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Les récits de science-fiction traitant d'un ordinateur devenu plus intelligent que l'Homme sont légions.
Les récits de science-fiction traitant d'un ordinateur devenu plus intelligent que l'Homme sont légions.
©Reuters

i-Robot

Et si l'écrivain de science-fiction Isaac Asimov avait raison ? L'ordinateur sera-t-il plus intelligent que l'Homme dès 2029 ?

Jean-Gabriel Ganascia

Jean-Gabriel Ganascia

Jean-Gabriel Ganascia est professeur à l'université Pierre et Marie Curie (Paris VI) où il enseigne principalement l'informatique, l'intelligence artificielle et les sciences cognitives. Il poursuit des recherches au sein du LIP6, dans le thème APA du pôle IA où il anime l'équipe ACASA .
 

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Atlantico : D'après monsieur Kurzweil, directeur de l'ingénierie Google, les ordinateurs seraient bientôt plus intelligents que l'Homme. Le scénario vous semble-t-il crédible ? Il table sur un renversement de la situation d'ici à 2029, mais n'est-ce pas aller un peu en vite en besogne ? Les ordinateurs ont-ils déjà rattrapé à ce point l'avance que nous avions sur eux ?

Jean-Gabriel Ganascia : Aujourd'hui, les ordinateurs sont capables de stocker des masses considérables d'informations, de la même façon qu'ils peuvent tout à fait réaliser des calculs élémentaires à des vitesses hors-de-portée du cerveau humain. Ce sont des choses qu'ils font bien évidemment mieux que nous, et de toute évidence, cela fait déjà de longues années que certaines fonctions des ordinateurs nous ont tout à fait dépassés. Les échecs, qui représentent un test d'intelligence tout particulier pour les hommes, forment un exemple concret : l'intelligence artificielle a déjà défait certains de nos champions du monde, témoignant donc d'une apparente supériorité informatique sur notre esprit, notre intelligence.

Le discours de Ray Kurzweil exprime une loi, qu'on connait comme étant la "Loi de Moore". Celle-ci décrit la croissance des capacités des machines (vitesse de calcul, capacité de stockage), laquelle serait exponentielle. Jusqu'à présent, cette loi s'est vérifiée. Tous les dix-huit mois, en moyenne, la capacité des micro-processeurs doublait. Néanmoins, cette loi ne peut pas s'éterniser : vient un moment ou la capacité ne pourra plus doubler, ne serait-ce que parce qu'il nous sera impossible de miniaturiser plus encore les processeurs. Il existe évidemment d'autres moyens pour continuer à accroitre l'intelligence des machines, telles que l'informatique quantique ou l'optique, mais ce sont des pistes que nous connaissons moins. 2029 parait cependant très  proche et extrêmement tôt. Nous en sommes encore bien loin.

Qu'entend-t-on par "plus intelligent", exactement ? Ce ne serait plus l'Homme qui encoderait les programmes qui dictent les actions qu'un ordinateur est capable de mener à bien ? Est-ce qu'on assisterait à une véritable prise d'indépendance des ordinateurs ?

L'intelligence ne se limite pas à la rapidité de calcul. L'intelligence reste un concept mystérieux : pendant longtemps, les psychologues ont débattu au sujet de si elle n'était qu'unique ou si elle avait différentes facultés. Au final, on s'aperçoit que certains sont plus doués dans le domaine du langage, tandis que d'autres le sont d'avantages, par exemple, dans un domaine plus pratique ou plus artistique. On sait donc aujourd'hui que ce concept d'intelligence unique est faux. En d'autres termes : oui, les machines font certaines choses mieux que nous et non elles ne sont pas plus intelligentes que nous pour autant. S'il est des choses qu'elles font mieux que nous depuis belle lurette, il en est tant d'autres qu'elles sont incapables de réaliser. Même nous, en vérité, serions bien en peine de les imaginer les faire : prenons l'exemple simple de la capacité d'intuition. Ça n'est pas vraiment dans les cordes d'un ordinateur. De même que créer de nouveaux concepts. On a tendance à voir l'ordinateur comme capable de penser plus vite, mais toutefois dépendant de l'Homme pour exécuter les commandes programmées. C'est faux : un ordinateur ne pense pas, il calcule. Alors bien sûr, ils sont capables de copier notre intelligence. Ou du moins de tenter.

