Les sites de streaming ont un incroyable talent... pour rémunérer les artistes une misère même quand ils sont très écoutés<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Consommation
En moyenne, les rémunérations d'artistes s'élèvent entre 0,06 et 0,084 dollars par écoute.
En moyenne, les rémunérations d'artistes s'élèvent entre 0,06 et 0,084 dollars par écoute.
©Reuters

e-bohème

La vie de Rock Star, c'est enterré ! Les artistes ne roulent plus sur l'or, et ce ne sont surement pas les sites de streaming qui leur lâcheraient un copec.

Pascal Comas

Pascal Comas

Pascal Comas est trader pour son propre compte. Passionné de musique, il collabora avec de grandes maisons de disques à la sortie des albums d'IAM, Massive Attack... Auteur d'un pamphlet intitulé Pensées à Rebrousse-Poil, il fut également co-directeur d'une grosse start-up suédoise.

Voir la bio »

Atlantico : Statista, un portail statistique anglo-saxon, fait état des bénéfices, dus au streaming et à l'acquisition légale sur internet et perçus par Zoe Keaton, musicienne de renom à en croire le nombre de ses chansons téléchargées. Le moins que l'on puisse en dire, c'est qu'ils ne sont pas bien importants. Est-ce représentatif de la façon dont internet rémunère les artistes ou certains sont-ils mieux lotis que d'autres ?

Pascal Comas : En premier lieu, il faut préciser plus avant le propos, quand on parle d'internet. En ce qui concerne  le téléchargement légal sur des sites sérieux de vente en ligne légaux, la problématique est différente de celle du streaming. Il y a un problème spécifique au streaming : les artistes n'ont pas eu leur mot a dire au niveau des deals discutés entre majors, labels et diffuseurs de streaming (Spotify, par exemple). En moyenne, les rémunérations d'artistes s'élèvent entre 0,006 et 0,0084 dollars par écoute. C'est bien évidemment ridicule, et certains artistes (notamment britanniques), comme Thom Yorke (Radiohead), ou Bryan Molko (Placebo) ont décidé d'attaquer publiquement Spotify. Les artistes sont lésés, et récupèrent la part la plus minime des revenus, qu'importe leur popularité – si Thom Yorke ou Bryan Molko se décident à attaquer Spotify… –  alors même qu'ils sont à l'origine de la musique.

Certains labels, néanmoins, comme le Beggar's Group, payent 50% des royalties aux artistes sur le streaming. Ces labels ont une attitude plus favorable à leurs artistes et il est possible que parmi eux, les plus gros vendeurs aient pu négocier une meilleure rétribution. Mais ces accords restent secret, afin que d'autres artistes ne réclament pas les mêmes conditions aussi avantageuses.

Peut-on parler d'une réelle déconnexion entre les bénéfices récoltés par les artistes grâce au streaming et l'ampleur de la diffusion liée à ce streaming ? Qu'en est-il quand on compare cette situation avec la diffusion radio - le modèle économique est-il similaire ; pourtant l'usage n'est plus du tout le même ?

C'est l'évidence. Les chiffres annoncés par Spotify présentent un ratio ahurissant : pour un million d'écoutes, Spotify ne versera qu'entre 6000 et 8400 dollars. Ce qui représente moins d'un centième de dollar reversé aux artistes à chaque écoute de leurs chansons. C'est aberrant et il n'existe aucune justification qui tienne la route. Finalement, qu'il s'agisse de streaming ou de piratage, la donne est sensiblement la même pour les artistes. Dans un cas comme dans l'autre, les revenus qu'ils touchent pour leurs chansons avoisinent le 0 total. Internet a ses avantages, notamment en ce qui concerne le gain de visibilité pour les artistes, mais dès lors qu'on s'attarde comment il rémunère ceux-ci, les musiciens sont immédiatement perdants, et sur tous les tableaux.

Quant à savoir si le modèle économique du streaming est similaire avec celui de la radio… Ça n'est pas tout à fait le cas. Dans les faits, cela pourrait l'être, mais la radio est depuis longtemps un domaine qui a été quadrillé. Il est réglementé par la SACEM (Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique), ce qui signifie que les radios sont contraintes de publier des relevés des œuvres qu'elles diffusent, ce qui est très loin d'être le cas pour le streaming qui n'est pas contrôlé de la même manière. Les rémunérations dues au streaming sont évidemment moins importantes.

Comment s'explique des rémunérations aussi faibles ? Comment ont-elles été initialement décidées ? Qui capte la valeur créée via le streaming des œuvres ?

Parce que l'on vient d'une situation dans laquelle le téléchargement illégal avait massacré les recettes des labels, les accords se sont conclus sur la base du principe qu'il vaut mieux un peu que rien du tout. Mais les labels en ont profité pour léser les artistes : par exemple sur ce qu'ils reçoivent de Spotify (qui est déjà ridicule), les labels ne reversent que 8 a 15% aux artistes selon Billy Bragg.

Souvent les pourcentages sont toujours basés sur une époque ou les labels avaient des coûts liés a l'envoi gratuit de supports physiques aux diffuseurs, alors que la musique est désormais dématérialisée. Ne serait-il pas normal que sur le revenu généré par un morceau, l'artiste touche la plus grosse partie et les intermédiaires des pourcentages inférieurs ? Or c'est l'extrême contraire qui se produit.

Comment expliquer que les artistes ne protestent pas plus face à cette situation ?

Toute l'économie du disque a été chamboulée depuis une une quinzaine d'années. Certains artistes ont vécus la période du vinyle, du CD, mais la majorité des jeunes artistes ne connaissent la musique que par le biais du téléchargement, de l'iPod et maintenant du streaming. Certains n'écoutent la musique que sur Youtube. Il y a donc une hétérogénéité du profil des artistes qui rend leur cohésion plus délicate pour ce qui est de faire valoir leurs droits. Certains ont accepté qu'il fallait abandonner l'idée de vivre de la vente ou de l'écoute de leurs oeuvres, et misent tout sur le live et les  produits dérivés. Le business a tout fait pour conforter cette idée. Cela a étrangement coïncidé avec l'explosion des prix des tickets de concert. 

Le dernier album de Daft Punk est disponible gratuitement sur leur site. Un nouveau modèle économique de la musique est-il en train de se développer selon lequel les musiciens ne vivraient plus de la vente de leur musique ?

C'est en effet le cas. Aujourd'hui, vivre de la vente est assez illusoire, et c'est hélas ce qui empêche de nombreux artistes qui ne sont pas des musiciens au sens strict de vivre leurs rêves. Rappelons que la plupart des genres et des œuvres les plus créatives de ces 30 dernières années ont été composés par des artistes qui n'étaient pas forcément musiciens, mais avaient une oreille musicale et des dons de composition/production (Rap, House, Drum & Bass, Dubstep, Broken Beat...). Beaucoup de ces œuvres ont été composées dans une chambre ou une cave sans musiciens. Ces artistes ne peuvent pas vivre du live. Est-il décent de décréter qu'ils sont condamnés à composer et produire pour le plaisir gratuit des auditeurs tout en permettant aux intermédiaires de vivre sur leur dos ?

Je crois que la réponse coule de source. Elle est évidente pour des artistes de poids - et pourtant musiciens -  comme David Byrne, Prince, Thom Yorke ou Bryan Molko.

Quant aux groupes qui sont à même de tourner, il semble que tout ne soit pas rose non plus pour eux. Si Prince choisit de faire 2 semaines de concerts à Londres en court-circuitant les tourneurs, il doit y avoir une raison.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !