Louis Maurin : « Il est illusoire de croire que nous pourrions réduire les inégalités en ciblant uniquement les 1% les plus riches »<!-- --> | Atlantico.fr
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Louis Maurin publie « Encore plus ! Enquête sur ces privilégiés qui n’en ont jamais assez » aux éditions Plon. Le directeur de l'Observatoire des inégalités dresse un tableau économique et social à rebours du discours ambiant.
Louis Maurin publie « Encore plus ! Enquête sur ces privilégiés qui n’en ont jamais assez » aux éditions Plon. Le directeur de l'Observatoire des inégalités dresse un tableau économique et social à rebours du discours ambiant.
©MICHEL EULER / POOL / AFP

Entretien Bonnes feuilles

Louis Maurin publie « Encore plus ! Enquête sur ces privilégiés qui n’en ont jamais assez » aux éditions Plon. Le directeur de l'Observatoire des inégalités dresse un tableau économique et social à rebours du discours ambiant. Ce palmarès économique et social lève le voile sur cette France des " encore plus " : ceux qui traversent les crises sans embûches, tout en prétendant le contraire.

Louis Maurin

Louis Maurin

Louis Maurin est directeur de l’Observatoire des inégalités.  

 
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Atlantico : Vous publiez « Encore plus ! – Enquête sur ces privilégiés qui n’en ont jamais assez » aux éditions Plon. Vous établissez un palmarès économique et social à rebours des idées reçues. Vous vous êtes penchés notamment sur cette France des "encore plus" : ceux qui traversent les crises sans embûches, tout en prétendant le contraire. Qui sont donc les principaux privilégiés en France ? Uniquement des "super-riches" ?

Louis Maurin : Une grande partie du propos de ce livre consiste à dire qu’il ne s’agit pas simplement des super riches mais que ceux qui voient leurs revenus augmenter aujourd’hui sont une frange bien plus large. En se focalisant sur une toute petite poignée d’ultra riches, les 1% du dessus, il y a toute une partie de la population aisée, que je situe à partir des 20% supérieurs et 80% qui gagnent moins, qui voit ses revenus qui continuent d’augmenter contrairement au reste de la France et qui s’enrichit aujourd’hui.

Pour les catégories populaires, cela fait une vingtaine d’années que les revenus n’augmentent plus et pour les classes moyennes, cela fait à peu près quinze ans.

Nous n’assistons pas donc à une explosion des inégalités avec des super riches qui s’enrichissent mais il existe plutôt une fracture générale de l’univers des catégories sociales. Une forme de démagogie consiste à pointer du doigt les super riches et à ne pas voir sa situation.

Il y a néanmoins des formes d’enrichissement considérable des plus riches, des fortunes qui sont indécentes et un gaspillage d’argent massif du côté de ces catégories-là. Mais si on le regarde simplement sous cet angle, on passe à côté de toute une partie des inégalités.

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Malgré la devise de notre pays (Liberté, égalité, fraternité) et au regard de votre livre, la France est-elle une terre d’inégalités ? Vous dénoncez notamment l’insécurité sociale, la dynamique brisée des classes populaires et moyennes, les difficultés au sein du système scolaire, la France d’en haut, d’en bas et du milieu…

Qui aime bien châtie bien. Le modèle social français a d’énormes qualités par rapport aux autres. Les critiques que je fais sont à chaque fois assorties de propos qui montrent tout de même bien que par rapport aux autres, la performance française est plutôt bonne.