Les récits de science-fiction traitant d'un ordinateur devenu plus intelligent que l'Homme sont légions. Dans l'imaginaire collectif, il s'agit le plus souvent d'une menace : dans les faits, cette menace est-elle réelle, ou tient-elle d'avantage du fantasme qu'autre chose ?

L'idée de cette menace est née bien avant l'ordinateur. L'histoire d'une invention de l'Homme qui se retourne contre lui et prends le pas sur lui date en vérité du Golem. Il s'agit d'une légende ancienne, décrivant un automate de conception humaine, qui finit par dominer l'Homme. Cette légende fait état de deux qualités de l'Homme : d'une part son érudition et son savoir, nécessaire à la création du Golem, d'autre part son courage, indispensable à la destruction d'une invention qui s'avère au final dangereuse. Indéniablement, ce mythe fait écho aux écrits de science-fiction et à l'ordinateur qui devient finalement, dans l'imaginaire, l'équivalent du Golem.

Et d'une certaine façon, l'inquiétude de l'Homme est justifiée. Sans doute pas de la façon décrite pas les thèmes récurrents à la science-fiction, mais il est vrai que l'ordinateur prend une place de plus en plus importante dans notre vie. On utilise désormais des drones pour faire la guerre. Un certain ensemble de tâches quotidiennes sont réalisés par l'ordinateur. De cette dépendance à l'infosphère nait une forme de vulnérabilité de notre société : la circulation, les banques, les bourses sont réglées par les ordinateurs. Un dérèglement peut s'avérer catastrophique ; et si on est très loin d'un double de l'Homme qui prend le pouvoir pour son compte, le danger est réel.

Au-delà de la peur que cela peut provoquer, quels seraient les vrais changements sur la société que cela impliquerait ? Concrètement ; comment se dessine notre avenir avec l'informatique ? L'Homme, perpétuellement considéré comme l'être le plus intelligent sur Terre, risque-t-il une sévère "dévaluation" ?

L'ordinateur serait plus intelligent que l'Homme et aurait une conscience supérieure jusqu'à prendre sa place : c'est du moins ce que décrivent les légendes liées au Golem. Mais, dans les faits, un ordinateur ne pense pas, n'a pas de conscience, n'a aucun savoir. Les informations qu'il stocke constituent une base de données plus qu'un savoir : le savoir est notre puisque c'est nous qui savons l'agencer, l'organiser. Nous sommes capables d'interpréter ces connaissances jusqu'à les faire devenir le savoir qu'elles représentent. Pas l'ordinateur. Il y a toutefois une projection anthropomorphique sur ces machines qui alimente tout un tas de mythes, qui au final n'ont pas de sens. De ce point de vue-ci, il est particulièrement complexe d'envisager une dévaluation de l'espèce humaine.

En revanche, comme je le disais plus tôt, cela ne signifie pas qu'il n'y ai pas de risques, ni que notre société ne soit pas influencée par celles-ci : on assiste par exemple à des transformations politiques majeures. La nation d'Etat, qui n'était jadis liée qu'à un territoire, va se transformer grandement. Nous sommes aujourd'hui à même d'échanger d'un pays à l'autre. Autrefois, il y avait de vraies frontières, tandis qu'aujourd'hui il existe une forme de transparence. Et puis, il y a une notion de culture… La nécessité d'assimilation culturelle se transforme : on peut dorénavant passer plusieurs années dans un pays en restant en contact avec celui dans lequel on est nés et ne pas avoir à assimiler purement et simplement la culture du nouvel Etat.

La capacité d'adaptation, qui est encore le propre de l'Homme, continuera-t-elle de faire défaut aux ordinateurs ? Peut-on croire qu'un jour, les machines et les programmes sauront faire face à une situation tout à fait inconnue ?

C'est une question intéressante, parce qu'effectivement l'Homme est capable de s'adapter à des conditions extrêmement changeantes. On fabrique aussi de plus en plus de programmes qui ont des capacités d'apprentissages et d'adaptation. Apprentissage, c’est-à-dire de construction automatique de connaissance à partir d'une grande quantité de données. Le big data, en anglais. La difficulté reste dans le fait qu'il faille quelqu'un pour interpréter ces données. Quant aux programmes qui s'adaptent, ils ne le font que dans le cadre d'un espace encadré, fut-il très grand, mais dont les propositions sont déjà déterminées à l'avance.

Propos recueillis par Vincent Nahan

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