider de faire un vaste programme budgétaire. Un large plan européen pour l’économie aurait été difficile à mener.

Aux Etats-Unis, la politique budgétaire à partir de 2016 a été celle de l’administration Trump. Cette politique était assez aventureuse et présentait de nombreux risques.

L’origine du problème n’était pas si facile à identifier. Cela concerne essentiellement les politiques qui ont été menées.

Cette courbe (voir ci-dessous) permet de comparer la consommation des biens réels entre décembre 2019 et février 2023 en France (-5,5%) et aux Etats-Unis (+15,6%). Comment expliquer ce décalage ? Quelles sont nos lacunes et quelles sont les forces des Etats-Unis ?

Certains aspects sont liés à la différence de la manière dont nous avons réagi à la pandémie de Covid-19 et du soutien apporté à l’économie. Des chèques étaient envoyés directement aux citoyens aux Etats-Unis pour qu’ils puissent consommer. Ce type de mécanisme n’a pas été déployé en Europe. L’évolution des revenus est aussi la clé de l’explication. Il n’y a pas d’évolution de la productivité et des revenus, cela va nécessairement se répercuter sur la consommation. L’Europe est aussi un peu plus touchée par le vieillissement que les Etats-Unis.   

"T-Rex Chart" : Real Goods Consumption France : Dec 19-Feb 23 : -5.5% United States : Dec 19 -Jan 23 : +15.6%

La France peut-elle rattraper son retard et un régime de croissance nominale de 4%, soit 2% d'inflation et 2% de croissance réelle, conforme à la tendance des années 1995-2008 ? Que faudrait-il faire ?

La question démographique est un enjeu important. Nous sommes confrontés à un vieillissement de la population. Cela rend les objectifs difficilement atteignables et nous ne sommes pas sûrs d’avoir le même potentiel de croissance à l’avenir par rapport aux réalités des années passées.

La politique économique pourrait aussi être plus expansionniste. Nous sommes déjà dans une situation dans laquelle il y a eu un fort soutien à l’économie, notamment lors de la crise du Covid, ce qui a provoqué une forte augmentation de la dette publique.

Sur la politique macro-économique, il n’est pas certain qu’il y ait énormément de marges de manœuvres qui puissent être entreprises.

Il serait possible d’envisager une politique d’investissement massif en Europe dans des domaines particuliers, comme l’énergie, en vue d’investir massivement dans une économie impliquée dans la réduction de ses émissions de carbone et qui serait capable de produire beaucoup plus d’énergie. Cela aurait des effets d’entraînement favorables à l’industrie. Cela permettrait de participer à une forme de réindustrialisation. La production manufacturière en Europe pourrait ainsi augmenter.

Un mélange de politique industrielle et d’investissements importants permettraient d’améliorer la situation. Il est peu probable que cela puisse aller jusqu’à un rythme de croissance comme entre 1995 et 2008. Cette période était un peu exceptionnelle dans une tendance assez lourde au ralentissement de la croissance.

Un programme d’investissements massifs en Europe se heurterait à plusieurs obstacles : des problèmes de coordination, de financement, de dette publique. Ces problèmes sont récurrents dans la situation européenne.

Face aux craintes de l’inflation et après la récente panique bancaire, l’Europe a-t-elle les moyens de trouver des solutions aux conséquences de la crise de 2008 ? La politique menée par la BCE va-t-elle dans le bon sens ?

La BCE est face à un problème insoluble. Toutes les banques centrales sont confrontées à cette difficulté en ce moment. Que choisit-on de privilégier ? Le souhait initial est de lutter contre l’inflation, ce qui impose une politique restrictive et une augmentation des taux d’intérêt. D’un autre côté, il y a l’objectif de la stabilité financière. Or, cette stabilité est menacée par les taux d’intérêt. Les banques centrales sont donc dans une posture délicate. La plupart des pays développés sont confrontés aux mêmes difficultés actuellement. L’Europe n’est pas la seule à être fragilisée et en difficulté sur ces enjeux-là

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