Je ne parlerai pas de terre d’inégalités. Ce n’est pas du tout mon propos. Mais nous sommes dans une situation de dégradation dans certains domaines qui organisent des tensions sociales. Il y a des fractures, de l’insécurité sociale entre les stables et les instables, des inégalités scolaires qui nourrissent ces tensions. Ils ne forment pas une terre d’inégalité mais déjà Tocqueville rappelait que plus on est proche, plus on est sensible. Le fait qu’un modèle se dégrade, même s’il reste bon, est vécu de manière difficile. C’est d’autant plus grave que nous avons des aspirations à l’égalité. Nous avons des aspirations au progrès social et on a le sentiment, souvent malheureusement à raison, qu’on se retrouve avec des situations dégradées et que la devise de notre pays est effectivement pour partie plus très juste pour certaines catégories de la France d’en bas, de la France du milieu aussi et sans exagérer le propos. Par exemple, l’école n’augmente pas les inégalités mais elle est taillée sur mesure pour les plus favorisés et cela heurte beaucoup de nos concitoyens quelles que soient d’ailleurs leurs opinions politiques.      

L’espoir demeure fort heureusement. Vous proposez en effet certaines idées pour agir réellement contre les inégalités et vous apportez des motifs d’espoir ? Quels sont-ils ? Alors que François Mitterrand avait utilisé sa formule sur le chômage (prononcée en 1993 « Dans la lutte contre le chômage, on a tout essayé »), a-t-on réellement « tout essayé » contre les inégalités ?

Quand le politique baisse les bras, on va vers de graves difficultés. Il est faux de dire qu’on a « tout essayé » contre les inégalités. Il ne faut pas sous-estimer le poids de contraintes internationales, de la globalisation qui sont réelles mais si le politique nous dit qu’on ne peut plus, c’est la mort de l’action collective.

Je ne ferai pas ce travail si je pensais qu’il n’y avait pas de solution. C’est un peu comme avec les questions sur le climat. Si on pense qu’il n’y a rien à faire, ce n’est pas vraiment la peine alors de s’activer ou de le dénoncer… Autant regarder une bonne série avec une bonne bouteille de vin !

Je suis vraiment persuadé que non seulement on n’a pas tout essayé mais qu’il y a une grande part de la population qui est tout à fait convaincue que l’on peut et que l’on doit encore agir. C’est ce que j’essaye de développer dans ce livre aussi bien au niveau des inégalités scolaires, des services publics, des discriminations. Derrière une France que l’on veut voir en noir et blanc, que l’on veut voir à coup de petites phrases et de simplisme, il y a énormément de leviers sur lesquels politiquement il serait possible de se mettre d’accord. Aujourd’hui, par exemple, cela concerne les difficultés des jeunes. Ce n’est plus possible qu’entre 18 et 25 ans, quand on est un jeune en difficultés, la collectivité ne vous aide pas. C’est un exemple mais il y en aurait beaucoup d’autres. Si on prend la situation des personnes âgées qui ont peu de moyens, leur situation est souvent très délicate. Si on prend la situation des crèches, du logement, des écoles etc.

Je pense que nous avons un bon modèle mais que l’on manque d’élan politique pour aller dans ce sens-là.    

Le quinquennat d’Emmanuel Macron a été marqué par de nombreuses crises sociales liées aux inégalités et au pouvoir d’achat comme avec le mouvement des Gilets jaunes, la mobilisation contre la réforme des retraites, la colère du monde hospitalier ou des policiers sur le manque de moyens ou bien encore sur le statut de la SNCF. Comment expliquer que ce président qui maîtrise l’art du « et en même temps » ait suscité tant de défiance sur ces questions ? Ce défaut et cette colère sociale et économique risquent-ils de lui faire défaut pour les prochaines échéances électorales ? 

Je crois qu’il y a une grande déception de la population. Ce « et en même temps » a été seulement dans un sens. Ce qui a été concédé l’a été suite à des manifestations d’une ampleur considérable d’une population de classe moyenne et populaire avec le mouvement des Gilets jaunes. Rien n’aura été concédé sur ce terrain-là avec la prime d’activité. L’art du « et en même temps » cela devient de la communication. Le gouvernement par la communication cela ne marche pas. Il faut agir concrètement.

Je ne veux pas faire de procès d’intention mais j’ai le sentiment aujourd’hui qu’on a un jeune président qui ne comprend pas les difficultés des jeunes, qui n’est pas à la hauteur de la crise en termes de politique et de cohésion nationale. Il n’est pas assez rassembleur, pas assez protecteur au moment où on en aurait besoin. Je ne veux pas non plus caricaturer, des choses sont faites malgré tout.

Dans son programme, il y avait tout à la fois. Mais c’est allé vraiment dans un sens. Il est peut être aujourd’hui trop tard. Il avait l’opportunité. Il a fait un premier discours au début de la crise qui était extrêmement volontariste mais ensuite nous n’avons pas vu venir les mesures à la hauteur des difficultés, je pense en particulier aux difficultés des jeunes. Quand on songe qu’aujourd’hui la majorité pense à permettre aux familles aisées à donner encore plus d’argent à leurs enfants, c’est complètement en décalage avec la situation sociale. C’est être tellement décalé de la vie des populations de classe populaire et moyenne. C’est augmenter les inégalités de destin. Au regard de ce constat, les inégalités de destin sont en marche. Cela traduit un décalage. Les précédentes majorités n’ont pas non plus accordé un minimum aux plus jeunes. C’est un décalage plus général entre ce qu’est la France aujourd’hui et la prise en compte des besoins sociaux de la France contemporaine sans prétendre avoir révolutionné les choses et notre modèle mais en termes d’améliorations très concrètes.

Quelles vont-être les conséquences de la pandémie en France sur le plan des inégalités pour les uns (les plus pauvres) et sur le plan des avantages pour les autres (les privilégiés ou les personnes protégées lors de la crise) ? Alors que l’économie américaine semble redémarrer avec un plan colossal débloqué par Joe Biden, l’incertitude qui règne en France et le calendrier électoral des prochains mois ne vont-ils pas freiner la sortie de crise dans notre pays ou aggraver les inégalités entre les indépendants et les personnes au chômage partiel ou les salariés par exemple ?

Sur les conséquences de la pandémie, je me méfie beaucoup de ce que j’appellerais la « Covidologie ». Il faut rester très mesuré. En distinguant les effets de court terme et de long terme, cette crise a affaibli les plus précaires aujourd’hui effectivement, les non-salariés, les indépendants, tous ceux qui étaient en contrat précaire et les plus jeunes. Je pense que notre modèle social amortit par rapport à d’autres dans les phases de crises, on l’avait déjà vu en 2008 et on le revoit aujourd’hui.

Je pense qu’il est difficile de comparer la puissance américaine et la puissance française.

En France, nous avons continué à payer les salaires des entreprises privées, on a massivement subventionné les entreprises et cela a permis d’atténuer la récession.

Je ne pense pas que le calendrier électoral ait forcément un effet. La majorité malheureusement est en décalage par rapport aux besoins sociaux. Une réforme de l’assurance chômage va être mise en place qui risque de peser encore plus sur les chômeurs. La réponse n’est pas à la hauteur de la crise pour un grand nombre de catégories même si évidemment, je ne fais pas partie du camp de ceux qui, comme dirait le président de la République, se contentent de documenter le sinistre et de tomber dans la facilité comme s’il serait simple de savoir ce qu’il faut faire. Ce qu’il manque profondément par rapport aux difficultés actuelles, c’est un discours sur l’effort. Il faut aujourd’hui que les Français fassent un effort. Je pense que les Français sont prêts à faire un effort. Mais malheureusement il y a beaucoup de démagogie avec une gauche qui se concentre sur les 1% les plus riches, bien sûr il s’agit d’une catégorie qui s’est énormément enrichie mais il faut aller bien au-delà. Il faut que chacun en fonction de ses moyens mette un pot commun pour amortir encore mieux les difficultés de la crise qui est tout à fait majeure.

Retrouvez un extrait de l'ouvrage publié sur Atlantico : 

- Le macronisme, coming out de la gauche inégalitaire

Louis Maurin publie « Encore plus ! Enquête sur ces privilégiés qui n’en ont jamais assez », aux éditions  Plon.

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